« Burhan est un allié de l’Égypte et des islamistes. Hemedti est un partisan des Émirats Arabes Unis et flirte avec La Liberté et le Changement.
« Les deux parties sont contre la révolution et le peuple doit se préparer à la désobéissance civile »
« 700 civils sont morts ou blessés dans les affrontements en cours »
Les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR) affrontent leur alliée, l’armée soudanaise, depuis avant-hier matin, à Khartoum, la capitale et dans l’aéroport militaire de Mérowe. Le conflit militaire s’est rapidement propagé à toutes les garnisons des deux côtés dans tous les États. Les statistiques de victimes atteignant à l’heure où nous écrivons des dizaines de morts militaires des deux côtés, 97 civils et près de 600 blessés et on s’attend à une augmentation du nombre de victimes.
Qui sont les chefs des parties belligérantes ?
L’armée mène sa bataille sous le commandement du général Abdel Fattah Al-Burhan, tandis que Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemedti, contrôle les FSR. Al Burhan est un officier des forces armées qui a participé à la guerre au Darfour. L’armée a recruté des milices parmi les Mahamid, soit dans l’ethnie dont Hemedti est originaire. Al Burhan a été capturé par le mouvement armé de Abdul Wahid Mohamed Nur et libéré dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers en septembre 2003. Il a participé à la formation de la milice Janjawid, connue sous le nom de gardes-frontières, le noyau des FSR.
Al Burhan n’a pas été un officier important tout au long de son carrière militaire, mais sa loyauté envers les islamistes et sa longue expérience au Darfour lui ont permis de se constituer un réseau de relations avec les milices soutenues par le gouvernement et ont conduit le président déchu à le promouvoir. Il a été promu au grade de général d’armée par le président déchu qui a dissous le gouvernement et l’a remplacé par un gouvernement militaire le 26 février 2019 dans le but de contrôler la révolution de décembre.
L’accumulation révolutionnaire en avril 2019 a débouché sur un sit-in devant le bâtiment du commandement général des forces armées et a vu des officiers subalternes sympathiser avec la révolution. L’armée a été contrainte de faire un coup d’État contre Omar Al Béchir le 11 avril. Le ministre de la Défense, Ibn Aouf, est devenu chef du conseil militaire, mais la direction politique de la révolution, les révolutionnaires et Hemedti ont refusé la direction d’Ibn Aouf, et le 13 avril, Ibn Aouf et ses collègues ont jeté l’éponge et Al Burhan a accédé à la direction du conseil militaire en s’alliant avec Hemedti en tant que commandant des FSR. Une série de négociations ont commencé avec la direction politique de la révolution pour former un gouvernement transitoire.
Le 3 juin 2019 (29 du mois de Ramadan), Al Burhan et Hemedti se sont retournés contre la révolution et ont commis le massacre du commandement général à Khartoum et dans les États, déclaré l’état d’urgence, annulé les séances de négociations, expulsé les médiateurs internationaux, coupé Internet et Khartoum s’est transformée en une ville fantôme. Mais la rue révolutionnaire s’est rapidement organisée et elle a mobilisé des manifestations de millions de personnes le 30 juin, qui ont embrasé le Soudan, forcé le conseil militaire à battre en retraite, et réanimé donné aux Forces de la Liberté et du Changement. Les négociations ont conduit à un gouvernement de transition basé sur un partenariat entre les militaires et les civils.
Qui est Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti) ?
Mohamed Hamdan Dagalo est un Arabe darfouri du clan des Mahamid, une ethnie qui a des ramifications dans la région du Sahel africain grâce au commerce du bétail. Il est né en 1972, et il est le plus jeune à avoir obtenu le grade de général d’armée. Hemedti travaillait comme marchand de bétail dans le nord du Darfour. Lorsque la guerre a éclaté au Darfour, ses intérêts sociaux ont été menacés et il a d’abord formé une milice pour protéger son commerce puis s’est promptement allié au gouvernement dans les milices dites « Janjawid » qui ont commis des crimes de guerre au Darfour.
Lors d’une entrevue accordée à CNN à ses débuts, Hemedti a exigé que le gouvernement le reconnaisse et transforme ses forces en forces régulières. L’auréole de Hemedti s’est accrue après qu’il eut démontré sa capacité à vaincre les mouvements armés au Darfour de 2008 à 2012, et Al Béchir, aujourd’hui déchu, l’a récompensé en convertissant ses forces en forces semi-régulières en août 2013, connues sous le nom de FSR. Hemedti est devenu un gradé militaire relevant du Service national de renseignement et de sécurité, le bras répressif des islamistes au Soudan.
Un mois plus tard, des manifestations ont éclaté en septembre 2013 contre les mesures d’austérité du gouvernement. L’appareil de sécurité a réprimé les manifestations, faisant plus de 200 martyrs en utilisant ses deux armes militaires : la section des opérations d’endoctrinement islamistes et les FSR. Hemedti a participé à la guerre au Yémen, décuplant ses richesses et faisant passer le nombre de ses troupes de 5 000 en 2014 à 40 000 en 2017, soit un cinquième des forces de l’armée. Il a également vaincu les mouvements armés au Darfour en 2016. L’Union européenne s’est alliée à lui lors du « Processus de Khartoum », qui visait à mettre fin à la migration illégale de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe via la Libye en échange de récompenses financières.
