Le résultat de l’élection présidentielle, puis celui des élections législatives (même avec le « correctif » qu’elles ont apporté), vont forcément ouvrir un vaste débat dans toute la gauche et dans chaque courant ou organisation de gauche. En vérité, les questions ne manquent pas. A commencer par celle-ci : comment en est-on arrivé là ? Et, en conséquence, que faire pour éviter que l’élection de N. Sarkozy n’inaugure une période indéterminée de défaites, sociales et politiques.
Une partie de la discussion portera sans doute sur les thèmes que j’ai soulevé lors de ma contribution diffusée lors de la dernière DN, « Remarques post 6 mai » [1](pas parce que je les ai soulevés, évidemment !) : l’état réel des rapports de force et les grandes tendances de la situation politique. Je n’y reviendrais pas ici. Mais, juste pour éviter un éventuel malentendu : à un moment donné, pour une organisation donnée, il s’agit de données « objectives », qu’il faut analyser pour savoir dans quel cadre général on peut intervenir. Cela ne signifie nullement qu’il s’agirait de données « naturelles », fatales : bien évidemment, la politique concrète des directions majoritaires (politiques et syndicales) du mouvement ouvrier - ou de la gauche - a été un élément déterminant de la dégradation du rapport de forces. Dénoncer leurs responsabilités est tout à fait judicieux : rien n’était écrit d’avance. L’élection de N. Sarkozy a à voir avec les grandes tendances de la situation politique et sociale, la dégradation du rapport de forces au détriment du monde du travail et l’accumulation des défaites. Elle n’était pas, pour autant, inévitable : il a aussi fallu que le PS y mette du sien ! Ce qui ne signifie pas que, pour des matérialistes, la « trahison des appareils » puisse être l’alpha et l’oméga de l’explication des évènements de grande ampleur. Cela dit, de toute façon, maintenant, on part de là...
* Le débat le plus important - sinon par sa tonicité intellectuelle du moins par ses conséquences – est celui qui va traverser le Parti socialiste. A priori, s’il va y avoir une sérieuse empoignade sur le « leadership », il y a par contre une assez grande communauté de vue entre les principaux dirigeants (aussi bien S. Royal que D. Strauss-Kahn, en tout cas) autour du thème de la « refondation », de « l’aggiornamento » : leur diagnostic commun est que le PS a perdu la présidentielle parce qu’il n’a pas su « s’adapter » et « prendre en compte les nouvelles réalités », parce qu’il est resté accroché aux « vieilles lunes de la lutte de classe », parce qu’il a pris du retard à s’engager dans la voie qu’ont d’ores et déjà empruntée tous les autres grands partis sociaux-démocrates d’Europe Occidentale et, surtout, parce qu’il a tergiversé à assumer publiquement cette évolution. De façon annexe, la question des rapports avec le centre droit de F. Bayrou sera également posée, d’autant qu’elle sera nourrie par les victoires des candidats socialistes dans les centres villes des grandes villes aux législatives, grâce au bon report des voix MoDem. Cette « mise à jour » idéologique a pour conséquence d’ouvrir (ou d’élargir) un espace pour la formulation – et l’organisation - d’une autre orientation à gauche ou d’une autre gauche, comme on voudra. Et de rendre son affirmation encore plus nécessaire : non, la gauche n’a pas perdu parce qu’elle était « trop à gauche » ; au contraire, pour résister et gagner, il faut une gauche « décomplexée », anti-capitaliste, qui affirme résolument des revendications et ses valeurs, une gauche aussi fidèle aux travailleurs, aux opprimé(e)s et à la jeunesse que l’est l’UMP au MEDEF, etc. Et, en conséquence, une gauche totalement indépendante du PS.
