Traditionnellement, en Allemagne, cette convention est négociée en trois cycles et un accord est généralement conclu lors du troisième cycle. Cette année, contrairement à la convention collective précédente (de 2020), cela n’a pas été le cas. La grève du lundi 27 mars n’avait qu’un seul objectif pour les syndicats : dire aux patrons et au gouvernement qu’ils sont sérieux. Il s’agissait d’une pure démonstration de puissance de classe.
Tenir bon
À l’instar du syndicat des transports (qui réclame une augmentation salariale de 650 €, soit 12 %), Ver.di a présenté ses revendications sans concession autour d’une augmentation linéaire [uniforme, valable pour toutes et tous] de 500 € comme revendication centrale et, en plus, d’une augmentation salariale de 10,5 %. Elle demande même une augmentation de 200 € pour les personnes en contrat de formation. Et tout cela est valable pour un an à partir de maintenant, sans report. Mais les patrons des entreprises du secteur public et les responsables politiques des administrations locales et fédérales n’ont pas cédé. Contrairement au syndicat de la métallurgie - IG Metall - Ver.di n’a pas accepté la proposition patronale d’un paiement unique et d’une augmentation salariale - non linéaire et inférieure à l’inflation - étalée sur les deux prochaines années.
Pourquoi Ver.di adopte-t-il une position aussi dure ? Le syndicalisme allemand se caractérise par sa volonté traditionnelle de dialogue social, le « pactisme » de ses dirigeants et le rejet du radicalisme. Si aucun accord acceptable n’est conclu à l’issue de la période de conciliation du troisième cycle, il est possible qu’une grève générale illimitée soit déclenchée dans le secteur public. Le syndicat travaille déjà sur ce scénario, qui ne s’est produit qu’en 1974 et 1992. En 1974, le gouvernement de Willy Brandt a cédé en accordant une augmentation salariale de 11 % après trois jours de grève générale (les syndicats demandaient 15 % et le gouvernement offrait 9,5 %). En 1992, la grève s’est terminée après 12 jours de perturbation considérable de la production par un accord sur une augmentation de 5,4 % (55 % des syndicats de base ayant voté contre l’accord). Ces appels ont un impact très important, car outre les transports ferroviaires, les aéroports, les routes et les transports municipaux, les services de base tels que le ramassage des ordures et les hôpitaux seront en grève.
Ce qui permet de comprendre la position de Ver.di dans ces négociations, outre l’impact de l’inflation (parmi les plus élevées d’Europe), c’est sa stratégie à la base, qui consiste depuis quelques années à mettre en œuvre - voire à expérimenter - des mesures visant à ralentir la perte d’adhérents. Parfois, mais pas toujours, cela implique des positions de combat plus engagées et l’utilisation de méthodologies d’organisation. Si Ver.di peut occuper la position de négociation dans le secteur public et dire non à la proposition adverse, c’est parce qu’il a amené ses membres et son environnement à une disposition combative inédite dans l’histoire récente du syndicalisme allemand. Mais cette dynamique n’est pas purement descendante [verticale, de haut en bas]. C’est la réponse de la base à cette stratégie qui a mis les dirigeants syndicaux sur la voie du non-retour concernant le conflit. Entre janvier et mars 2023, le syndicat a gagné 70 000 nouveaux membres (12 000 proviennent de la lutte postale, qui relève du secteur privé). Les militants impliqués dans les campagnes téléphoniques massives du syndicat pour cette campagne décrivent un schéma qui est répété par les membres qui étaient jusqu’à présent désenchantés par l’organisation : « Cette fois, Ver.di prend les choses au sérieux et nous allons nous battre ».
Cette étatt d’esprit a été obtenu grâce à une préparation minutieuse du conflit, avec de nombreux mois de travail, des propositions ambitieuses et la mobilisation de nombreuses ressources à la disposition des stratégies de base. Avoir un bon plan dans la lutte syndicale peut faire une différence radicale, surtout par rapport à la façon dont les autres syndicats allemands se sont comportés face à l’inflation ou à l’attitude classique de nos syndicats majoritaires en Espagne. Il vaut la peine d’entrer dans les détails de cette préparation, qui a commencé dès avant l’été 2022, plus de neuf mois avant le début de ce troisième cycle de négociations.
