Les récentes inondations de janvier 2023 en Californie ont médiatisé un phénomène atmosphérique d’intensité extrême : les rivières atmosphériques.
Celles-ci sont caractérisées par des flux d’humidité très intenses dans la partie basse de l’atmosphère, c’est-à-dire dans la troposphère (les dix premiers kilomètres d’atmosphère environ), qui s’écoulent de façon presque linéaire, comme si elles étaient contraintes à suivre le lit d’une rivière imaginaire.
Les rivières atmosphériques sont accompagnées de vents violents et de très fortes précipitations. En Californie, où elles ont été initialement décrites, ces pluies diluviennes provoquent le débordement des rivières et la houle et l’onde de tempête aggravent les inondations le long des régions côtières.
Une rivière en crue à Nevada City, en Californie. Kelly M. Grow/California Department of Water Resources
Néanmoins, leurs impacts sont aussi forts en Europe. Le cyclone extratropical Alex en 2020 s’était dirigé vers le nord de la France et avait, au sud, produit un flux intense de vapeur d’eau traversant la Méditerranée du détroit de Gibraltar au sud-est de la France et au nord-ouest de l’Italie. Cette rivière atmosphérique, renforcée par l’évaporation de la mer Méditerranée et par l’interaction avec le relief, avait provoqué des pluies torrentielles et des crues dévastatrices des régions de la Ligurie et du Piémont italiens dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020 et le décès de 15 personnes.
Le coût des destructions occasionnées en Europe et aux États-Unis depuis les années 2000 se compte en milliards d’euros.
Malgré cela, les rivières atmosphériques ne sont pas un phénomène nouveau : elles participent au cycle de l’eau, et sous nos latitudes, leurs effets sont assez bien connus. Mais nos recherches récentes montrent que les rivières atmosphériques existent aussi dans les régions polaires, où elles ont un impact important sur la calotte glaciaire.
Comme une rivière flottant dans l’air
Une rivière atmosphérique est un flux atmosphérique très intense, qui s’écoule généralement sur des milliers de kilomètres avec une forme « filamentaire », telle une immense rivière dans le ciel.
En raison de la forme de la rivière atmosphérique, le flux se déplace rapidement et concentre les précipitations dans une région de faible étendue (contrairement aux dépressions classiques dont on entend parler à la météo, qui sont en forme de grands « tourbillons » et ont tendance à « étaler » les précipitations sur des zones plus grandes à la surface de la Terre). Le flux d’air chaud et humide subit généralement une ascendance vers le haut de la troposphère lors de son déplacement vers les hautes latitudes, ce qui provoque une forte condensation (générant des gouttes d’eau et des flocons de neige), et des précipitations très intenses.
L’intensité et la forme du flux d’humidité ont justifié leur nom métaphorique de « rivières ». Il faut dire aussi que la quantité d’eau transportée, sous forme de vapeur d’eau et de gouttelettes, excède parfois celle du débit annuel des plus grands fleuves.
Les rivières atmosphériques peuvent provoquer de violentes inondations et ce fut le cas en lors des pluies diluviennes de janvier 2023 en Californie. Les autorités semblent avoir été surprises par la violence des événements. Pourtant, des phénomènes similaires avaient déjà transformé les rivières (terrestres) descendant de la Sierra Nevada en torrents déchaînés emportant tout avec elles.
En décembre 1861-janvier 1862, pendant un moins et de demi, une série de rivières atmosphériques avait transformé la vallée de Sacramento en un immense lac de 400 kilomètres sur 30, dévastant les villes, l’agriculture et le quart du bétail de la région. Or, aussi dramatique que semble avoir été la méga-inondation de 1861-1862, une crue d’ampleur similaire se serait produite tous les deux siècles environ dans cette même région.
Les rivières atmosphériques ont aussi des effets positifs
Les rivières atmosphériques ont donc toujours existé, seul le nom de « rivière atmosphérique » est récent. Elles ont d’abord été étudiées en raison leur impact souvent catastrophique sur nos sociétés.
