Lundi 27 février, le « débat public sur les nouveaux réacteurs nucléaires » s’est achevé tristement, par un séminaire sur « la participation du public dans la gouvernance nucléaire ». Aveu d’échec de la part des organisateurs, qui ont vu leur travail piétiné dans le plus parfait mépris par le gouvernement de M. Macron.
Pourtant, ce débat avait bien commencé, en octobre dernier, par une salle comble et animée, montrant le désir d’une discussion citoyenne sur l’avenir énergétique du pays. Débat organisé en application de la loi et de la Constitution de la République, dont la Charte de l’environnement indique que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
Mais au même moment, le gouvernement présentait un projet de loi sur l’accélération du nucléaire, comme s’il y avait urgence absolue et qu’on ne pouvait attendre quelques mois les conclusions des discussions ouvertes entre experts et citoyens. Il forçait le pas en prenant un tournant majeur de politique énergétique, au détour d’un amendement au Sénat : la suppression de l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique. Le débat public apparaissait ainsi comme « une mascarade », selon les termes des opposants à la relance du nucléaire : ceux-ci, qui avaient joué le jeu et décidé de participer au débat public, s’en sont retirés en janvier.
Des choix néfastes sur des décennies
Dans cette logique, et alors que l’opinion était légitimement occupée par la bataille des retraites, le gouvernement a continué d’avancer à marche forcée pour imposer le nucléaire sans discussion ni réflexion.
Lors d’un conseil de politique nucléaire, début février, il affichait son intention de pousser la durée de fonctionnement des réacteurs existants à soixante ans. Le 10 février, on apprenait qu’il envisageait de pomper l’épargne des Français — le livret A — pour financer les futurs EPR2, alors que cet argent est normalement destiné à financer le logement social. Au même moment, il lançait, par surprise et manifestement dans l’improvisation, la dissolution de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
On sait depuis longtemps — le « grand débat » en 2019 lors de la révolte des Gilets jaunes, la Convention citoyenne pour le climat en 2021 — que la conception que M. Macron a du débat est purement formelle. Ou pour le dire plus clairement : « Cause toujours, je fais ce que je veux. » Mais ce qui se joue en ce moment est un véritable coup de force, qui engage le pays sur une voie dangereuse. Il ne s’agit pas de savoir si l’on est pro ou antinucléaire, mais de comprendre que les choix de politique énergétique ont des conséquences sur des décennies, et déterminent la santé économique du pays tout comme sa situation écologique.
« Tout l’argent investi dans l’impasse du nucléaire ne le sera pas ailleurs »
Car les choix faits par M. Macron et la classe dirigeante française sont néfastes pour le pays, sur les plans économique et écologique. Ils veulent forcer la construction de réacteurs EPR2 dont le design n’est pas achevé et alors que les chantiers précédents — EPR de Flamanville, de Finlande et d’Hinkley Point (Angleterre) — brillent par leurs retards et leurs dépassements de coût.
Ils veulent relancer le nucléaire alors que la filière française est au bord de la faillite : EDF présente une perte historique et un endettement record, les installations de retraitement sont à saturation et mal en point, le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires, techniquement incertain, a un coût énorme. Et comme les capitaux privés ne financeront pas les EPR2 envisagés, c’est auprès du contribuable et de l’épargne populaire que l’on veut trouver les dizaines de milliards nécessaires pour financer des réacteurs opérationnels au mieux dans les années 2040…
Perte de compétitivité de la France
La question économique du programme nucléaire est majeure. Tout l’argent investi dans l’impasse du nucléaire ne le sera pas ailleurs. Alors que nous aurions besoin d’investir massivement dans la rénovation énergétique et dans les mesures d’économie d’énergie, tout l’effort est mis sur le nucléaire. L’exemple du Livret A est symptomatique : les sommes épargnées par les Français sont utilisées pour le logement social, qui peine déjà à financer la rénovation thermique. Si l’on acceptait d’y piocher pour le nucléaire, on affaiblirait une politique essentielle pour lutter contre le changement climatique.
Il faut rappeler ici que, alors que la France devrait réduire de 5 % ses émissions de gaz à effet de serre chaque année d’ici 2030, elle ne les a pas diminuées en 2022. Toute l’énergie politique dépensée à favoriser l’énergie atomique en 2040 fait que nous baissons la garde sur ce qu’il faudrait faire aujourd’hui pour le climat.
De même, alors que tous les pays du monde font le choix des énergies renouvelables, le choix français du nucléaire signifie que nous allons passer à côté de la mutation énergétique en cours, qui voit le solaire et l’éolien devenir le fer de lance des nouvelles capacités électriques. En s’obstinant dans des EPR2 — dont le coût au mégawatt-heure serait de l’ordre de 110 à 150 euros quand celui des énergies nouvelles est de l’ordre de 40 à 60 euros [1] —, M. Macron et les nucléaristes créent les conditions de la perte de compétitivité de la France.
S’engager à marche forcée dans le nucléaire obère donc l’avenir du pays. Il est compréhensible que la gauche et les écologistes soient mobilisées dans la bataille des retraites, qui est cardinale. Mais il ne faudrait pas qu’ils négligent la politique néfaste du gouvernement sur cet autre enjeu d’avenir, l’énergie et le climat.
Hervé Kempf