Le plan
Au printemps 2022, la direction du syndicat a préparé un plan stratégique à développer par phases jusqu’au printemps 2023. Ce plan visait à mobiliser le plus grand nombre possible de membres et de non-membres du syndicat dans le secteur public. L’une des pierres angulaires du plan stratégique était une enquête auprès des employés du secteur public sur leurs propres revendications. Cette enquête a servi à structurer un processus démocratique ultérieur, qui a permis de dresser la liste des revendications qui constituent la position de négociation actuelle du syndicat. L’enquête était à la fois un objectif et un outil. D’une part, elle a fourni une connaissance de première main de l’état d’esprit du personnel, de sa perception de ce qu’il était juste de demander et de la mesure dans laquelle il était prêt à se battre en tant que collectif. Cette enquête a produit des résultats surprenants montrant que les employés, confrontés à des revendications ambitieuses (obtenir une augmentation salariale au moins égale au niveau de l’inflation dans la nouvelle convention collective), étaient prêts à se mettre en grève et à aller au-delà. Cette enquête a été réalisée numériquement, mais aussi sur papier, physiquement, de sorte que sa distribution et l’obtention de l’engagement des membres du syndicat à la réaliser auprès de leurs collègues (affiliés ou non à Ver.di), ont permis de constituer un corps de militants syndicaux qui se consacrent depuis lors à la promotion d’une négociation à la hausse de l’accord.
En même temps, afin de renforcer encore ce corps de militants, une action téléphonique de masse a été menée. Un numéro de téléphone pouvait éventuellement être fournit pour l’enquête. De cette manière, le syndicat a reçu des milliers de numéros de téléphone de non-membres, qui ont été appelés un par un dans les mois qui ont suivi. Les résultats des appels ont donné une idée de la volonté de lutter : 70 % d’entre eux se sont engagés à continuer à distribuer physiquement le questionnaire de l’enquête sur leur lieu de travail.
L’achèvement de l’enquête et la diffusion des revendications dans un processus structuré avec les délégués ont été suivis, à la fin de l’été 2022, d’une série d’assemblées sur les lieux de travail, au cours desquelles les résultats ont été présentés et les préparatifs pour la signature de pétitions ont commencé. Ces pétitions - collectes de signatures - sont très courantes dans la culture politique anglo-saxonne et dans les milieux syndicaux d’Europe centrale. Le plan stratégique du syndicat a sélectionné dix grands lieux de travail publics dans chacune des 60 régions dans lesquelles le syndicat a divisé sa structure (comme la Charité à Berlin, le plus grand hôpital d’Europe) et a fixé l’objectif d’obtenir plus de 50 % des signatures de l’ensemble du personnel dans chacun de ces lieux de travail (ce qui a été réalisé) pour soutenir les revendications résultant de l’enquête. Dans chacune de ces 60 régions, on a tenté d’obtenir le maximum de signatures, soit plus de 350 000 au total. Ensuite, des manifestations publiques ont été organisées dans toute l’Allemagne, en présence de la presse, où les signatures ont été remises aux patrons (directeurs, maires, ministres, etc.) par des cortèges de salariés. À chaque action, la confiance du personnel dans l’action collective a été renforcée. Ce processus a duré d’octobre à la fin de l’année, et les manifestations publiques ont eu lieu à partir de décembre.
Tant les actions autour de l’enquête que les pétitions représentent, dans le jargon de l’organisation, ce que l’on appelle un test de structure. Ces tests sont généralement réalisés au niveau de l’entreprise ou de la ville, et c’est la première fois qu’une action similaire est menée au niveau national. L’objectif est de mesurer en permanence le niveau d’engagement des travailleurs susceptibles d’être appelés à la grève. Il s’agit d’intensifier progressivement les actions, tout en élargissant le réseau de personnes activement impliquées dans le processus. L’objectif est d’arriver au moment où le vote de grève doit avoir lieu avec la main-d’œuvre aussi unie que possible autour d’un « oui ».
