Enfance de Jacques Soncin
Jacques Soncin est né à Nîmes le 28 juillet 1946. Il grandit dans une villa dans les hauts de la ville avec ses parents, sa grande sœur, Annie, et son frère, Henri. Il suit une scolarité normale, primaire au collège Saint-Stanislas et secondaire au lycée Alphonse Daudet. Après une bagarre d’enfants qui lui a laissé une grave blessure, il connaît une adolescence agitée. A 14 ans, en 1960, il participe à sa première manifestation : Pour la paix en Algérie. Vers l’âge de 18 ans, ses rapports, toujours difficiles, avec son père se dégradent et il quitte le foyer familial. Il enchaîne des petits boulots puis présente son bac en candidat libre. En 1967, il commence des études de Médecine à la faculté de la Timone à Marseille. En mai 1968, il est au cœur du mouvement étudiant. Très militant, il continue son cursus universitaire jusqu’en quatrième année de deuxième cycle (6e année). Là il intervient violemment dans le cadre de son stage hospitalier contre des actes racistes de la part d’un médecin du service. Il est contraint de quitter la fac. Dans la même époque, en 1973, le développement d’une terrible campagne raciste, le place au centre d’une véritable tentative de liquidation : condamné à mort par les groupes néo-nazis, menacé par le quotidien d’extrême-droite « Le Méridional », il est harcelé par la police. La vie à Marseille devient impossible pour lui, et, en 1974, il quitte Marseille.
Militant politique
Jacques Soncin est très actif durant le mouvement de mai 1968. Leader étudiant sur le campus de Luminy, vice-président de l’Association générale des étudiants de Marseille (AGEM UNEF), il est l’une des figures du mouvement étudiant. Après mai 68, il milite dans plusieurs groupuscules d’extrême gauche, parmi les plus radicaux. Dans cette période, il est particulièrement actif sur les questions de racisme, de solidarité aux immigrés, et de solidarité internationale, notamment celle concernant le Vietnam, la Palestine et les mouvements de libération en Afrique. Il s’oppose fermement à la brutalité policière visant la destruction des bidonvilles à Marseille. Arrêté, il passe un mois en prison pour avoir entravé l’avancée des bulldozers, alors que les gens n’avaient même pas pu sortir toutes leurs affaires des cabanes vouées à la destruction. Ensuite, il participe à la mise en place du groupe Révolution. En médecine, avec les autres membres du Comité de lutte, il se fixe pour objectif le démantèlement de la Corpo, qui regroupe toute l’extrême droite. Il s’en suit des bagarres extrêmement violentes, qui se termineront par la démission du doyen, la fin de la Corpo et… sa quasi-exclusion de la fac. Après un grand meeting contre le racisme avec de nombreuses personnalités nationales dont il assure la protection, les flics tentent de s’emparer de lui, il est contraint de se cacher, et la vie devient vite impossible pour lui à Marseille.
Illustration : Manif1973. Jacques Soncin est devant, au centre, en blouson sans casque.
Fin 1973, il s’installe à Montbéliard, puis Belfort. Le fait d’avoir validé cinq années de médecine lui donne l’équivalence du diplôme d’infirmier. Il travaille à l’hôpital de Belfort et il milite pour développer le groupe Révolution dans la région Nord-Est de la France. En 1976 Révolution fusionne avec une partie du PSU et devient l’Organisation communiste des travailleurs. Après une année d’intense développement, l’OCT entre en crise et Jacques Soncin est appelé à Paris où il déménage en décembre 1977. En pleine crise du groupe, le 22 mars 1978, il est enlevé avec sa camarade, une stagiaire allemande, récemment arrivée en France, par un groupe de policiers qui a fait irruption chez elle. Ils sont séparés. Il est relâché quelques heures plus tard. Il retrouve la jeune femme dans un hôpital parisien, gravement blessée, visiblement torturée et totalement amnésique de ce qui vient de se passer. Un procès contre la police s’engage, qui va transformer leur vie en enfer. Pendant 4 ans, ils vont être confrontés à l’arrogance, au mensonge et à la déloyauté des institutions. Finalement, le juge prononcera un non-lieu évoquant la possibilité que la jeune femme se soit torturée elle-même pour compromettre la police ! Cette affaire qui se situe dans le contexte des années de plomb, la RAF en Allemagne, les Brigades rouges en Italie et Action directe en France a eu un impact important sur les motivations et la détermination de Jacques Soncin. A la tête de l’OCT, il devient le gérant des Editions GL et le directeur de publication de l’Etincelle, le mensuel de ce Mouvement. En 1981, après la victoire de Mitterrand à la présidentielle, il décide de quitter l’activité politique, du moins sous sa forme partidaire, et de se consacrer au travail de journaliste et de lutte médiatique. Il revient à Marseille et participe à la création de Radio Galère. Au niveau national, il se situe dans l’explosion des radios libres.