Cela, c’est le cadre général du débat. Il nous faut répondre à la question que se posent des millions de gens à gauche et, au-delà de notre périphérie et de notre électorat, proposer une alternative pour toute la gauche, parler pour toute la gauche. Ce que nous autorise la situation nouvelle qui est la nôtre après la présidentielle. Mais, « parler pour toute la gauche » ne signifie pas automatiquement... « parler à toute la gauche ». Ni, surtout, s’enfermer dans des dialogues avec toutes les composantes diverses de la gauche, libérale, semi libérale ou anti-libérale.
* Le débat sur le bilan et l’avenir, notamment l’avenir de la gauche, va aussi traverser les différents courants de la gauche anti-libérale, sur fond d’échec. Même si c’est objectivement, à une échelle large, moins important dans ses conséquences que les débats du PS, c’est tout à fait important pour nous. Certes, les deux principales cohérences à gauche sont celle du PS et la nôtre. Mais, considérer que, désormais, « il n’y a plus rien entre le PS et nous » serait tout à fait erroné. Au contraire, il va y avoir, à gauche du PS, des initiatives, nombreuses et très diverses quant à leur orientation. Que nous les estimions, à juste titre, passéistes et assez peu porteuses d’avenir ne doit pas nous dispenser de nous y confronter. Ainsi, sans prétention d’exhaustivité :
– Le(s) projet(s) potentiel(s) de constituer un nouveau mouvement politique autour de J. Bové et sur les bases de sa campagne présidentielle.
– Le(s) projet(s) potentiel(s) de reconstituer « l’arc de forces du 29 mai » (avec la LCR et le PCF, donc), ou l’arc de forces de la réunion nationale des comités unitaires anti-libéraux de septembre 2006 (sans la LCR, mais avec le PCF) ou de janvier 2007 (sans le PCF ni la LCR).
– Le projet d’un pôle réunissant fabiusiens du PS, « huistes » du PCF et certains anti-libéraux...
– ...sans compter d’autres tentatives qui ne manqueront pas de surgir de l’esprit fertile de ce secteur bien particulier du champ politique.
Naturellement, il faudra suivre tout ça et poursuivre le dialogue. Sans illusion, ni amnésie sur les épisodes passés : les diverses péripéties des dix-huit derniers mois ont abondamment prouvé que la question posée avec opiniâtreté par la LCR – l’indépendance totale vis-à-vis de la direction du PS – n’était pas superflue. Parce qu’elle était (et reste) déterminante. Et, surtout, parce qu’elle n’était pas résolue [2]. Et qu’elle ne l’est toujours pas, même si elle va maintenant prendre d’autres formes puisque, à l’évidence, les questions de la participation gouvernementale ou celle d’une majorité parlementaire avec la direction du PS ont un peu perdu de leur caractère immédiat !
* Une attention particulière doit également continuer à être portée aux « animateurs du mouvement social » (syndicalistes, associatifs, etc.), même si cette expression est assez peu rigoureuse puisqu’elle amalgame militants de terrains et responsables « de haut niveau ». Pas la peine de se le cacher : un nombre significatif d’entre eux se sont retrouvés dans les collectifs unitaires, puis dans la campagne Bové. Même s’il serait hasardeux de parler de « dynamique », sa capacité à les mobiliser – notamment en opposition « aux appareils de la Ligue et du PCF » - a même été l’un des rares succès d’une opération qui n’en n’a pas connu beaucoup (ce qui n’est que justice). Reste que nous nous sommes fâchés avec pas mal de monde. Y compris des militant(e)s qui, a priori, nous intéressent dans la perspective d’une nouvelle force : réinvestir leurs expériences sur le champ politique est justement l’une (mais pas la seule) des justifications de ce projet.
Le fiasco de Bové ne signifie malheureusement pas que ces militants en arriveront facilement à la conclusion que, à tout prendre, la LCR avait plutôt moins tort que les autres et que les questions qu’elle soulevait étaient pertinentes. Justement à cause du fiasco, de la démoralisation et de l’amertume, la tendance naturelle sera plutôt à rechercher des boucs émissaires. Et, du fait de notre proximité et des comptes que certains d’entre eux ont manifestement à régler avec nous, au rayon des boucs émissaires, la LCR tient la corde, à peine concurrencée par le PCF (mais qui intéresse beaucoup moins sauf, étrangement, dans les rangs de la LCR) !
