Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), composé des plus grands spécialistes mondiaux du climat, a présenté lundi 20 mars la dernière partie de son vaste sixième rapport de synthèse.
Il a fallu huit ans à des centaines de scientifiques pour dresser ce bilan complet des connaissances humaines sur la crise climatique, qui compte des milliers de pages, mais se résume à un message : « agissez maintenant, sinon il sera trop tard ».
Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré : « Ce rapport est un appel à accélérer massivement les efforts climatiques de tous les pays, de tous les secteurs et dans un laps de temps contraint. Notre monde a besoin d’une action climatique sur tous les fronts : tout, partout, tout de suite. »
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Dans un langage sobre, le GIEC a exposé les ravages déjà infligés à des pans entiers de la planète. Les conditions météorologiques extrêmes provoquées par le dérèglement climatique ont entraîné une augmentation des décès dus à l’intensification des vagues de chaleur dans toutes les régions, la destruction de millions de vies et d’habitations lors de sécheresses et d’inondations, des millions de personnes souffrant de la faim et des « pertes de plus en plus irréversibles » dans des écosystèmes vitaux.
Le rapport de synthèse présenté lundi sera très certainement la dernière évaluation de ce type tant que le monde aura une chance de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, seuil au-delà duquel les dommages causés au climat deviendront rapidement irréversibles.
Kaisa Kosonen, experte en climatologie à Greenpeace International, a déclaré : « Ce rapport est sans aucun doute un dernier avertissement concernant le seuil de 1,5°C. Si les gouvernements maintiennent leurs politiques actuelles, le budget carbone restant sera épuisé avant le prochain rapport du GIEC [prévu pour 2030]. »
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Selon le GIEC, plus de 3 milliards de personnes vivent déjà dans des zones « très vulnérables » au dérèglement climatique. La moitié de la population mondiale souffre aujourd’hui d’une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année. Dans de nombreuses régions, prévient le rapport, nous atteignons déjà la limite à laquelle nous pouvons encore nous adapter à des changements aussi graves. Les phénomènes météorologiques extrêmes « entraînent de plus en plus de déplacements » de populations en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord, en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans le Pacifique Sud.
Toutes ces conséquences sont appelées à s’aggraver rapidement, car nous n’avons pas réussi à inverser la tendance à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, qui dure depuis 200 ans, malgré les avertissements lancés depuis plus de 30 ans par le GIEC, qui a publié son premier rapport en 1990.
La planète se réchauffe en raison de l’accumulation de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère, de sorte que chaque année au cours de laquelle les émissions continuent d’augmenter absorbe le « budget carbone » disponible et signifie que des réductions beaucoup plus drastiques seront nécessaires dans les années à venir.
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Pourtant, selon le rapport, il y a encore de l’espoir de ne pas dépasser 1,5°C. Hoesung Lee, président du GIEC [économiste sud-coréen, président depuis 2015], a déclaré : « Ce rapport de synthèse souligne l’urgence de prendre des mesures plus ambitieuses et montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore assurer un avenir durable et vivable pour tous. »
Selon le GIEC, les températures sont actuellement supérieures d’environ 1,1 °C aux niveaux préindustriels. Si les émissions de gaz à effet de serre atteignent le plus vite possible leur maximum et sont réduites rapidement au cours des années suivantes, il sera peut-être encore possible d’éviter les pires ravages qui résulteraient d’une augmentation de 1,5°C.
Richard Allan, professeur de sciences du climat à l’Université de Reading [près de Londres], a déclaré : « Chaque tout petit peu de réchauffement évité grâce à des actions collectives tirées de notre boîte à outils de plus en plus efficace est une nouvelle moins pire pour les sociétés et les écosystèmes dont nous dépendons tous. »
Antonio Guterres a appelé les gouvernements à prendre des mesures radicales pour réduire les émissions en investissant dans les énergies renouvelables et les technologies à faible émission de carbone. Il a déclaré que les pays riches devaient s’efforcer d’atteindre des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles « le plus près possible de 2040 », plutôt que d’attendre l’échéance de 2050 à laquelle la plupart d’entre eux se sont engagés.
John Kerry, l’envoyé spécial du président américain pour le climat, a déclaré : « Le message délivré aujourd’hui par le GIEC est on ne peut plus clair : nous progressons, mais pas suffisamment. Nous disposons des outils nécessaires pour éviter et réduire les risques des pires conséquences de la crise climatique, mais nous devons profiter de l’occasion pour agir maintenant. »
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Le « rapport de synthèse » présenté lundi est la dernière partie du sixième rapport d’évaluation (AR6) du GIEC, qui a été créé en 1988 pour étudier le climat et fournir une base scientifique à la politique internationale en matière de crise. Les trois premières parties du sixième rapport d’évaluation, publiées entre août 2021 et avril 2022, présentaient les fondements scientifiques à l’origine de la crise climatique et prévenaient que des changements irréversibles étaient désormais presque inévitables. La deuxième partie traitait des conséquences, telles que les destructions de l’agriculture, l’élévation du niveau des mers et la dévastation du monde naturel. Et la troisième partie traitait des moyens de réduire l’émission des gaz à effet de serre, notamment grâce aux énergies renouvelables, la restauration de la nature et les technologies permettant de capturer et de stocker le dioxyde de carbone.
Le « rapport de synthèse » ne contient pas de nouvelles données scientifiques, mais rassemble les messages clés de tous les travaux précédents pour constituer un guide à l’intention des gouvernements. Le prochain rapport du GIEC ne devrait pas être publié avant 2030, ce qui fait de ce rapport l’étalon-or scientifique pour les conseils aux gouvernements au cours de cette décennie cruciale.
La dernière section du rapport AR6 est le « résumé à l’intention des décideurs politiques », rédigé par les scientifiques du GIEC mais examiné par les représentants des gouvernements du monde entier, qui peuvent – et l’ont fait – réclamer des changements.
The Guardian a appris qu’au cours des dernières heures de délibérations dans la station touristique suisse d’Interlaken le week-end dernier, l’importante délégation saoudienne, composée d’au moins 10 représentants, a fait pression à plusieurs reprises pour affaiblir les messages sur les combustibles fossiles et pour insérer des références à la capture et au stockage du carbone, vantés par certains comme un remède à l’utilisation des combustibles fossiles mais dont l’efficacité à grande échelle n’a pas encore été prouvée.
En commentaire au rapport, Peter Thorne, directeur du centre de recherche climatique Icarus de l’Université de Maynooth, en Irlande, a déclaré que l’année prochaine, les températures mondiales pourraient dépasser la limite de 1,5 °C, mais que cela ne signifiait pas pour autant que cela, à long terme, soit la limite. Il a affirmé : « Quel que soit le scénario d’émissions retenu, nous atteindrons 1,5°C au cours de la première moitié de la prochaine décennie. La vraie question est de savoir si nos choix collectifs signifient que nous nous stabiliserons autour de 1,5°C ou que nous dépasserons 1,5°C, atteindrons 2 °C et continuerons sur notre lancée. »
Fiona Harvey (Environment editor)