CADEAUX FISCAUX ET DETTE PUBLIQUE
« Enrichissez-vous ! »
Sarkozy a fait présenter, par son Premier ministre, son « paquet fiscal », qui sera voté en juillet. Ce paquet-cadeau à destination des plus riches sera financé, entre autres, par la suppression d’un poste sur deux de fonctionnaires partant à la retraite.
Mercredi dernier, a été présenté lors du premier Conseil des minis¬tres du gouvernement Fillon 2, ce que la presse a appelé jusqu’ici le « paquet fiscal », une série d’allégements fiscaux portant sur les heures supplémentaires, les intérêts de crédits immobiliers, les successions et donations, l’impôt sur les grandes fortunes, et l’abaissement de 60 à 50 % du bouclier fiscal. Toutes ces mesures, qui sont à l’avantage du patronat - qui fait ainsi financer par l’État une partie du coût des heures supplémentaires - ou qui favorisent les particuliers les plus riches, ont été réunies dans un projet de loi qui sera le premier à être examiné lors de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale, en juillet, et que Sarkozy, avec un culot sans pareil, a fait appeler loi en faveur « du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ».
Il en coûtera onze milliards d’euros au minimum - quinze milliards selon certains calculs - aux contribuables et davantage les années suivantes, années pleines pour l’application du paquet fiscal. Une partie sera financée, cette année, par une « cagnotte » de cinq milliards d’euros due à une croissance économique plus forte que prévue dont le gouvernement avait caché l’existence. Fait déjà significatif en lui-même ! On nous ressasse depuis des années que la « croissance » de l’économie, pour laquelle il faut accepter des sacrifices, doit au final améliorer le sort de la population. En réalité, elle ne sert, d’une part, qu’à augmenter les bénéfices et les dividendes des gros actionnaires et, d’autre part, à l’État lui-même qui se sert des recettes plus importantes qu’elle lui apporte, grâce, par exemple, à l’impôt sur les sociétés, pour redistribuer cet argent aux plus riches.
Mais Sarkozy, alors qu’il creuse le déficit de l’État, annonce qu’il va, en même temps, réduire la dette pub¬lique. Et, là encore, ce serait pour le bien commun. Sarkozy peut s’appuyer, pour le prétendre, sur le consensus qui existe dans la classe politique institutionnelle, ne cessant de répéter qu’il n’est pas question que nous laissions ce fardeau, de 1 180 milliards d’euros actuellement, aux générations futures. Les autorités européennes exigent de la même façon que les gouvernements de l’Union européenne, pour la bonne santé de l’euro, nous dit-on cette fois, fassent passer la dette de l’État en dessous de 60 % du produit intérieur brut (PIB) et maintiennent le déficit annuel en dessous de 3 % du PIB. Mais ni les uns, ni les autres, n’envisagent de réduire les dépenses faramineuses qui creusent la dette, à savoir les subventions de toutes sortes versées au patronat (65 milliards d’euros l’an dernier), le budget militaire (48 milliards) ou les intérêts que l’État paie à ses créanciers (40 milliards). Non, sont uniquement visées les dépenses dites « improductives », celles qui, selon le jargon propre à leur logique financière, ne profitent pas au capital, les dépenses utiles à la population.
Sarkozy se vante ainsi de « réduire la voilure de l’administration », de « faire la chasse aux dépenses inutiles, aux doublons ». Intention qui peut sembler louable à première vue, mais dont la mise en œuvre commence par la suppression, en 2008, d’un poste de fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit 35 000 postes, alors que 15 000 ont déjà été supprimés cette année, dont près de 9 000 dans l’enseignement.
« Frapper vite et fort », tel est le pari de Sarkozy qui s’expose en première ligne sur tous les terrains. Il révèle ainsi la logique d’ensemble de mesures qui, jusqu’à présent, étaient plus ou moins diluées dans le temps et compartimentées. Autant de faits sur lesquels s’appuyer pour mener une bataille d’opinion et préparer la contre-offensive.
Galia Trépère
SMIC
Sarkozy contre le pouvoir d’achat
En prétendant défendre les salaires et l’emploi, Nicolas Sarkozy serre la ceinture aux salariés les moins bien rémunérés. Le 1er juillet, le Smic n’augmentera que du minimum légal.
Il n’y aura donc pas, le 1er juillet, de « coup de pouce » pour le Smic, qui ne sera relevé que de 2 %, l’augmentation minimale prévue par la loi. Sarkozy en a décidé ainsi. Il l’avait annoncé durant sa campagne et tient à affirmer qu’il n’est pas homme à trahir ses engagements. Certes, il s’était aussi fait le champion de la lutte pour le pouvoir d’achat, mais sans doute ne s’agissait-il que de celui... des riches !