Petites grèves
Après le premier cycle de négociations sur l’accord à la fin du mois de janvier, le plan du syndicat prévoyait ce qu’il appelait des petites grèves. Légalement, il n’est pas possible de faire grève avant la fin de ce premier cycle. C’est pourquoi, une fois celui-ci terminé, le syndicat a mis en œuvre une utilisation très nouvelle, originale et imaginative de la grève. Le syndicat a lancé des petites grèves en convenant, centre par centre et personne par personne (membres), qui ferait la grève. Ces personnes (nous parlons de milliers) profitaient de ces journées pour se faufiler sur les lieux de travail ou pour téléphoner à leurs collègues, afin de les inciter à lancer les véritables appels à la grève qui allaient suivre. Cette action a également été un succès : l’utilisation de petites grèves a permis de libérer des milliers d’heures de militants ad hoc pour promouvoir les grands arrêts de travail. La distance par rapport à une conception bureaucratique et formelle du syndicalisme ne pouvait pas être plus grande !
Conséquence de tout ce processus et du vaste plan déployé par le syndicat, toutes les grèves déclenchées dans le cadre de la négociation de cet accord sont massivement suivies. Le militantisme et la participation ne souffrent d’aucune comparaison avec les négociations précédentes, ce qui permet aux négociateurs syndicaux de maintenir des positions fortes.
À l’heure actuelle, les négociations dans le secteur public sont complètement interrompues et il est possible qu’une grève générale illimitée soit déclenchée dans le secteur public si la médiation exigée par la loi ne résout pas le conflit. La période de médiation de trois semaines qui vient de commencer à la fin du mois de mars est clairement destinée à calmer l’humeur des travailleurs. Mais le syndicat a encore un plan. Il s’agit de préparer, dès à présent, le scrutin sur chaque lieu de travail sur cette grève illimitée (scrutin obligatoire selon la loi). Par le biais d’une autre action téléphonique de masse, l’objectif est de faire en sorte qu’un membre sur 20 (des 400 000 membres du secteur public municipal et fédéral) devienne un militant bénévole sur son lieu de travail pour promouvoir le oui à la grève illimitée. Les appels ont déjà commencé...
Le dialogue social ne fonctionne pas
L’orientation de certaines sections de la direction de Ver.di vers de telles stratégies repose sur une analyse froide de l’évolution des syndicats européens au cours des trente dernières années. La perte de syndiqués qui a accompagné l’orientation des syndicats de services et du dialogue social (ce qui en Europe est généralisé sous le terme de partenariat social) a conduit à un déclin imparable du pouvoir des syndicats et de leur capacité à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière. Ainsi, certaines fissures dans l’approche bureaucratique des conflits syndicaux au sein de Ver.di s’élargissent.
La nouvelle orientation consistant à mettre le pouvoir structurel de leurs membres à la disposition des mouvements sociaux dans certains secteurs stratégiques est également frappante. Dans ce processus d’accord avec le secteur public, les grèves dans les transports - réelles, avec de nombreuses heures de travail perdues - déclenchées le 3 mars avec le soutien du mouvement « Fridays for Future » [Le Vendredi pour l’Avenir] ont joué un rôle clé. Elles ont permis d’inclure des revendications écologiques dans les négociations (concernant l’expansion des transports publics, par exemple) et d’ouvrir les piquets de grève à la participation de militants écologistes.
Un phénomène très similaire s’est répété le 8 mars avec le mouvement des femmes. Cette orientation modifie la perception sociale des syndicats, en particulier chez les jeunes organisés, et permet de créer des vases communicants idéologiques entre les membres des syndicats et les autres secteurs en lutte. Dans une large mesure, l’impulsion de cette nouvelle orientation syndicale est due à la participation au sein du syndicat de nombreuses personnes appartenant à des organisations de gauche qui, d’une manière ou d’une autre, font partie d’une stratégie de lobbying coordonnée.
Nous ne savons pas si la campagne actuelle pour la nouvelle convention du secteur public se terminera par une victoire pour les travailleurs. En tout cas, tout ce qui a été fait jusqu’à présent est une leçon centrale dont le syndicalisme bureaucratique devrait s’inspirer, ne serait-ce que pour sa propre survie.
Miguel Sanz Alcántara est militant d’Anticapitalistas.