Photo : Jacques Soncin (1982)
En 1983, il épouse Nedjma Ouari. Trois filles seront issues de cette union.
Directeur de Radio Galère
Dès que les financements le permettent, il est appelé à la direction de la radio. Il se consacre à la formation de l’équipe qu’il ouvre largement aux jeunes issus de l’immigration. Il fait un gros travail sur la programmation et s’occupe plus particulièrement de l’information. Il met en place un magazine, le dimanche matin, auquel il donne le nom de « Tirons la chasse », qui reprend de manière critique et humoristique l’actualité de la semaine. Très rapidement, Radio Galère devient la voix de la résistance à la montée du lepénisme et du Front national à Marseille. Anne Tristan note dans « AU FRONT », le livre qu’elle a écrit sur son entrisme dans le Front national marseillais, que le FN demandait l’interdiction de Radio Galère.
Dirigeant de la Confédération nationale des radios libres (CNRL)
Dès la libération des ondes, Jacques Soncin participe aux négociations sur les conditions de cette libération. Il rencontre le ministre Georges Fillioud à plusieurs reprises. En 1984, il est élu président de la Cnrl. Il rédige la Charte des Radios libres, qui est adoptée par la Cnrl et reprise par un grand nombre de radios. Le ministre le nomme à la Commission consultative des radios locales privées, chargée de donner un avis sur les autorisations de Radios. Il est ensuite nommé à la Commission chargée de répartir le Fonds de soutien à l’expression radiophonique. Il sera reconduit régulièrement à ce poste pendant près de dix ans par les ministres successifs de gauche comme de droite. En 1989, il publie « Au cœur des radios libres », qu’il a écrit en collaboration avec Jean Bénetière et qui relate l’histoire des radios pirates puis libres du milieu des années 1970 à la fin des années 1980. C’est à ce jour encore, le seul livre existant sur cette thématique très spécifique.
Illustration LivreJB-JS
Dans cette période, en tant que journaliste, il est correspondant de Politis et de Libération, il écrit aussi dans La Marseillaise, le Monde, le Monde Diplomatique, Télérama… Après son départ de Radio Galère il s’éloigne peu à peu de l’équipe, qui prend une direction différente. Il rompt définitivement avec Radio Galère après les graves dérives du début des années 2000.
En 1989, les radios libres lui demandent de prendre la charge de directeur de la Confédération. Sa feuille de route : créer une radio associative sur Paris, éditer un magazine papier d’information sur le secteur associatif des médias et donner une dimension internationale aux radios libres de France. C’est ainsi qu’il crée, avec Jean Bénetière, Fréquences libres, un mensuel d’information sur la radio. Il en est le fondateur et le rédacteur en chef. Il travaille notamment sur la rédaction avec Olivier Morel et Yvan Jossen et avec Jean Bénetière sur la logistique. Dans la période de formation de l’Urcaf, le magazine s’attachera la collaboration d’une journaliste gabonaise de talent vivant en France, Mengue M’EYAA. De 1991 à 2007, 120 numéros ont été publiés et constituent une indispensable mémoire du combat des radios libres dans cette période.
En 1992, il déménage avec Nedjma et leurs deux filles à Paris, une troisième viendra un peu plus tard et naîtra à Saint-Denis. Pour mettre en place une radio associative, il réunit les associations regroupées dans le Conseil des associations issues de l’immigration, Radio Tomate et la CNRL qui fondent ensemble le Programme associatif radiophonique d’intérêt social (PARIS). Cette nouvelle structure demande une autorisation d’émettre au CSA. Elle leur est accordée et la nouvelle radio, qui prend le nom de Fréquence Paris Plurielle (FPP), commence ses émissions le 2 septembre 1992. A ce jour, FPP émet toujours, c’est la grosse radio associative parisienne et Jacques Soncin en est encore le président, même s’il exerce cette fonction d’un peu loin. Très critique vis à vis de l’évolution et de la concentration des médias audiovisuels dans les mains de quelques financiers de droite, il intègre cette thématique dans Fréquences libres. En 1995, Henri Maler, Serge Halimi, Jacques Soncin et quelques autres créent l’ACRIMED qui va devenir le site de référence de la critique des médias. En 2000, Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication, le nomme au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), où il sera reconduit en 2005 par Renaud Donnedieu de Vabres, le ministre de droite qui lui succèdera.
