Pour Clément Therme, spécialiste du Moyen-Orient, le rapprochement entre les deux pays coïncide avec la désescalade voulue par le royaume saoudien et ses partenaires depuis plusieurs années.
L’Iran et l’Arabie Saoudite vont enfin se reparler en tête-à-tête. Ce vendredi, Riyad et Téhéran ont annoncé à Pékin le rétablissement de leurs relations diplomatiques après sept ans de brouille, s’engageant au terme de plusieurs jours de négociations à « rouvrir les ambassades et représentations [diplomatiques] dans un délai maximum de deux mois ».
Pour Clément Therme, enseignant à l’université Paul-Valéry de Montpellier, spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient, cette réouverture des discussions entre les deux pays va dans le sens d’une désescalade engagée depuis plusieurs années par l’Arabie Saoudite et ses alliés.
L’annonce marque par ailleurs une victoire symbolique pour la Chine et symbolise le recul de l’influence américaine dans la région.
Qu’est-ce qui explique la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ?
Ce processus de rapprochement entre les deux pays date de plusieurs années. Depuis 2019 et le pic de la crise, une lente désescalade s’est engagée.
On a vu que les partenaires de l’Arabie Saoudite, comme les Emirats arabes unis, avaient déjà repris les relations diplomatiques avec l’Iran.
– Pour les Saoudiens, il y a dans cette reprise des relations à la fois une volonté de trouver une solution au Yémen mais aussi une volonté d’autonomisation, de ne plus dépendre des fluctuations de la politique américaine. Car il y a eu une déception, d’abord vis-à-vis de la politique de l’administration Trump dans la région qui a conduit à une impasse, puis de l’approche plus ferme voulue par l’administration Biden.
– Enfin, il ne faut pas oublier la dimension économique qui rentre en compte. Pour garantir leur prospérité, les Etats de la rive arabe du Golfe se doivent de maintenir un certain degré de stabilité, donc d’être capable d’avoir un dialogue avec la république islamique d’Iran pour gérer les relations de voisinage.
On est dans une stratégie de gestion de la conflictualité au niveau régional.
Pourquoi les relations diplomatiques étaient-elles rompues ?
– L’étincelle a été l’attaque contre les installations diplomatiques saoudiennes à Téhéran en 2016 [après l’exécution par Riyad de Nimr Baqer al-Nimr, célèbre religieux chiite, ndlr]. C’est à ce moment-là que la rupture a eu lieu.
– Il y avait également à l’époque une dégradation des relations de l’administration Obama avec les Etats arabes en raison de la politique américaine qui était une politique d’équilibre entre les deux rives.
– Rentraient aussi en compte des tensions chiites-sunnites qui étaient plus fortes
qu’aujourd’hui, même si ça n’explique pas tout.
– Le pic des tensions a eu lieu en 2019 quand la compagnie pétrolière saoudienne Aramco a été touchée par des drones et missiles envoyés par l’Iran. 5% de la production mondiale de pétrole ont été mis à l’arrêt en dix-sept minutes.
L’administration Trump n’ayant pas réagi militairement, on était tombé dans une sorte d’impasse. Et depuis, une lente désescalade s’est amorcée.
Quel a été le rôle de la Chine dans tout ça ?
– La Chine a donné une plateforme, un cadre, une initiative nouvelle qui a permis cette percée. Ça a été possible car elle a eu la capacité de parler aux interlocuteurs des deux côtés, en entretenant d’excellentes relations avec les pays arabes du Golfe tout en maintenant un certain niveau de relations avec l’Iran en dépit des pressions américaines. C’est forcément plus facile pour la Chine que pour les Etats-Unis d’avoir une politique constante puisque c’est un régime autoritaire.
– Les intermédiaires régionaux (l’Irak, Oman) avaient aussi aidé en servant d’intermédiaires lors de réunions entre les deux pays par le passé. Mais c’est la Chine qui s’en tire avec une victoire avant tout symbolique.
– C’est aussi le symbole du recul américain dans la région, qui avait commencé pendant la période Obama.
Qu’est-ce que ces nouvelles relations vont changer concrètement ?
– La réouverture promise des ambassades entraîne la reprise d’un canal diplomatique direct. Désormais, les deux pays pourront discuter sans passer par les intermédiaires omanais ou irakiens. Il y a toujours eu des discussions pendant ces sept années, mais elles passaient par des intermédiaires.
– Par ailleurs, il existait aussi des discussions indirectes, au niveau de l’Opep par exemple. Les questions pétrolières de l’Opep par exemple. Les questions pétrolières avaient été mises de côté, il y avait toujours une certaine coopération. - Evidemment, la reprise des relations diplomatiques ne va pas tout régler, il y a toujours un contentieux, un phénomène de rivalité qui existe, mais c’est important d’avoir un canal de discussion.