Les questions stratégiques touchent aux problèmes de la révolution, précisément des « chemins » pour une révolution.
I – Difficultés
C’est une question difficile, pour plusieurs raisons :
I.1 Nous sommes des « révolutionnaires sans révolution » depuis plus d’une quarantaine d’années.
Lorsque nous parlons de révolution ou de situations prérévolutionnaires ou révolutionnaires, nous parlons de mouvements à dynamique anti- capitaliste ou anti-impérialiste, au sens large. Les derniers processus révolutionnaires remontent aux années 1967/1976, essentiellement en Europe du Sud, avec une pointe avancée au Portugal où l’appareil d’État s’était fracturé. On peut parler de révolution à dynamique démocratique et anti-impérialiste aussi au Nicaragua en 1979. Il y a eu aussi des révolutions comme « les révolutions de velours », dans les pays de l’Est ou les révolutions arabes, mais ce n’était pas des processus révolutionnaires à dynamique anticapitaliste… Entre 1968 et aujourd’hui, il y a cinquante-cinq années. Rappelons que les durées entre processus révolutionnaires étaient plus courtes entre 1917 et les années 1930-1940, et entre l’après-guerre et les années 1960, à chaque fois une vingtaine d’années : aujourd’hui plus de quarante années… Nous manquons d’expériences et de matière …
I.2 Autre difficulté, nous nous inscrivons dans une situation dominée par la continuité d’une contre-réforme néolibérale d’une durée exceptionnelle, là aussi de presque cinquante ans.
Il y a eu des mouvements sociaux, des explosions sociales, mais la dominante c’est cette continuité du néolibéralisme avec tout ce qui a été détruit sur le plan des acquis sociaux et démocratiques.
I.3 Mais la difficulté plus substantielle, pour discuter stratégie, c’est le changement d’époque que nous vivons, avec non seulement, la fin du stalinisme, les reculs de la social-démocratie, la fin de la force propulsive de la révolution russe, mais la remise en cause de tout un cycle historique du mouvement ouvrer qui a commencé à la fin du XIXe siècle.
Et ce dans une situation de crise historique du mouvement ouvrier, de crise du projet socialiste et de crise stratégique. Cette crise a affaibli considérablement les forces des mouvements visant non seulement le changement révolutionnaire mais le changement de société, tout court. L’horizon d’espérance révolutionnaire a disparu. Il faut réinventer. À sa manière, Daniel Bensaid évoque cette question en indiquant que :
« ce qui se termine c’est un cycle plus long qui tend à s’épuiser, à ce moment, celui des formes politiques modernes » [2], celui du « paradigme politique de la modernité politique tel qu’il s’est constitué à partir du XVIIe siècle par la combinaison des notions de souveraineté, de territoires, de frontières, de capitale, de peuple, de guerres nationales, de droit international interétatique. Toutes ces catégories sont mises à l’épreuve par les bouleversements de la mondialisation. » [3] Du coup, nous sommes « au début d’une reconstruction de mouvements syndicaux, de forces politiques » [4], « de refondation stratégique » [5].
Du coup, il est difficile de s’appuyer sur les exemples révolutionnaires du siècle dernier… Car l’époque a changé : de nouvelles questions sont apparues le mouvement des femmes, la question écologique, les redécoupages du salariat. Ce ne sont pas seulement des « ajouts » ce sont de nouvelles configurations du monde.
II – Révolution et stratégie
À la Ligue [communiste révolutionnaire], les écoles de cadres se faisaient sur les révolutions russes, allemandes, italiennes, les fronts populaires français et espagnols, les situations révolutionnaires de l’après-guerre, France, Italie, Yougoslavie, Chine, puis Mai 68, le mai rampant italien, l’expérience chilienne, la révolution portugaises.
Aujourd’hui sur quoi s’appuyer ?
Nous ne partons pas de rien, mais les pistes que nous avons restent marquées par l’histoire, et là je l’avoue, quand il s’agit d’innover, même les meilleurs porteurs du passé ont du mal à produire les programmes, et les stratégies d’avenir…
Une fois dit cela, nous nous inscrivons dans une certaine histoire, l’histoire du mouvement révolutionnaire, et en ce qui me concerne l’histoire de la Ligue, un marxisme révolutionnaire critique et ouvert…mais avec ses limites [6].