Activité internationale
A partir de 1990, il est en contact avec l’Institut Panos, qui milite en Afrique pour le pluralisme des médias et qui commence à découvrir l’intérêt des radios libres pour remplir ses missions. En 1993, quelques temps après la chute du dictateur, Moussa Traore, que la France a imposé au Mali pendant des décennies, l’Institut Panos organise à Bamako un grand colloque sur la démocratisation des médias. Jacques Soncin y est invité. A cette occasion, il rencontre le tout nouveau président élu, Alpha Oumar Konare. C’est un homme de grande culture, il est aussi patron de presse et il a été un opposant intransigeant à la dictature de Moussa. Au cours d’une longue discussion, ils évoquent l’intérêt que pourrait avoir la mise en place d’un événement célébrant le développement des radios libres en Afrique. A cette époque, seuls deux pays du continent ont vraiment libéralisé la radio : le Mali de Konare et l’Afrique du Sud de Mandela. De cet entretien sortira une longue interview du président malien qui sera publiée dans Fréquences libres et diffusée sur les ondes de près de 300 radios libres en France et au Mali. Alpha Oumar Konare tient son engagement : à partir de 1997, tous les deux ans, se tient à Bamako un festival des ondes appelé Ondes de Liberté, chaque édition ayant une thématique différente se rapportant aux missions des radios. Ce Festival est co-organisé par le gouvernement malien, L’Union des radios et télévisions libres du Mali (URTEL) et l’Institut Panos Afrique de l’Ouest. Jacques Soncin participera à toutes les éditions jusqu’en 2007 en tant que membre du jury, dont il sera le président en 2007. Il continue, pendant toutes les années 1990 et 2000, à travailler avec l’Institut Panos. En 1996, il anime un stage de formation des journalistes africains de Panos à Yaoundé. Avec le Gret, appuyé par le ministère des affaires étrangères, l’Agence de la francophonie et la Commission européenne, il écrit, en collaboration avec Jean-Michel Brosseau, un livre de formation pratique à la presse en Afrique : « Créer, gérer et animer une radio ».
Illustration : LivreJMB-JS
Il fait adhérer la Cnrl à l’Association mondiale des radios communautaires (Amarc). Il appuie la création de l’Amarc Europe, qui est animée, côté français, par Olivier Morel. Mais très vite, il cherche à regrouper les radios francophones pour favoriser des synergies de travail dans le domaine radio entre le Sud et le Nord et plus singulièrement entre la France et l’Afrique. En 1997, il est invité à Johannesburg pour la première conférence panafricaine des radios communautaires. Il est chargé d’écrire un projet de Charte mondiale des radios associatives et communautaires. C’est à cette occasion qu’il croise le chemin de Nelson Mandela… L’idée d’un regroupement des radios francophones avance vigoureusement et elle est soutenue par le ministère français des affaires étrangères et par l’Agence de la francophonie. En 1999, plusieurs centaines de Radios venues d’Afrique, d’Amérique, d’Europe, de l’océan Indien, du Pacifique, se réunissent à Moncton, au Canada, dans la province du Nouveau-Brunswick. Toutes ces radios, qui ont la langue française en commun, fondent l’Union des radios communautaires de l’aire francophone (Urcaf). Jacques Soncin en est élu président-fondateur. Il le restera jusqu’au congrès de Ouagadougou, en 2004, au cours duquel il passera le flambeau de la présidence à André Eugène Ilboudo.
