À la fin de la manifestation, place de la République, s’adressant à la communauté internationale, la porte-parole péruvienne de la Coordination Mémoire contre l’impunité, organisatrice de cette manifestation parisienne solidaire, précise : « Voilà 52 jours que Dina Boluarte a pris la fonction de présidente du Pérou. On enregistre au moins 57 morts (parmi lesquels 56 sont civils), des centaines de blessés et des milliers de détenus arbitrairement. Nous tenons à dénoncer une fois de plus notre refus de la violation des Droits de l’Homme que nous vivons depuis 7 semaines au Pérou » […] De la même manière, le vendredi 27 janvier, à la Maison de l’Amérique latine de Paris, Tica Luiza Obregòn, ex-vice-présidente des Avocats du Pérou, a lancé en direct un appel à la solidarité de toutes les organisations démocratiques du monde, lors de la réunion organisée par France Amérique latine et l’association Péruviens unis pour une assemblée constituante. Le Comité national de coordination des droits de l’homme (CNDDHH), organisation péruvienne reconnue, avait qualifié la veille le jeudi 26 janvier, de « crimes contre l’Humanité » la réponse répressive du gouvernement aux manifestations de protestation [2].
La situation s’aggrave au Pérou
La capitale Lima vient d’enregistrer le premier mort en manifestation ce vendredi 27 janvier. Depuis « la toma de Lima » (la marche vers Lima des populations citoyennes venues des provinces des Andes du Sud et de tout le Pérou)3 le 19 janvier dernier, depuis l’occupation de l’Université nationale de San Marcos le samedi 21 janvier par des effectifs armés de la Police et aidés de tanks renversant les grilles de cette vénérable université – la plus ancienne d’Amérique latine – et les 200 détenuEs étudiants humiliés, enchaînés à plat ventre sur le sol, de nouvelles vagues de citoyenEs se sont concentrées à Lima (à l’appel d’une coordination nationale d’étudiantEs) pour une nouvelle marche le 24 janvier pour faire entendre ce que depuis des semaines des masses populaires de plus en plus nombreuses exigent à partir de la révolte des provinces des Andes du Sud, de Puno, Apurimac, Cuzco, Arequipa, Ayacucho : « Démission Dina Boluarte ! Fermeture immédiate du Congrès ! Élections tout de suite ! Pour une Assemblée constituante ! »
Crédit Photo. Dina Boluarte. Wikimedia Commons
Comme l’a dit dimanche à Paris, la porte-parole de la Coordination Mémoire contre l’impunité : « Celles et ceux qui protestent ont des demandes repoussées et rejetées historiquement, l’absence de l’État, les indices de pauvreté les plus bas, le manque d’appui à l’agriculture, les conséquences funestes de l’extractivisme exacerbé entre autres… ».
« Le Pérou n’en finit pas de ne pas se comprendre comme un État-nation “de tous les sangs” (selon l’expression du grand écrivain péruvien José Maria Arguedas). Face à la négation de l’autre, les milliers de citoyens qui sont arrivés à Lima exigent d’être écoutés et dénoncent ce racisme omniprésent et l’imposition de l’“ordre” par la force. Il n’existe pas un dialogue sincère sur qui nous sommes (c’est-à-dire les identités multiples qui existent au Pérou) et sur ce que nous voulons comme pays de manière démocratique. L’unique chemin qui a été ouvert est celui de la répression et de l’assassinat de nos compatriotes. Cette attitude autoritaire de la classe politique hégémonique dans le Parlement se vérifie par le refus et l’interdiction d’utiliser la voie d’un référendum citoyen pour savoir si nous sommes d’accord ou non avec une nouvelle Constitution, accusant de “violents” celles et ceux qui réclament ce débat pour une Assemblée constituante ».
« Dehors Dina Boluarte et fermeture du Congrès ! C’est la clameur populaire qui cherche à récupérer nos institutions séquestrées par les mafias organisées et la corruption, comme celle des “cols blancs” et de la famille Fujimori. C’est le cri unanime de celles et ceux qui pleurent nos frères et sœurs tombéEs. Cela synthétise le rejet de la classe politique actuelle.(…) ». Depuis 10 jours les manifestations n’ont pas cessé à Lima et dans le pays, portant ces exigences.
La réponse des pouvoirs
Selon certains analystes, l’avancée des élections générales pourraient permettre de soulever un peu le couvercle de la cocotte-minute. Des secteurs de droite (fujimoristes) estiment que ce serait leur intérêt électoral de favoriser des élections en 2023 au dernier trimestre. Cependant, le Congrès ultra-discrédité vient de s’y opposer même s’il doit revoir cette position fin janvier. Face aux premières manifestations de protestation de décembre 2022, il avait avancé les élections prévues en 2026 à avril 2024, mais le 2e vote de confirmation nécessaire n’a pas été encore réalisé.
La répression est la seule réponse du gouvernement de Dina Boluarte. Il accentue la militarisation du pays (envoi d’un contingent de 500 hommes armés dans les provinces du Sud), lance des opérations militarisées pour dégager les routes, annonce une forte prime pour l’« l’héroïque » police nationale autorisée à Lima à tenter de briser toute manif par grenades lacrymogènes, fusils à grenaille et matraques. Dina Boluarte elle-même, présente à la réunion de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC), dénonce (sans les nommer) les États qui critiquent (pourtant bien timidement et de façon purement verbale) son gouvernement et soutiennent les « violents » (Bolivie, Mexique, Colombie, Chili). Cela certes secoue un peu son gouvernement. En à peine un peu plus d’un mois, 8 ministres ont déjà démissionné, 4 d’entre eux sont en désaccord explicite avec la violence policière utilisée. Ces secousses l’amènent par contrecoup à renforcer son alliance avec l’appareil militaire et policier conduisant ainsi à la militarisation du pays et le transformant de fait de plus en plus en un gouvernement civico-militaire. La droite et l’extrême droite, la presse hégémonique font bloc autour de Dina Boluarte. Céder à l’exigence des manifestants en la poussant à la démission serait un facteur de déstabilisation de leur pouvoir. Elles ont besoin aussi de gagner du temps pour adopter des contre-réformes qui leur permettront de contrôler les processus électoraux et les institutions qui les organisent, tout en s’appuyant sur les coups répressifs contre les secteurs manifestants portés par le gouvernement.
Solidarité internationale
Les coups portés contre le peuple péruvien, ces morts, ces blessures, ces passages à tabac, ces humiliation, ces calomnies sont des blessures pour nous toutes et tous, celles et ceux qui aspirent à une société juste, libérée de l’exploitation et l’oppression. C’est pour cela que nous devons prendre à bras-le-corps la lutte solidaire avec le peuple péruvien comme ont commencé à le faire la manifestation parisienne du dimanche 29 janvier et la réunion du 27 janvier.
Correspondant.e.s l’Anticapitaliste