Cela dit, si l’on veut avancer, il faut débroussailler cette affaire. Beaucoup d’entre eux (pas tous, loin s’en faut) « aimaient bien » la Ligue. Mais, dans la Ligue, ce qu’ils aimaient, c’était surtout un réseau de militants de mouvement social toujours prêts à mettre leurs capacités et leur savoir-faire au service, précisément, du « mouvement social », ce qu’il faudra naturellement continuer à faire. Par contre, le choix que nous avons fait, depuis maintenant plusieurs années, d’affirmer une alternative politique, un projet de rupture, de faire de la politique « pour notre propre compte » a soulevé, parmi eux, craintes, réticences et hostilité. De mon point de vue, l’intérêt de la recherche de partenaires politiques – qui a effectivement longtemps été au cœur de notre démarche (à tort ou à raison, chacun appréciera au prisme des orientations qu’il a défendues à un moment donné) – n’était pas tellement ces courants politiques en eux-mêmes (à la rubrique du débat politique et stratégique, la LCR a d’ores et déjà à peu près tout en magasin !) que la crédibilité politique qu’ils auraient pu donner à un projet de parti (plus) large, en évitant aux secteurs issus du mouvement social de se retrouver confrontés à un seul « appareil » (celui de la LCR). Ce que nous sommes aujourd’hui en train de faire est de prendre acte que cela ne se passera pas comme ça, qu’on le regrette ou que l’on considère que c’était évident dès le début.
Pour autant, le problème qui était posé n’est en rien résolu : la réticence des syndicalistes et des associatifs à s’engager « avec la Ligue seule » n’est pas levée, bien au contraire. Face à cela, on peut en déduire deux attitudes opposées. Soit considérer que, dans ces conditions, un nouveau parti n’est pas possible et qu’il faut attendre. Attendre que des partenaires décantent, surgissent, se créent. Au risque, on le voit bien, de devoir attendre... longtemps et de rater la fenêtre d’opportunité actuelle. Sous couvert d’ouverture, d’absence de sectarisme et d’audace, ce serait au fond une attitude assez immobiliste et, puisque le terme a beaucoup été employé, une attitude... frileuse. L’autre possibilité est de considérer que si d’autres courants (aujourd’hui inexistants), issus d’autres cultures politiques doivent un jour rejoindre un tel projet, ils le feront éventuellement sur la base des premiers succès que nous aurons remportés et des perspectives que nous aurons ouvertes. Et, donc, qu’il faut... faire, maintenant. La conséquence de cela est de considérer que si gagner au projet d’un nouveau parti des secteurs significatifs des animateurs du mouvement social doit rester une préoccupation, ce ne peut être un préalable pour avancer mais, au mieux, une conséquence de ce que nous été capables de faire, sans attendre.
* Le résultat de Buffet couronnant une campagne présidentielle qui a vu une série de dirigeants (et d’élus) locaux s’opposer à la direction va constituer un accélérateur de la crise du PCF. De ce point de vue, les élections législatives ont confirmé que le PCF n’était plus vraiment un « grand parti » ou, en tout cas, plus un grand parti véritablement national. Mais elles ont aussi montré la capacité de résistance – même face aux appétits socialistes - d’un certain nombre d’élus PCF bien implantés localement. Momentanément, cela donne un peu d’oxygène à la Direction. Mais cela risque d’être très momentané, comme le montrent les débats qui ont déjà surgi sur l’affaire du groupe parlementaire commun (avec les Verts, notamment) ou l’initiative des proches de R. Hue en faveur d’un nouveau parti. Et puis, surtout, ce résultat « inespéré » va avoir deux conséquences principales : d’une part l’affirmation du Parti et, d’autre part, la poursuite d’une stratégie d’alliance avec le PS. En effet, la bonne résistance électorale va renforcer une conviction que beaucoup partagent déjà : ce qui marche, ce sont les candidatures communistes, l’affirmation du « Parti », y compris avec de fortes tonalités identitaires. En tout cas, vu du côté des militants communistes, ça marche beaucoup plus... que les « fantaisies » anti-libérales ; tout le monde aura d’ailleurs noté (sans surprise en ce qui nous concerne) que les candidats communistes aux législatives se sont présentés comme tels (candidats PCF) et que la référence à la « gauche antilibérale et populaire » n’aura vécu que le temps de la présidentielle.