II.1 On peut parler de révolution, lorsqu’il y a « irruption révolutionnaires des masses » avec une visée de renversement de l’ordre établi, et de renversement du capitalisme, pour des mouvements qui remettent en cause l’ordre social.
Cela suppose une situation exceptionnelle, crise politique, crise économique, guerre, krach financier, rejet de masse de dictatures.
Voilà sur un plan général, mais lorsque nous discutions stratégie, la première chose à indiquer c’était qu’il n’y avait pas de modèle stratégique. Les révolutionnaires ont pu parler de « modèle d’Octobre » ou de « modèle cubain » pour les guérillas en Amérique latine ou de « guerre prolongée » à partir de la révolution chinoise. Mais ce qui l‘emporte ce sont les particularités. Nous ne pensons pas qu’on peut généraliser. Chaque pays ou région a ses spécificités.
II.2 Même si la force d’Octobre impacte le mouvement révolutionnaire des années 20 et 30, Trotsky ou Gramsci distinguent la révolution en Orient et en Occident.
Ce ne sont pas les mêmes sociétés : en Russie, la société, est selon Gramsci « primitive, gélatineuse » : domination impériale tsariste, pas ou peu de démocratie parlementaire, océan paysan, violence des rapports sociaux. En Europe, la société est plus « dense, plus robuste » : développement économique, puissance du salariat, traditions plus ou moins parlementaires.
Pas de « modèles » mais des « hypothèses » en fonction des spécificités de chaque formation sociale et nationale.
Déjà, dans les années 1920 et 1930, Trotsky insistait sur les différences entre la Révolution russe et les processus révolutionnaires en Allemagne.
II.3 Qu’est-ce la stratégie ?
La terminologie est d’origine militaire. Les débats stratégiques sont apparus après la 1re guerre mondiale.
« C’est un ensemble de tactiques, initiatives, combinées qui visent la conquête du pouvoir ».
Dans les débats de l’Internationale communiste et dans le mouvement révolutionnaire, la stratégie est identifiée à la conquête révolutionnaire du pouvoir. Avec l’expérience, c’était une vision réductrice : la stratégie n’est pas seulement le moment de la conquête du pouvoir mais toute la période préparatoire avec au centre l’auto-activité des masses. On a focalisé sur la prise du pouvoir et perdu de vue le système combiné d’initiatives qui prépare la conquête du pouvoir.
Et dans cette perspective, le fil rouge de la révolution c’est l’intervention des travailleurs ou des citoyens pour leur émancipation. On peut remplacer « conquête du pouvoir » par « émancipation ».
III – « L’émancipation des travailleurs et l’œuvre de travailleurs eux mêmes ».
III.1 « Les travailleurs » restent le « sujet révolutionnaire », mais le contenu du mot « travailleurs » change.
Nous partons d’une définition large du prolétariat : « ceux qui sont obligés de vendre leur force de travail ». C’est 80 à 90% de la société – correspondant au salariat formel ou informel – une très large majorité, mais fragmentée, parcellisée, précarisée. Il résulte d’une nouvelle caractérisation du système capitaliste. Il ne s’agit pas seulement d’un système économique mais d’une reconfiguration de toute la société, comme l’indique la philosophe américaine Nancy Fraser : une « imbrication non accidentelle mais structurale avec la domination de genre, la dégradation écologique, l’oppression raciale et impériale et la domination politique – en conjonction, bien entendu, avec sa dynamique de base, également structurale et non accidentelle, fondée sur l’exploitation du travail » [7].
Il y a donc toujours une certaine centralité de la lutte de classes, qui historiquement remonte à la lutte des esclaves de Spartacus contre les propriétaires romains. Mais la lutte des classes, ce n’est pas la lutte ouvrier /patrons et encore moins la lutte dans l’entreprise.