Pourtant, toutes les rivières atmosphériques ne sont pas la cause de grandes destructions. La majorité d’entre elles ont même plutôt des effets positifs sur l’agriculture et les écosystèmes. Ainsi, elles fournissent 30 à 50 % de la pluie et de la neige chaque année le long de la côte ouest des États-Unis.
Elles constituent aussi une composante cruciale du cycle hydrologique mondial. Par exemple, pour les moyennes latitudes, elles représentent environ 90 % du transport dit « méridional » de vapeur d’eau (du sud vers le nord dans l’hémisphère nord et du nord vers le sud dans l’hémisphère sud), alors qu’elles ne couvrent que 10 % environ de la surface du globe. Il a aussi été calculé que quatre ou cinq rivières atmosphériques dans chaque hémisphère peuvent suffire pour transporter le flux d’humidité des basses vers les hautes latitudes sur le globe.
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Les effets des rivières atmosphériques sur les calottes polaires
Bien que les recherches se soient initialement concentrées sous nos latitudes, il a été récemment découvert que les rivières atmosphériques touchaient aussi l’Antarctique et le Groenland, où elles sont peu fréquentes mais jouent un rôle encore plus primordial. Nous décrivons ici les effets observés en Antarctique, mais leur impact au Groenland est similaire.
En Antarctique, entre deux et dix rivières atmosphériques atteignent chaque région du continent chaque année. Pourtant, les rivières atmosphériques sont responsables des précipitations neigeuses les plus intenses, contrôlant de ce fait la variabilité interannuelle et la tendance d’évolution de l’accumulation de neige sur une grande partie du continent.
Elles ont par contre des effets contradictoires sur le « bilan de masse » de la calotte antarctique, c’est-à-dire le bilan des gains et pertes de neige à l’échelle de l’Antarctique. En effet, les flux d’air d’origines tropicale ou subtropicale sont aussi très chauds. Ils produisent ainsi un effet radiatif très fort (une forme d’effet de serre) le temps de la rivière. Cet apport de chaleur est à l’origine de la majorité des températures maximales en péninsule et sur l’Antarctique de l’Ouest.
Les rivières atmosphériques font fondre la glace antarctique
Ces températures élevées provoquent la fonte des glaces à faible altitude, sur les immenses étendues planes de glace coincées dans d’immenses baies le long du pourtour de l’Antarctique, appelées « plateformes de glace ».
La fonte peut favoriser une éventuelle désintégration des plates-formes, mais elle n’est pas le seul processus en jeu. En effet, en raison de la fonte en surface, les bulles d’air présentes dans la neige vont se remplir d’eau liquide, puis l’eau va s’écouler en surface de la glace sous-jacente et s’accumuler dans des lacs et remplir les crevasses, qu’elle va aider à élargir.
De plus, les vents violents associés à la rivière atmosphérique peuvent disperser vers le large la glace de mer (banquise) présente à l’avant des plates-formes de glace. En l’absence de banquise, la houle océanique peut atteindre les plates-formes et les déstabiliser par mouvements de flexion. C’est ce qui s’est produit lors de la désintégration des plates-formes de Larsen A (fin janvier 1995) et Larsen B (en février-mars 2002), provoquant la disparition de plusieurs milliers de kilomètres carrés de glace en quelques jours seulement.
Les rivières atmosphériques ont donc des conséquences positives et négatives à nos latitudes comme aux pôles. L’évolution future de l’amplitude des rivières atmosphériques aura donc des conséquences bien au-delà de la Californie.
Comment évolueront les rivières atmosphériques en Antarctique et au Groenland, face au changement climatique ? Les glaces des hautes latitudes risquent-elles de reculer à cause des rivières atmosphériques ? Répondre à ces questions est tout l’enjeu de nos recherches menées dans le cadre du projet ARCA, soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche.
Vincent Favier, Glaciologue à l’institut des géosciences de l’environnement (IGE), Université Grenoble Alpes (UGA)
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