S’agissant du problème des rapports avec le PS, les législatives vont également alimenter l’idée que, certes, il faut se faire respecter par le PS - y compris en allant seul à la bataille au premier tour des législatives (pour les présidentielles, la conclusion semble moins évidente) - mais aussi que la seule perspective « sérieuse » demeure un rapport d’alliance (conflictuelle) avec le PS, aucune des différentes sensibilités du PCF - fort opposées sur divers autres thèmes - n’ayant d’ailleurs jamais présenté d’orientation alternative sur cette question. De plus, la perspective des élections municipales de l’an prochain ne devrait pas conduire à multiplier les prises de distance avec le PS, bien au contraire...
Même pour moi qui suis très attaché à ne pas s’enfermer dans un dialogue mortifère avec le PCF, il ne fait aucun doute qu’il existe des milliers de militant(e)s PC ou issus du PC, en tout cas marqués par la « culture communiste », qui vont se trouver en recherche d’une alternative au déclin ou aux impasses de leur (ancien) parti. Savoir comment on s’adresse à eux ne va pas de soi : le fait-on dans une confrontation strictement politique (programmatique et stratégique) avec la direction du PCF et/ou certains de ses courants constitués ? Ou bien prend-on plutôt en compte le fait que beaucoup, lassés des défaites du PCF et de son incapacité à réagir, se sont d’ores et déjà réinvestis prioritairement sur d’autres terrains d’intervention (syndicalisme, ATTAC, etc.), sachant que nous sommes nous-mêmes – à notre échelle – présents sur ces terrains et qu’il n’est a priori pas absurde d’aborder avec eux la question de l’alternative en partant des questions soulevées par une pratique commune (éventuellement conflictuelle) plutôt que par une confrontation politique générale ? Autre élément de la discussion : déjà, en petit nombre, des militants « d’origine communiste » se tournent vers la LCR. Faut-il, pour amplifier ce phénomène (et/ou jeter les bases d’un parti plus large), privilégier le débat avec les courants communistes existants ? Ou bien, la plupart des militants communistes (ou ex) qui s’intéressent à la LCR ne se reconnaissant pas dans les courants constitués - c’est même souvent pour cette raison qu’ils s’intéressent à la LCR... - est-ce, en réalité, contre-productif ?
Cela dit, même si l’exercice a un côté un peu convenu, je pense qu’il faut continuer la confrontation tant avec la direction du PCF qu’avec les différents courants, en s’adressant à eux comme nous l’avons fait au cours des deux dernières années (lettres et adresses au PCF, etc.). Nous n’avons rien à y perdre. Mais cela ne peut pas être notre pratique exclusive. Il faut regarder au-delà : une politique en direction de « l’espace communiste ».
* Lutte Ouvrière a connu de mauvais résultats aussi bien à l’élection présidentielle qu’aux élections législatives. On peut essayer de comprendre pourquoi, toujours avec le souci d’éviter les explications uniques, car le plus probable est qu’elles soient multiples :
– Le « combat de trop » pour Arlette et la concurrence d’Olivier, situé pour partie sur « le même créneau » ;
– Le positionnement de LO après le 21avril 2002 qui les ont, de fait, mis en marge des mobilisations anti-fascistes de la jeunesse ;
– Un positionnement moins clair que celui de la LCR vis-à-vis du PS lors des campagnes 2007 ;
– Leur incapacité à ouvrir des perspectives politiques, leurs succès électoraux passés n’ayant débouché sur rien.