Plus, une question comme l’écologie refonde non seulement la dynamique des luttes mais le programme anticapitaliste, qui en même temps doit sortir d’une logique productiviste. Chez Marx, la crise du capitalisme est présentée comme la contradiction entre le développement des forces productives et les rapports de production capitalistes qui corsètent ces forces productives. La crise écologique montre que ces forces productives se transforment en forces destructives. Cela change la perspective. Le cadre et le contenu de la lutte ne sont plus les mêmes. Les besoins sociaux sont redéfinis dans un monde fini, et pas comme nous avons eu tendance à le croire dans un monde d’abondance. Cela peut conduire à des tensions voire oppositions entre les revendications sociales et les exigences écologiques. D’où de nouveaux choix programmatiques. C’est ce qui nous a conduits à parler d’éco-socialisme pour indiquer le programme et la société que nous voulons. C’est un changement majeur.
III.2 « Au centre de la stratégie, il y a l’auto activité du mouvement social ».
Et nous parlions de fil rouge : cela doit viser à l’intervention et l’autonomie des travailleurs au sens large, par l’auto-organisation, par la construction de syndicats et associations où les gens prennent en charge leurs affaires. Les expériences de démocratie sociale, même, partielles comme la gestion de certaines institutions comme la sécurité sociale, sont un point d’appui pour une transition au socialisme. La pratique d’assemblées générales, dans les entreprises ou communes, comme des espaces qui échappent à la logique capitaliste – mouvements sans terre, sans toit, usines occupées, ZAD – doivent préparer des expériences de contrôle ouvrier et populaire pour esquisser le pouvoir populaire de demain en visant l‘autogestion sociale, et la substitution de la propriété capitaliste par la socialisation de l’activité économique. L’émancipation devient non seulement un but programmatique mais aussi une stratégie de renversement de l’ordre établi et de construction de nouveaux pouvoirs.
III. 3 Nous avons eu tendance, dans une perspective stratégique, non pas à nier les conquêtes partielles ou les réformes, mais à subordonner les « choses importantes » à la conquête du pouvoir politique.
Nous avons mis en parallèle les révolutions bourgeoises et les révolutions socialistes, en expliquant que la bourgeoisie avait le pouvoir – économique, idéologique – avant de conquérir le pouvoir politique, à la différence des révolutions socialistes, où les travailleurs devaient conquérir préalablement le pouvoir politique avant d’étendre leurs nouveaux pouvoirs en économie, culture etc. La conquête du pouvoir politique reste un verrou fondamental pour un changement révolutionnaire, mais là aussi beaucoup de choses se jouent avant la prise du pouvoir. Déjà Marx parlait de « germes » ou de « gisements » de communisme dans l’activité humaine, dans le cadre des rapports capitalistes. Il faut ré-insister sur la mise en valeur de ces « germes » ou de ce qui a été arraché par les conquêtes et les droits sociaux et démocratiques. C’est-à-dire ce qui est arraché avant la conquête du pouvoir et faire le pont avec la conquête du pouvoir.
Ce pont c’est la démarche transitoire qui part de la situation actuelle, des revendications immédiates, se projette dans des actions de masse anticapitalistes, défend une autre répartition des richesses et pose la question du pouvoir et de la propriété. Il faut construire ce « pont » entre les revendications actuelles, et la bataille pour leur matérialisation institutionnelle, et la conquête du pouvoir politique.
Cette démarche peut aussi être revisitée autour des notions de conquête de l’hégémonie chez Gramsci, des réformes de structures anticapitalistes dans la gauche belge dans les années 1950/1960, dans les apports d’André Gorz dans les années 1960 sur la bataille pour les conquêtes ouvrières et populaires dans un processus d’émancipation, et ce dans un cadre encore capitaliste [8].
IV – Situations révolutionnaires et question du pouvoir
IV.1. Alors peut-on changer le monde sans prendre le pouvoir, comme le dit John Holloway, sur la base de ses interprétations de l’expérience des zapatistes dans le Chiapas mexicain ? [9]
On peut aller loin et conquérir de nouveaux espaces de pouvoir, ce qui implique des processus longs, des situations de crise prolongée, et là accumuler des expériences de pouvoir partiel. Lors de situations prérévolutionnaires ou révolutionnaires, cela peut durer, y compris plusieurs mois ou années. Mais la question du pouvoir ne peut être contournée. Qui contrôle ? Qui dirige ? Quels intérêts sociaux dominent ? Ces questions du pouvoir se posent dans le cours de la lutte. Nous pouvons reprendre les notions léninistes pour définir une situation prérévolutionnaire ou révolutionnaire :
« Ceux d’en bas n‘acceptent plus le pouvoir de ceux d’en haut, ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant, les couches et classes intermédiaires basculent du côté de ceux d’en bas, et il y a une ou plusieurs directions révolutionnaires du processus » (Lénine, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), 1920).
