Il y a trois ans, le 24 janvier 2020, la France officialisait les trois premiers cas de Covid-19. Le début d’une pandémie qui, en ce début d’année 2023, vous paraît peut-être comme de l’histoire ancienne. Le virus continue pourtant de tuer, mais aussi de provoquer des symptômes persistants, des mois après la maladie. C’est le « Covid long », un phénomène au sujet duquel tout semble flou : sa ou ses causes, ses symptômes ou encore le nombre de personnes touchées, potentiellement très important.
En avril dernier,
Regardez l’enquête d’« Envoyé spécial » sur le Covid long
Pourtant, il y a eu des progrès. La cartographie des symptômes attribuables au Covid long s’est enrichie. Une revue des connaissances publiée le 13 janvier dans
Un diagnostic difficile à établir
Selon la définition du Covid long par l’OMS (en anglais), « plus de 200 symptômes différents qui affectent la vie quotidienne ont été rapportés ». Certains, comme la perte d’odorat, sont très spécifiques, mais la plupart sont courants dans d’autres maladies, ce qui ne facilite pas le diagnostic. La définition de l’OMS souligne bien le problème : elle attribue au Covid long tout symptôme apparu dans les trois mois qui suit une contamination, qui dure au moins deux mois et n’a pas d’autre explication. Un constat par défaut, donc.
« Le débat scientifique existe quant à l’imputabilité des symptômes vis-à-vis du Sars-CoV-2 ou d’un autre agent déclencheur », écrivait le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (héritier du Conseil scientifique) dans un avis en octobre. On sait comparer la fréquence de certains symptômes chez les personnes contaminées ou non par le virus. Mais le lien entre le Covid-19 et un effet précis, plusieurs mois après l’infection, reste difficile à établir.
« Il n’y a pas de biomarqueur positif pour affirmer qu’une personne a un Covid long », déplore le professeur Eric Guedj, chef du service de médecine nucléaire à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Il est donc impossible de le diagnostiquer par un test de dépistage ni en observant une partie spécifique du corps humain, « il faudrait faire des explorations de tous les organes potentiellement affectés. Ce n’est pas parce qu’il n’y a rien au cœur que le cerveau n’est pas touché, ou inversement ».
Ce spécialiste de l’imagerie cérébrale explique que des anomalies ont pu être constatées chez certains patients ayant perdu l’odorat. Mais chez d’autres, « qui ont exactement le même symptôme, on observe des lésions au niveau nasal », mais rien au niveau du cerveau, « ce qui veut dire que pour eux, une rééducation de l’odorat ne sert à rien ». Que la recherche identifie un jour un marqueur unique permettant de diagnostiquer le Covid long est « peu probable », estime Eric Guedj.
Des médecins pas tous d’accord
Ce qui laisse planer le risque de lui attribuer à tort des symptômes liés à d’autres maladies. Le neurologue insiste sur la nécessité de proposer « un bilan de santé relativement complet » aux malades supposés du Covid long pour exclure toutes les autres causes possibles de leurs maux.
« Toutes les suspicions de Covid long ne sont pas des Covid longs. On voit beaucoup d’erreurs de patients qui y rattachent leurs symptômes alors qu’ils peuvent avoir d’autres pathologies cérébrales, des tumeurs, des choses que l’on sait identifier et prendre en charge. »
Eric Guedj, professeur de médecine nucléaire
à franceinfo
Outre la perte de chances pour les malades, se tromper sur leur diagnostic « fragiliserait le concept de Covid long »,craint-il, convaincu de sa pertinence.
Mais d’autres membres de la communauté scientifique expriment un scepticisme sur l’existence du Covid long en tant que pathologie unique, directement liée à l’infection par le Sars-CoV-2. « Un nouveau paradigme est nécessaire », plaident par exemple trois chercheurs danois dans un article publié en janvier par
Une vision partagée par Cédric Lemogne, psychiatre à l’Hôtel-Dieu à Paris et co-auteur en 2021 d’une étude remarquée et critiquée : elle observait un lien plus fort entre les symptômes et le fait de penser avoir été contaminée par le Covid-19 qu’avec un test sérologique réellement positif. Accusé par de nombreux acteurs, dont l’association AprèsJ20, de stigmatiser les malades, le chercheur s’est toujours défendu de présenter leur mal comme imaginaire. Mais il plaide pour que l’on étudie mieux la possibilité que certains symptômes, bien réels, soient liés à l’état psychologique des patients. Il doute notamment que des phénomènes aussi divers aient une cause unique. Selon lui, « il n’y a probablement pas un Covid long au singulier et la recherche d’un biomarqueur unique est donc vouée à l’échec ».