En 1999, il revient, avec sa famille, s’installer à Marseille et développe ses activités à partir de la cité phocéenne. En Afrique, l’explosion des radios libres continue de s’étendre ! La chute de Mobutu permet aux radios de se développer au Zaïre, devenu la République démocratique du Congo (RDC), après l’arrivée de Laurent Désiré Kabila. Les nouvelles radios forment une association, l’Arco, et organisent, en mars 2001, le Festival Fréquences libres à Kinshasa. Jacques Soncin y est invité à intervenir, avec d’autres personnalités, ce qui constituera un gros dossier dans le magazine Fréquences libres. L’année suivante, le ministère des affaires étrangères lui demande de réaliser une étude sur le paysage radiophonique en Afrique sub-saharienne. Pendant tout le mois de février 2002, il parcourt le Mali, le Burkina, le Gabon, les deux Congo, l’Afrique du Sud et le Sénégal, il en résulte un ouvrage de cent cinquante pages, écrit avec Saphie Ly, l’ancienne secrétaire générale de l’Amarc, qui l’a aidé dans cette entreprise. A partir de ce travail, le ministère met en place une vaste politique d’aide à la création radiophonique en Afrique. En 2003, l’institut Panos, appuyé par la Coopération britannique, lui commande une enquête sur l’état des radios et leur possible regroupement dans l’est du Congo démocratique : en novembre 2003, Jacques Soncin rencontre les patrons de stations du Sud et du Nord Kivu, du Maniema et de la Province orientale. Il en écrira une monographie présentant ces radios dans leur contexte géographique et social. Il s’en suivra la mise en place en février 2004 du Rateco, un réseau de radios libres se situant à la frontière du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. A cette occasion se déplaçant sur près de 1.000 km à travers les chemins de ces provinces, il pourra constater les dégâts immenses provoqués par le génocide du Rwanda, la déportation des populations à l’est du Congo et les incursions et agissements des militaires rwandais dans cette région, véritablement martyrisée. Il continue pendant les années suivantes à apporter son expertise dans le cadre de différentes missions en Afrique, qui le conduiront dans les différentes provinces de RDC, au Maroc, en Tunisie, en Algérie, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique et même en Jordanie. En 2002, il participe à Montréal à un regroupement de radios francophones où il prend une forte position contre les dérives de certaines radios canadiennes. En 2003, avec Thomas Yzèbe, chargé de mission à la CNRL, il met en place grâce au soutien du ministère des affaires étrangères et de l’agence de la francophonie, une radio provisoire émettant à partir du lieu de rassemblement des radios francophones à Rufisque, près de Dakar. En 2005, à la demande du Ministère des affaires étrangères, il intervient au congrès des radios associatives de la République démocratique du Congo à Lubumbashi. En 2006, il réalise pour l’Institut Panos une mission d’évaluation des Pôles d’appui aux radios indépendantes (PARI) dans les provinces de l’Est de la RDC. En 2008, à la demande d’organisations mauritaniennes, avec l’appui de l’Organisation internationale de la francophonie et de la Commission européenne, et en partenariat avec le gouvernement mauritanien, il organise à Nouakchott un Colloque international pour la libération des ondes en Mauritanie. Hélas, juste après cet évènement, un coup d’Etat a stoppé les avancées dans ce domaine. Depuis quelques années, il est très sollicité sur la question du passage des radios à la diffusion numérique : invité en 2009 par la francophonie à un colloque à Ouagadougou, en 2011 par Solidarité francophone à Dakar, en 2012 par Solidarité francophone et le gouvernement Haïtien à Cap Haïtien, en 2012 par l’Institut Panos et les autorités Burundaises à Bujumbura.
En 2005, des manœuvres dans les radios françaises ont conduit à la liquidation de la Cnrl. Un syndicat corporatiste, le Snrl, l’a remplacée. Jacques Soncin a cessé sa collaboration dans ce contexte. En 2008, il a soutenu Radio Gazelle à Marseille. Cette station s’adresse à toutes les communautés de la cité phocéenne, elle a été créée en 1981 par des jeunes issus de l’immigration et elle est très écoutée, notamment dans les quartiers les plus pauvres de la ville. Le CSA avait donné sa fréquence à un réseau commercial parisien, lié au dictateur tunisien Ben Ali. La mobilisation et le Conseil d’Etat ont contraint le CSA à revenir sur sa décision.
En 2008, Jacques Soncin a été élu président de l’Institut Panos Paris, qui devient, en 2013, l’Institut Panos Europe.
Aujourd’hui
Jacques Soncin continue son travail avec l’Institut Panos Europe. Il est toujours président de Fréquence Paris Plurielle. Il s’engage en 2010 avec Europe Ecologie les Verts et suit la campagne présidentielle d’Eva Joly. Il crée, en 2013, avec d’autres responsables politiques, le Sursaut qui se fixe pour but un grand rassemblement pour rénover la vie politique à Marseille. Dans la suite logique de ce mouvement, il soutient la candidature de Pape Diouf à la mairie de Marseille, en mars 2014. Déçu par les résultats et par la victoire de l’extrême-droite dans l’un des secteurs populaires de Marseille, il reproche à l’équipe Diouf de ne pas avoir appelé à voter contre le Front national au second tour. Il se consacre fortement au redressement économique de l’Institut Panos Europe. Malgré la qualité de ses missions et l’importances de son travail, l’IPE traverse une situation financière extrêmement difficile et à l’issue très incertaine.
Texte écrit par Eva Soncin