On peut aussi, sans triomphalisme, mesurer le chemin que nous avons parcouru depuis 1995 dans le rééquilibrage (en notre faveur) du rapport de force au sein de la gauche révolutionnaire française.
Il faut, bien sûr, être attentifs au bilan que LO va tirer de cette séquence, même si cela s’avère sans doute assez peu prometteur, son pessimisme outrancier structurel servant de motif explicatif à tous les déboires : LO recule... parce que la conscience de classe recule ! Mais, du constat des échecs récents de LO il serait pour le moins hasardeux d’en tirer la conclusion hâtive que LO a disparu du champ politique et que le problème récurrent des rapports entre la LCR et ce courant politique a donc cessé d’en être un (de problème). Le principal obstacle demeure d’ailleurs le même : le paradoxe qui veut que, alors qu’il s’agit d’une organisation révolutionnaire (aux déformations sectaires), la seule chose qu’il soit possible de faire ensemble soit, de manière épisodique et aléatoire, des campagnes ... électorales !
Indépendamment même des rapports avec la direction de LO, nous ne pouvons ignorer l’existence de centaines de militants ou de sympathisants, aujourd’hui un peu orphelins et, donc, susceptibles d’être intéressés par les perspectives que nous pouvons proposer... si nous en proposons. Il faut donc, aussi, une politique en direction de « l’espace Lutte Ouvrière ».
* Au-delà des anti-libéraux, des animateurs du mouvement social, du PC et de LO, il est tout à fait possible qu’émergent des débats (de bilan et d’orientation) dans d’autres sphères qui nous sont en général moins familières mais qui sont également soumises aux remises en questions et aux crises consécutives à leurs défaites électorales et/ou politiques : par exemple, les courants oppositionnels du PS du NON (essentiellement PRS, mais les dernières déclarations de Mélenchon sur la question du « divorce » d’avec le PS semblent n’avoir duré que le temps d’apprendre la « divine surprise » du deuxième tour des législatives) ou la mouvance Verte et écologiste. Là encore, il nous appartient de définir une approche adaptée. Mais sans illusions excessives sur les résultats...
En résumé, il n’est donc pas question d’être ni indifférents, ni sectaires, ni arrogants ni... « frileux ». D’autant que, en comparaison de tous ces courants, nous avons plutôt bien passé l’épreuve et nous sommes tout à fait en capacité de confronter sans complexe notre bilan, nos analyses et nos propositions aux leurs. Donc... il faut le faire !
Mais il y a une question d’équilibre à préserver (à établir ?) entre ce que nous faisons dans cette direction (ou ces directions) et ce que nous faisons pour répondre aux secteurs qui se sont tournés spécifiquement vers nous et qui attendent quelque chose non des « antilibéraux » en général, ou des « révolutionnaires » en général, mais... de nous.
C’est donc à cette tâche qu’il faut prioritairement s’atteler, à cette tâche que la direction doit consacrer l’essentiel de son investissement. Accessoirement, c’est d’ailleurs notre capacité à avancer, à prendre des initiatives qui pourra, en retour, accélérer les décantations au sein des autres courants et regroupements. Et, en tout cas, elle nous évitera d’avoir en permanence à nous positionner par rapport à des initiatives ou à des projets à la consistance et à l’avenir incertains, portés par d’autres alors que, dans une certaine mesure, c’est nous qui avons la main. L’espace pour une force radicale anticapitaliste existe maintenant depuis un certain temps, notamment du fait de la faillite du stalinisme et de l’évolution social-libérale du PS. C’est cela que nous avons essayé d’appréhender à travers l’impulsion du débat sur la force nouvelle, les appels à rassembler la gauche anticapitaliste, etc. Mais ce qui vient de changer, c’est notre capacité d’initiative, notre capacité à faire.