Impliqué dans un programme de prise en charge des malades à l’Hôtel-Dieu qui mêle consultations médicales, suivi psychologique et rééducation physique, il suppose que les différents symptômes peuvent avoir des causes différentes, pas toutes liées au virus, y compris chez un même patient.
« Cela fait près de trois ans qu’on cherche à comprendre le Covid long et il n’y a toujours rien d’évident. C’est sans doute que l’on s’y prend mal. »
Cédric Lemogne, psychiatre
à franceinfo
« Que certains patients développent des troubles psychologiques, c’est très probable », répond Eric Guedj, mais la place prise par cette question dans la recherche reste, à ses yeux, minoritaire et « très franco-française ».
Une pathologie due à une « persévérance » du virus ?
Face à ces doutes, les chercheurs n’ont pas de réponses définitives, mais leurs hypothèses se précisent, à mesure qu’on découvre les pièces d’un puzzle difficile à assembler. Ainsi, plusieurs travaux ont permis de découvrir des fragments du Sars-CoV-2 dans l’organisme de malades, longtemps après leur infection : dans le plasma sanguin, selon une étude publiée par Clinical Infectious Diseases ; dans les selles de patients ressentant des troubles gastriques, selon un article de la revue Med ; ou encore dans le nez de personnes n’ayant pas retrouvé leur odorat, selon des travaux de l’Institut Pasteur. « Il y a probablement une persévérance de tout ou une partie du virus dans l’organisme », en déduit Eric Guedj, sans que le réservoir où il pourrait se mettre à l’abri n’ait été identifié. Les preuves de ce phénomène restent donc « indirectes », relevait avec prudence le Conseil scientifique dans un avis de juillet dernier.
La présence prolongée du virus pourrait entraîner deux réactions à l’origine des symptômes : un dérèglement de la réponse immunitaire, puis des perturbations au niveau vasculaire, par la formation de micro-caillots sanguins déjà à l’origine de thromboses chez les patients atteints d’une forme sévère du Covid-19, et la dégradation de la paroi de certains vaisseaux. Une étude publiée en juillet dans Angiogenesis observait même une diminution de la « densité vasculaire » chez les patients atteints d’un Covid long, chez qui le nombre de capillaires (les plus petits vaisseaux sanguins) diminue. Des phénomènes qui pourraient s’alimenter mutuellement : « La plus grande perméabilité des vaisseaux sanguins fait que des éléments vont passer du sang aux tissus », et la réponse immunitaire à ce passage « va créer une inflammation », explique Eric Guedj.
Dans ses recherches, notamment une étude publiée en janvier 2021, le professeur a observé une possible conséquence de ces phénomènes : l’observation du cerveau des malades par PET-scan, une technique d’imagerie du cerveau, a montré « des anomalies du métabolisme cérébral ». Certaines zones consomment moins de glucose que chez les sujets sains, comme si elles fonctionnaient au ralenti. Par une autre technique, l’IRM, une étude britannique publiée dans Nature montre une perte de matière cérébrale aux mêmes emplacements. Ils jouent notamment un rôle dans la mémorisation, l’équilibre, la respiration, le rythme cardiaque, l’odorat... Autant de domaines où les symptômes du Covid long se font ressentir.
Des traitements pour traiter les symptômes mais pas leur cause
Ces hypothèses scientifiques n’ont pas pour autant permis de trouver un traitement pour soulager des patients que le Covid long empêche souvent de reprendre une vie normale. Elles inspirent des pistes de recherche, explique Eric Guedj, comme l’utilisation d’antiviraux comme le Paxlovid, pour lutter contre la persistance virale, de médicaments anti-inflammatoires et la poursuite des traitements anticoagulants contre les caillots. Autant d’options dont l’efficacité n’a pas encore été validée par des essais cliniques.
Aujourd’hui, les options disponibles traitent essentiellement les symptômes plutôt que leur cause, rappelle la Haute Autorité de santé. Elles reposent essentiellement sur la rééducation neurocognitive, olfactive, respiratoire et physique, en évitant les efforts excessifs. Une attente frustrante, en comparaison avec la rapidité des découvertes sur le Covid-19.
« Le Covid-19 est une infection virale, c’est assez simple. Le Covid long est comparable aux maladies inflammatoires ou autoimmunes, qui sont plus compliquées. »
Eric Guedj, professeur de médecine nucléaire
à franceinfo
Et de noter que « sur le lupus, par exemple, la recherche ne fait pas beaucoup de progrès ». Ils sont nombreux à espérer qu’elle soit plus rapide pour percer les mystères du Covid long : selon Santé publique France, une partie des malades se rétablissent d’eux-mêmes, mais 20% des personnes contaminées par le Sars-CoV-2 entraient encore dans les critères du Covid long un an et demi après.
Louis Boy, France Télévisions