• Qui sont les Sœurs ? Quelle est l’origine de ce mouvement ?
Les Sœurs - L’ordre international des Sœurs de la perpétuelle indulgence est un ordre pauvre et dérisoire de sœurs démentes et radicales. En tant que groupe de dindes sacrées, nous militons pour la visibilité homosexuelle, le rejet de la honte et de la culpabilité, la promulgation de la joie multiverselle et de la fête. Cet ordre est apparu à San Francisco, le samedi de Pâques 1979. Il s’agissait alors d’un pari un peu décalé entre quatre bons copains, qui se sont cependant très vite aperçus que ce qu’ils faisaient correspondait à une attente : écouter sans juger, donner l’occasion à la parole, sans intention autre que de donner du réconfort à son interlocuteur. Portées par cette attente, les Sœurs continuent à arpenter le pavé sur les cinq continents, depuis 26 ans.
Le couvent de Paris, maison mère des couvents de France, a été créé à l’occasion d’une tournée européenne des sœurs de San Francisco, en 1991. Avec l’élévation de notre archimère, Rita du Calvaire de Marie-Madeleine-car-elle-aussi-a-beaucoup-souffert, et de nos sœurs Marie-Mongolita des Fientes, Ginette de la Vache Molle, Thérèse-Ravière de Cul et Lard et sœur Plat du jour tous-nos-prix-sont-nets, la Perpétuelle indulgence a commencé à se répandre en France dans une grande vague d’hilarité. À l’image de nos sœurs aînées américaines, le couvent de Paris a pour vœux la visibilité, le rejet de la honte et de la culpabilité, la promulgation de la joie multiverselle, la paix et la communication entre les communautés, la charité, l’information et la prévention du Sida, le droit et le devoir de mémoire. Et c’est à la promulgation de ces vœux que nous utilisons les dons que nous recevons de nos ouailles ou lors de nos actions.
• Comme de « vraies » sœurs...
Les Sœurs - Nous sommes des sœurs ! Nous reprenons à notre compte l’idéal des sœurs aimantes et au service de leur prochain pour notre propre communauté. Nous ne nous moquons pas des sœurs d’autres obédiences et, à vrai dire, nous respectons la foi de chacun, même si nous tendons à voir dans les Églises et dans les religions des systèmes d’oppression contre les individus, particulièrement contre les gays et les lesbiennes. Le personnage de la sœur de la perpétuelle indulgence, avec son masque blanc, son maquillage extravagant et ses tenues décalées peut surprendre, choquer, interloquer, etc. C’est une démarche volontaire : les sœurs se veulent visibles, outrageantes et même provocantes, car elles pensent qu’il est parfois nécessaire de choquer pour faire réfléchir et changer les habitudes. Elles le font cependant toujours dans l’humour et dans la tentative de provoquer un dialogue positif.
• Comment analysez-vous l’évolution du contexte de l’épidémie de Sida depuis l’arrivée des trithérapies ?
Les Sœurs - Dans notre travail d’écoute auprès de la communauté LGBT, le VIH a souvent été au cœur des confessions que nous recevons, mais l’arrivée des trithéra¬pies en a changé la philosophie : il s’agit moins d’un travail de deuil et d’accompagnement en fin de vie que d’un travail de reconquête de son corps et de sa sexualité par les personnes touchées. Fort heureusement, l’espérance de vie des malades a considérablement augmenté et se chiffre en dizaines d’années. Les discriminations envers les séropositifs n’en sont pas moins brutales et les mythes ont la vie dure.
Aujourd’hui, les nouveaux séropositifs doivent apprendre à vivre avec une maladie chronique, pas à se prépa¬rer à mourir à court terme. Par ailleurs, la réalité des pratiques sexuelles nous a amenée à réorienter notre discours sur le VIH vers des actions de réduction des risques. C’est dans ce sens que s’orientent nos nouvelles actions de soutien. En tant qu’ordre, les Sœurs ont éprouvé la disparition catastrophique d’un trop grand nombre de ces créatures fantastiques. Au cours de nos actions de prévention, la mémoire de sœur X-tasie Marie-Colette, de sœur Lola du Rêve de l’Ange, et de notre garde cuisse Sperminator, qui ont tous et toutes rejoint le paradis serein, et néanmoins ultrachic et haute couture des Sœurs, nous fortifie dans notre mission de promulgation du sexe à moindre risque.
• Quelles sont vos priorités d’action aujourd’hui ?
Les Sœurs - Elles découlent précisément du constat précédent. Nous essayons d’être présentes le plus possible et au plus proche de toute la diversité de la communauté LGBT, mais également SM [sado-maso, NDLR], cuir, latex... Ceci se fait par des actions militantes, un travail avec les associations et la fréquentation des lieux festifs (clubs et bars), où nous privilégions l’écoute individuelle. La récente dynamique, qui a vu la renaissance du couvent de Paris, en 2005, et l’arrivée d’une nouvelle génération de sœurs, nous ont permis d’investir de nouveaux terrains. Si toutes les sœurs se reconnaissent dans nos vœux principaux, du fait de leur vécu, certaines d’entre nous voudront privilégier certains types d’actions ou de milieux. La richesse des parcours individuels est un moteur fantastique du renouvellement de nos actions. Eh non ! Vous n’avez pas fini de nous voir !
• La droite au pouvoir vous inquiète-t-elle ?
Les Sœurs - L’arrivée au pouvoir de l’initiateur du racolage passif, du refus du mariage pour les gays et lesbiennes, ainsi que la présence de Christine Boutin, agent pontifical, au gouvernement, ne nous font évidemment pas plaisir. Nous restons vigilantes et nous sommes toujours prêtes à en¬trer en résistance si les circonstances l’imposent. Par exemple, nous voyons avec inquiétude les mesures d’expulsion prononcées contre des séropositifs ou des homosexuels en danger dans leur pays d’origine... Mais nous sommes confiantes en la capacité de mobilisation de notre communauté. Et puis, ils sont prévenus : un coup de talon, ça fait mal !
• Un slogan pour la Marche des fiertés ?
Les Sœurs - Nationalisation des usines à paillettes ! Non, c’est une blague, quoique... Disons plutôt : péchez dans la joie, sous la protection de saint Latex et saint Gel-à-Queue, patrons des bonnes bourres ! Que l’amour de tous nos saints protecteurs vous submerge : sainte Tapiola, patronne des garçons qui aiment les garçons, sainte Sapho, patronne des filles qui aiment les filles, sainte Cyclette, patronne des bis, saint Jean d’Arc, patron des transgenres et, bien sûr, sainte Rita, patronne des causes désespérées et donc des hétérosexuels !