En effet, le premier élément qui sera, je crois, assez partagé est qu’il faut faire quelque chose, bouger. Ne serait-ce que pour éviter de reproduire les carences de Lutte Ouvrière dont la candidate aux présidentielles a, par deux fois, dépassé les 5% sans rien faire de ces succès et a donc commencé à régresser. Malheureusement, cette conviction ne règle pas la question de ce qu’il faut faire précisément... D’autant que nous sommes contraints d’innover : pas seulement en pratique, mais dans la manière dont nous pensons la question de la « force nouvelle » ou du nouveau parti. Le problème essentiel qu’il faut traiter en urgence – et qui est une vraie rupture avec la manière dont nous posions, les uns et les autres, cette question – est que non seulement personne d’autre ne la résoudra à notre place mais que, en plus, la LCR sera seule (comme courant politique), du moins au début, pour commencer à essayer de la régler. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que nous sommes « isolés » [3]...
Il est patent que, par le passé, nous avons eu des conceptions différentes aussi bien sur le contenu exact du projet que sur les « partenaires » potentiels. Mais, pour la plupart, nous intégrions à notre réflexion des « partenaires » : plutôt des courants révolutionnaires (ou ce qui en serait issu) pour les uns, plutôt des courants de la gauche « critique » venus du vieux mouvement ouvrier (ou de ce qui en serait issu) pour d’autres, plutôt des équipes venues du « mouvement social » pour d’autres encore. Dans un premier temps, cela ne sera pas le cas et il faut en prendre acte. En conclure que nous ne pouvons rien faire (sinon le renforcement de la Ligue, ce qui n’est d’ailleurs pas un objectif méprisable) ne serait pas répondre à la hauteur. Maintenant, il faut discuter ce que nous voulons (et/ou pouvons) exactement faire nous-mêmes, à partir de nous-mêmes et de ceux qui se sont tournés vers nous. Et, surtout : comment le faire ? En évitant, si possible, les débats théologiques sur la « nature » d’un parti... encore potentiel.
Ainsi en est-il de la caractérisation a priori d’un nouveau parti : doit-il être « révolutionnaire » ? Si on entend par là la radicalité des objectifs et des moyens, une volonté de rupture, l’indépendance absolue vis-à-vis de partis qui, à l’évidence, ont renoncé à changer la société et même à combattre réellement des aspects essentiels du système, alors... cela va de soi. Sauf que – désolé d’être un peu « classique » - un parti révolutionnaire, dans notre tradition, c’est quand même un peu plus que cela : une stratégie pratique focalisée sur la prise du pouvoir, par exemple. Et là... Cela dit - question iconoclaste - est-ce que ce serait vraiment, sur ce plan, une rupture... avec la Ligue d’aujourd’hui ? Les échanges partiels que nous avons eus ces dernières années à ce sujet et, plus encore, ce que nous pouvons savoir sur les motivations de ceux qui nous ont rejoint dans les dernières années, montrent que la question est pour le moins largement ouverte.
Plutôt que de discuter préalablement, dans l’abstrait et à perte de vue, sur ce que sera éventuellement un parti éventuel, pourquoi ne pas essayer - sur la base du programme, du profil et du positionnement de la campagne - et voir ? Si « ça marche », nous aurons tout le temps d’avoir un débat plus concret et, s’il le faut, d’infléchir et de rectifier. Dans le même ordre d’idées, il serait peu fondé et peu opérationnel de commencer à chercher ce qui dans notre « programme » (révolutionnaire, mais inabouti) est « de trop » et qu’il faudrait enlever : franchement, personne ne nous demande cela. Ce que nous demandent ceux et celles dont nous pensons qu’ils pourraient rejoindre plus facilement un nouveau parti (anticapitaliste et de rupture) que la LCR (telle qu’elle est), c’est d’abord comment ils pourraient se l’approprier. C’est donc plutôt là-dessus qu’il faut travailler.