IV.2 Ce processus peut se condenser dans des crises révolutionnaires ou se joue la question du pouvoir entre classes dominantes classes subalternes.
Cela correspond à un certain niveau d’incandescence du développement du mouvement de masses, avec expérience de luttes, de grèves, de manifestations, de situations semi-insurrectionnelles, et dans ces différentes expériences la question de la grève générale est centrale – c’est le moment où les travailleurs, les citoyens, cessent de travailler, bloquent une région ou un pays, et pose la question de qui dirige : les grévistes, leurs soutiens ou les gouvernants !
IV.3 Ces situations révolutionnaires peuvent prendre la forme d’une dualité de pouvoirs, soit sous une forme territoriale, soit sous la forme d’institutions – opposition entre les vieilles institutions et les nouvelles institutions du pouvoir populaire.
Les vieilles institutions peuvent se fracturer entre l’ancien et le nouveau. Cela peut aussi passer par une combinaison de l’auto-organisation ou autogestion sociale et une majorité de gauche parlementaire. Il peut même, y avoir un début parlementaire de la révolution. Nous insistons sur le mot « début », car le dénouement positif d’une situation révolutionnaire ne peut se faire par la conquête d’une majorité parlementaire. Cela exige l’émergence de nouveaux pouvoirs qui s’opposent et brisent la machine d’État capitaliste. C’est dans ce cadre qu’il faut aborder la question de la participation à un gouvernement des gauches. Il faut distinguer les gouvernements de collaboration de classes auxquels on s’oppose et des gouvernements de rupture avec le capitalisme. Le niveau de rupture doit être à chaque fois discuté, mais les révolutionnaires peuvent soutenir ou participer à ces gouvernements de rupture. On peut aussi aborder toute une série de tactiques : le soutien sans participation, l’opposition loyale, bref toute considération qui combine des formes de soutien et le maintien de l’indépendance.
IV.4 Sous les coups de boutoir du mouvement social, puis des contradictions internes à la classe dominante, l’État, se fissure puis se fracture.
L’appareil d’État, et même l’appareil de répression, connaît des différenciations et de luttes internes. C’est en Europe, ce qu’a connu le Portugal avec l’émergence du MFA (Mouvement des Forces Armées) en 1974 lors de « la Révolution des œillets ». Mais, ce que montrent les expériences historiques, c’est que lorsque les points de rupture sont atteints, que les incursions dans la propriété se généralisent ou les espaces de nouveaux pouvoirs s’étendent, il y a confrontation parce que les classes dominantes ne se laissent pas déposséder. Elles réagissent, engagent une politique de répression, et mobilisent les secteurs clés de l’appareil d’État et une partie des classes dominantes et des classes moyennes. Il faut que ceux d’en bas s’imposent et construisent de nouveaux pouvoirs. L’histoire des révolutions comme les développements actuels ne nous montrent pas qu’on peut avoir une conquête graduelle et pacifique du pouvoir d’État. Il y a à chaque fois, choc, affrontements. Cette question est incontournable, et il faut se préparer à y répondre. Des différenciations et divisions internes à l’appareil d’État existent. Cela suppose de conquérir des espaces dans les institutions et l’État, mais, comme indique Marx dans ses leçons de la Commune, « les prolétaires ne peuvent s’emparer de la machine d’état, il faut la briser » (La guerre civile en France, 1871).
La stratégie ne se réduit pas à la conquête du pouvoir. Ce qui se passe avant et décisif mais on ne peut contourner ou esquiver la question du pouvoir.
V – Dans ce processus la question démocratique est centrale.
V.1 Cela part des revendications démocratiques élémentaires, surtout face au néolibéralisme autoritaire.
Les révolutionnaires doivent reprendre la lutte pour toutes les revendications démocratiques, droit d’expression, pluralisme, représentativité démocratique, proportionnelle, rotation, élection et révocabilité, cela dans une logique de démocratisation des institutions.