« Tout ce qui représente le travail sera choisi, tout ce qui dévalorise le travail sera écarté », a-t-il répété avec insistance devant les élus de l’UMP. Travail « libéré », « récompensé », « amélioré », a-t il martelé, insistant : « Il y a, en France, un problème de pouvoir d’achat, [car] les prix sont trop hauts [et] les salaires trop bas. » Et de conclure : « Il n’y aura pas de coup de pouce au Smic. » 8,44 euros brut de l’heure (1 279 euros brut par mois), voilà sans doute de quoi récompenser le travail, de quoi l’améliorer...
La justification de ce geste d’hostilité envers les travailleurs est un bel exemple de la pensée unique propatronale de Sarkozy. « Il aurait un effet négatif sur l’emploi des moins qualifiés et parce que, à force d’augmenter le Smic plus rapidement que les autres salaires, on a provoqué la smicardisation de la société française », assure le président de la République. Il est facile de répondre à cet argument spécieux et particulièrement hypocrite : si le nombre de smicards augmente, c’est bien plus par la stagnation ou la baisse des salaires, dans leur ensemble, que par l’effet de la hausse du Smic ! Augmenter le Smic, ce serait aussi nuire à l’emploi. Son blocage serait donc une mesure de justice ! Un salaire trop élevé découragerait nos pauvres et malheureux patrons d’embaucher. La baisse des cotisations sociales sur les bas salaires, introduite en 1993 et généralisée en 2003, leur évite un coût du travail par trop décourageant, mais trop, c’est trop !
Devant de telles complexités économiques, Sarkozy ne voit qu’une solution : pas de « coup de pouce » et la création d’une commission composée d’experts chargés de déterminer le niveau du Smic, un « comité des sages ». C’est d’ailleurs exactement ce que souhaite la présidente du Medef, Laurence Parisot. La détermination du salaire minimum ne serait plus confiée au gouvernement, que chacun sait trop sensible à l’opinion, mais à des experts, des sages aux arguments purement techniques, « économiques », étrangers, vous imaginez bien, à toute idéologie ou démagogie !
Tout ce baratin tente vainement de masquer une politique visant à faire baisser au maximum le coût du travail. En réalité, ce qui se discute, c’est un rapport de force. Il nous faudra le construire pour imposer le Smic à 1 500 euros net tout de suite. Et Ségolène Royal, en déclarant peu « crédible » la promesse bien timorée du Smic à 1 500 euros brut sur cinq ans, qu’elle avait faite lors de sa campagne, vient de donner un sacré coup de pouce à Sarkozy et aux patrons.
Yvan Lemaitre
La gazette des gazettes
Cette affaire de la TVA dite sociale, dont Raffarin lui-même explique qu’elle aurait fait perdre 60 députés à l’UMP, le 17 juin, se révèle, au fil des jours, être l’un des grands dossiers de ce début de quinquennat sarkozyen. À cet égard, Éric Le Boucher, chroniqueur du Monde et grand libéral thatchérien devant l’Éternel, met les pieds dans le plat, dans la livraison des 24 et 25 juin du quotidien.
D’emblée, il tape fort : « La mondialisation et le nouveau capitalisme n’appellent pas à des ruptures de forme, mais à des révisions complètes des politiques publiques. L’économie du xxie siècle ne s’accommode plus d’un État structuré pour l’ère industrielle et d’un social datant, au mieux, de 1945. Il ne suffit donc pas de faire un gouvernement médiatique. Il faut réinventer la politique, le social, la justice, l’éducation pour coller aux immenses défis concomitants de la Chine et de Google. » Mais ce flot de sucreries annonce une cuillère de goudron, lorsque notre plumitif avertit celui dont il dit pourtant que « le programme va dans le bon sens » : « Les mesures une à une, par exemple celles du “paquet fiscal”, ne convainquent pas. »
M. Le Boucher cite en exemple l’un des thinktanks (autrement dit, l’une de ces officines de propagande) qui turbine pour le compte du Parti démocrate américain dans la perspective de la précampagne présidentielle de l’an prochain. Se référant à un rapport dont l’un des auteurs n’est autre que l’ancien ministre des Finances de Bill Clinton, sa conclusion mérite d’être intégralement citée : « La politique sociale passe mieux par la fiscalité. C’est là un point fondamental : les auteurs soulignent que les détaxations (en faveur de telle ou telle catégorie ou activité qu’on estime mériter une aide) sont souvent plus simples à mettre en place que les subventions. Les administrations pensent l’inverse, elles se méfient des exonérations fiscales et préfèrent taxer et dépenser. Nos auteurs, pourtant de gauche, leur donnent tort. De leur vision nettement libérale, M. Sarkozy, qui cherche des économies budgétaires, pourrait faire son miel. »
Signe des temps, c’est de la « gauche » de renoncement que viennent les propositions les plus libérales à un gouvernement faisant pourtant profession d’ultracapitalisme...
Christian Picquet