Après l’escalade des différends entre des FSR de plus en plus influentes et les dirigeants islamistes de la sécurité, Hemedti a exigé que ses forces relèvent de l’armée, mais les dirigeants de l’armée ont refusé [d’intégrer] les FSR à leur commandement d’état-major. En 2017, Omar Al Béchir est parvenu à une solution, qui consiste à transformer les FSR en forces officielles en légiférant sur la base de l’article 5 de la loi Elles ont été placées sous les ordres directs de Al Béchir, ce dernier allant jusqu’à l’appeler « Ma protection » (Himeyti). Al Béchir a formé le comité sécuritaire, qui comprend toutes les entités gouvernementales armées au Soudan : l’armée soudanaise, les FSR, les appareils de sécurité soudanais et la police. Avec l’exacerbation de la crise économique et le maintien des mesures d’austérité économique, la révolution soudanaise a éclaté en décembre 2018. Hemedti a fait le choix de la neutralité et est devenu le second au sein du conseil militaire le 13 avril 2019, mais ses forces ont commis des massacres contre les masses insurgées le 3 juin 2019 et le camp de la révolution leur est restée hostile jusqu’à présent.
Al Burhan a unilatéralement aboli l’article 5 de la loi sur les FSR en juillet 2019, qui faisait des FSR des forces parallèles, a approuvé un règlement politique avec des civils en août de la même année. Les FSR sont devenues des « forces indépendantes » et, pour reprendre l’expression d’Al Burhan, elles ont émergé des « entrailles des forces armées ».
Le gouvernement de transition et la constitution de la carte régionale des alliances
Les forces de la Liberté et du Changement ont formé le gouvernement de transition en 2019, dirigé par Abdullah Hamdok en tant que Premier ministre, Burhan en tant que chef du Conseil souverain et Hemedti en tant qu’adjoint à ce dernier. Hamdok a vu dans le gouvernement de transition un partenariat unique et harmonieux. Hemedti a gagné en influence, et le gouvernement de Hamdok a cédé à l’armée plusieurs dossiers économiques ou liés à l’étranger, ce qui a accru l’influence de cette dernière. Hamdok a laissé la présidence du Comité d’urgence économique en avril 2020 à Hemedti et l’entrée des FSR, avec leurs intérêts économiques, dans le domaine de l’exportation d’or, a vu le comité sous la présidence de Hemedti ne prendre qu’une seule décision : la suppression du monopole de la Banque centrale sur l’or.
L’influence de Hemedti a augmenté, en particulier auprès de l’Arabie Saoudite, de par sa participation à la guerre du Yémen, auprès des Émirats Arabes Unis grâce au commerce de l’or et auprès de Haftar en Libye. Hemedti a soutenu militairement Mahamat Idriss Déby à contrer la rébellion dans le nord du Tchad en avril 2021 et est intervenu en Afrique Centrale en soutien au gouvernement en janvier 2021. Le gouvernement de transition a également abandonné à l’armée le dossier de la paix avec les mouvements armés et Hemedti a négocié avec ces dernier à Juba, ce qui a débouché sur l’accord de « paix de Juba ». Hemedti entretient des relations étroites avec l’Éthiopie, en particulier avec Abiy Ahmed. ils ont procédé à des échanges de formations militaires et civiles ainsi qu’à des investissements en Éthiopie. Il a aussi refusé de s’engager avec l’armée soudanaise dans la guerre de Al Fashaga occupée par l’Éthiopie. Il a également des relations avec la Russie et la milice Wagner alors et il s’est rendu en Russie à la veille de la guerre contre l’Ukraine.
Le principal allié de Al Burhan est le régime égyptien, -les armées soudanaise et égyptienne ont été alliées tout au long de l’histoire du Soudan. L’armée soudanaise a profité de la guerre au Tigré en Ethiopie pour entrer en guerre à Al-Fashaga avec le soutien du gouvernement égyptien, après que les deux armées aient signé un accord de défense conjointe en mars 2021 pour s’entraîner, s’armer et sécuriser leurs frontières communes, et ont mené les manœuvres des « Gardiens du Nil » en mai 2021 à l’aéroport militaire de Mérowe.
Avant les manœuvres, Hemedti s’est rendu en Égypte pour obtenir des garanties que les avions de combat soudanais participant aux manœuvres reviendraient de la base de Merowe à la base de Wadi Sayyedna à Omdurman, où elles étaient sous le contrôle des FSR. Effectivement dès la fin des manœuvres, les avions de combat sont passés sous le commandement de l’armée soudanaise avec l’aide de l’armée égyptienne.
