Dans la journée du 7 décembre, Castillo essaie, dans l’incompréhension générale, de destituer le congrès pour mettre un terme à la paralysie institutionnelle qui étouffe la politique nationale de plus en plus instable depuis son élection en juillet 2021. La tentative va se retourner contre lui, le congrès – à majorité de droite et d’extrême-droite – scelle un accord politique avec la vice-présidente Dina Boluarte (du même parti que Castillo, Perù Libre), et prend la tête du pays. Castillo sera arrêté et emprisonné le jour-même alors qu’il se dirige vers l’ambassade du Mexique pour demander l’asile politique. L’armée et la police se sont immédiatement, et sans surprise, rangées derrière la coalition du Congrès.
Cet ancien syndicaliste, avait été élu avec l’appui massif des populations des régions andines, dont il est lui-même issu. Ces régions du Sud et de l’Est du pays, pauvres et rurales, sont historiquement sous-représentées dans le système politique péruvien en proie au racisme et au mépris de classe des élites de Lima. Son élection s’était faite sur fonds d’inégalités sociales et territoriales indécentes, et d’une épidémie de Covid violente avec le taux de mortalité le plus élevé de la planète (6,8 morts pour 1000 habitants). Mais Castillo ne parviendra jamais à stabiliser son pouvoir, il opérera plus de 70 changements de ministres et 5 premiers ministres se succèderont en à peine 18 mois – avec des alliances à géométrie variable, qui le conduiront à perdre une partie de ses soutiens initiaux.
Des avancées importantes pour le monde du travail
Plusieurs promesses de campagnes majeures n’ont pas pu être menées à bien : la « Seconde réforme agraire » d’un marché agricole soumis aux diktats, insoutenables pour la paysannerie, des grands commerçants ou encore le processus constituant qui devait revenir sur la constitution néolibérale instituée à l’époque de la présidence sanglante de Fujimori (70 000 morts dans les années 1990). Néanmoins, deux décrets lois, impliquant des avancées positives pour les travailleur.euses et les syndicats, ont été promulgués en 2022.
Le premier concerne la limitation des possibilités d’externalisation de l’activité des entreprises. Le patronat péruvien a recouru à outrance à ce procédé, allant jusqu’à externaliser une partie des effectifs liés à l’activité principale. Un puzzle de statuts introduisant toujours plus d’inégalités de salaires, d’accès aux droits – syndicaux notamment –, de contrats temporaires, entre salarié.es. Pour la CGTP Perù, ce décret a mis « un frein à la fraude à la loi et au recours abusif à l’externalisation ».
Le deuxième décret, plus important encore, permet l’accès plus large à un travail décent en débloquant l’exercice des libertés syndicales dans 3 aspects fondamentaux tels que : une plus grande facilité d’adhésion et de formation des syndicats (incluant la possibilité de former des syndicats à l’échelle d’un groupe et de ses sous-traitants) ; le renforcement de la négociation collective par branche d’activité et le droit d’information des salarié.es sur cette négociation ; la restauration du droit de grève et l’amélioration de la procédure d’arbitrage qui le limitait, face à une situation antérieure où 92% des grèves étaient considérées comme illégales.
Le patronat et la droite péruvienne ont été vents debout contre ces deux mesures et ont tenté, notamment à travers des lois au congrès, d’en limiter la portée. Une offensive qui avait déjà suscité d’importantes mobilisations à l’initiative d’une intersyndicale large en septembre dernier.
Après le coup d’Etat : une puissante mobilisation subissant une répression sanglante et tous azimuts
Si le niveau de désapprobation de Castillo était fort dans le pays (61% selon l’Institut statistique péruvien), son éviction par l’alliance entre sa vice-présidente et la majorité au congrès n’est pas passée auprès de larges secteurs de la population. Plus de 88% de la population rejette l’action du congrès et 71% souhaite la démission de Dina Boluarte. Une puissante mobilisation a d’abord commencé dans les régions Sud et orientale du pays (Puno, Cuzco, d’Apurimac, La Libertad, Junin, Arequipa et Ayacucho), avant de s’étendre progressivement au reste du pays. La réponse du gouvernement de transition sera d’une violence extrême, avec déjà plus de 50 mort.es et 600 blessé.es, faisant encore monter d’un cran la colère de la population. L’Etat d’urgence a été prononcé, limitant drastiquement les libertés démocratiques, et des dizaines de dirigeant.es du mouvement social ont été arrêtés arbitrairement.
Le mouvement syndical est aussi frappé de plein fouet : des ordres de rétention de locaux syndicaux hébergeant des « Assemblées Nationales des peuples » ont été lancés ; le secrétaire général de la CGTP San Martin, a été arrêté avec 14 dirigeant.es lors d’une manifestation contre le régime Boluarte ; ainsi que le secrétaire général de la Fédération départementale des travailleurs d’Arequipa (FDTA), José Luis Chapa, un dirigeant qui a mené la lutte des travailleurs de la vallée de Tambo contre le projet minier polluant de Tía María. C’est aujourd’hui les dirigeant.es nationaux de la CGTP Perù, principale organisation syndicale du pays, qui sont ainsi ciblés.
Le 19 janvier, une grande grève nationale a été convoquée par la CGTP et l’Assemblée Nationale des Peuples (coordination de divers secteurs du mouvement social et d’organisations paysannes). Plus d’une centaine de barrages routiers bloquaient la circulation à travers le Pérou, principalement dans le sud, épicentre de la contestation, mais également autour de Lima, pendant qu’une montée de dizaines de milliers de manifestant.es à la Capitale pour se joindre à la manifestation du 19 s’organisait un peu partout dans les communautés du Sud et de l’Est du pays.
La CGTP et l’Assemblée nationale des peuples (ANP) demandent la destitution de la présidente, la dissolution du congrès, des élections générales anticipées en 2023 et le lancement d’un processus constituant.
La CGT française apporte toute sa solidarité au peuple péruvien et au mouvement syndical face à la répression. La CGT soutient pleinement les justes revendications portées lors de la grève nationale du 19 janvier, seule à même de rétablir le calme et d’avancer vers plus de justice sociale. Nous nous tenons aux côtés des travailleuses et travailleurs péruviens et scandons avec nos camarades de la CGTP Perù : « Seule la force du peuple organisé, de la classe ouvrière organisée, des travailleurs organisés sera en mesure d’arrêter ce carnage. »
CGT – Note de l’espace international – Amériques
Montreuil, le 20 janvier 2023