Al Burhan est en relation avec les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, il a également rencontré Netanyahu en Ouganda et cela a été le début de la normalisation, une condition pour que les États-Unis retirent le Soudan de la liste des pays soutenant le terrorisme. Suite au retrait du Soudan de la liste et la mise en œuvre par le gouvernement Hamdok des mesures d’austérité sévères imposées par l’Occident dans le cadre de l’initiative de l’annulation de la dette et du retour du Soudan dans le giron de la communauté internationale, Al Burhan s’est allié à Hemedti, aux mouvements armés et aux restes de l’ancien régime et s’est retourné contre la Liberté et le Changement le 25 octobre 2021 : Al-Burhan a gelé les articles de la Constitution de transition relatifs au dossier de la justice, au massacre du sit-in et au démantèlement de l’ancien régime.
La rue, les comités de résistance et l’avant-garde de la classe ouvrière ont rejeté le coup d’État militaire, et des manifestations de résistance au coup d’État ont été organisées, parvenant à créer une hégémonie alternative dans la rue et à empêcher le coup d’État d’imposer son autorité. La solution « Hamdok » de Al Burhan avec Hamdok a pris fin avec la démission de ce dernier et après que la rue révolutionnaire l’ait rejeté. Les comités de résistance et d’autres forces révolutionnaires se sont unies dans le cadre de la charte établissant « l’Autorité populaire ». La dimension révolutionnaire s’est intensifiée dans la rue, et le 30 juin 2022, elle a réussi à imposer des sit-in décentralisés, et l’autorité de Al Burhan a été circonscrite au commandement général.
Causes du conflit
Al Burhan a restitué à l’appareil de sécurité hostile à Hemedti sa capacité de procéder à des arrestations pour réprimer les processions. Le programme d’annulation de la dette a été suspendu, tous les plans économiques dépendant de l’aide des institutions internationales ont été gelés et l’économie est entrée dans un état de dépression complète. Il a fait revenir les déchus de l’ancien régime dans la bureaucratie de l’État. Ces derniers haïssent Hemedti qu’ils considèrent comme un traître à celui qui l’a créé. L’hostilité des officiers envers les FSR est allée croissant car ils y voient une force parallèle qui menace le statut de l’armée - la plus haute autorité dirigeante au Soudan – et non pas à cause de ses crimes, de son contrôle de l’économie et de sa contribution à la militarisation de la politique soudanaise, qui s’est révélée à travers des tentatives de coup d’État manquées.
Depuis juillet 2022, l’Arabie Saoudite est intervenue avec les Émirats Arabes Unis, la Grande-Bretagne et les États-Unis, faisant jour un nouvel accord entre les forces opportunistes de la Liberté et du Changement et les forces de la contre-révolution, dans ce qui était connu sous le nom de Quartet et a débouché sur la signature d’un accord-cadre en décembre 2022 entre ces entités. L’accord a été rejeté par les officiers supérieurs alignés sur l’ancien régime, les islamistes qui contrôlent l’appareil d’État bureaucratique et économique, et aussi par les comités de résistance unifiés à travers leur charte. Sous la pression des islamistes et de leurs officiers sur Al Burhan d’une part, et la proximité des intérêts de Hemedti avec les Forces de la Liberté et du Changement d’autre part, Hemedti a présenté ses excuses pour sa participation au coup d’État lors d’un discours le 19 février dernier, ce qui a conduit à l’émergence d’islamistes cachés et à la tenue de réunions publiques en dépit de leur interdiction. La Liberté et le Changement a accepté l’alliance avec Hemedti et abandonné la rue révolutionnaire pour se livrer une fois de plus à ses erreurs opportunistes. L’agressivité rhétorique entre l’armée et les FSR s’est intensifiée en mars. Al Burhan lui-même a fait protéger le commandement général par un énorme mur de béton. Les deux forces étaient pleinement prêtes à la confrontation malgré les médiations jusqu’à la nuit du 14 avril.
Lors d’une entrevue menée par Declan Walsh, journaliste au New York Times, avec le numéro deux des FSR, Abdul Rahim Dagalo, frère de Hemedti, publiée le 6 avril, date convenue de l’annonce de la nouvelle constitution de transition, Abdul Rahim a déclaré que Al Burhan avait construit un mur pour se protéger et qu’il ne se souciait pas de ce qui se passait à l’extérieur, qu’il ne se souciait pas de savoir si le reste du pays brûlait. Finalement le 15 avril, l’incendie aura pris des deux côtés.
« Celui qui n’a pas d’arme n’a pas d’opinion » – Hemedti
La position de la rue révolutionnaire
Les forces révolutionnaires refusent de prendre parti dans le conflit, ne sont pas neutres mais sont hostiles aux deux parties. Elles n’ont confiance ni dans les forces de la contre-révolution ni dans les forces opportunistes. Quiconque sortira victorieux de cette bataille – si elle ne se transforme pas en guerre civile – viendra à bout des forces de la révolution si ces dernières ne se préparent pas et ne s’organisent pas dans les lieux d’habitation en comités de résistance et par une structuration sans faille sur les lieux de travail. Une fois la bataille est terminée, le vainqueur déclarera très probablement l’état d’urgence et un couvre-feu et dirigera le pays avec un gouvernement militaire, aussi les révolutionnaires se doivent dès maintenant de se préparer organisationnellement à la désobéissance civile générale.
Qiddam, 17 avril 2023