Cela doit conduire à refonder les institutions démocratiques, d’où la lutte pour une assemblée constituante. Cette lutte pour la Constituante et l’extension des libertés démocratiques est décisive, mais elle n’est pas sans risques. Le peuple peut être consulté et rejeté la Constituante comme au Chili en 2022. Mais dès qu’il y a lutte de masse démocratique, cette question de l’assemblée constituante peut se poser.
V.2 Au-delà de ces revendications : un processus révolutionnaire ne peut vaincre que s’il est démocratique et majoritaire.
Démocratique, dans le sens, où une dynamique révolutionnaire positive doit s’appuyer sur la démocratie du mouvement de masse, assemblées, comités, coordinations, assemblées populaires. Il y a durant toute une « période intermédiaire » cohabitation ou combinaison des institutions parlementaires et des structures de pouvoir populaire. Pour que la démocratie révolutionnaire l‘emporte – démocratie directe, sur les lieux de travail et les communes et assemblées territoriales élues – sur les vieilles institutions de l’État bourgeois, il faut que celle-ci soit plus « démocratique », il faut que la démocratie du pouvoir populaire soit supérieure aux vieilles institutions : il faut une nouvelle démocratie avec plus de démocratie, plus de droits, plus de pluralisme, plus de libres débats, respect des majorités mais prise en compte aussi des minorités, autonomie et libre expression des mouvements sociaux. Cela doit conduire à la définition des grandes lignes de la démocratie socialiste, définies par le suffrage universel, l’élection à des assemblées de citoyens et de producteurs, à la combinaison de démocratie directe et du pouvoir des assemblées. Il faut ajouter au programme démocratique, l’exigence du principe de subsidiarité : on décide au plus près du territoire et des citoyens. Les décisions se prennent au niveau supérieur lorsque l’on ne peut pas les prendre au niveau local. Enfin, on doit aborder une question qui a pesé sur le débat démocratique : le pouvoir socialiste n’est pas irréversible. Les travailleurs et les citoyens doivent être consultés régulièrement et si une majorité se prononce pour interrompre le processus révolutionnaire, il faut accepter. C’est ce qu’on fait les sandinistes en 1989 au Nicaragua.
V.3 La révolution doit être majoritaire, donc pas de coup d’Etat, pas de minorités agissantes, pas de révolutions minoritaires.
Il peut y avoir temporairement des « exemples » que l’on cherche à généraliser – c’est ce qui a pu se passer avec la guerre de guérilla – mais l’objectif des révolutionnaire, c’est d’entraîner les opprimés dans l’action, qu’ils apprennent par l’expérience, et qu’ils fassent eux-mêmes. Cette dimension majoritaire implique l’unité des opprimés et des mouvements sociaux, par ce qu’on appelle dans notre jargon, « le Front unique » des travailleurs et des opprimés et de leurs organisations. Le critère étant que la majorité bascule sur des positions progressistes. Il ne s’agit pas d’être pour l’unité pour l’unité, mais d’essayer, en permanence, sur la base d’un contenu progressiste, de créer les conditions de l’unité, pour une possible majorité. C’est une des conditions de l ‘efficacité.
VI – Les questions d’autodéfense, de violence révolutionnaire.
Nous avons parlé de confrontation entre « ceux d’en haut et ceux d’en bas », cela suppose de discuter des questions de la non-violence, de la désobéissance civile ou de la violence révolutionnaire. Nous sommes, en général, contre la violence. D’ailleurs les révolutions commencent, en général, de manière joyeuse et festive. Ce sont les classes possédantes ou les pouvoirs dominants qui agressent. Lorsque nous sommes obligés d’utiliser la violence, c’est dans la défense pas dans l’agression. Cela implique de tirer les leçons de l’auto-défense, dans les luttes, au travers des piquets de grève, dans les manifestations, dans les ZAD, de concevoir les initiatives « militaires » comme de la défense (ou auto-défense) et non de l’attaque. C’est dans ce cadre qu’il faut écarter le substitutisme de groupes armés. Dans l‘affrontement, il faut armer le peuple du désir de s’armer, se préparer à riposter, mais pour se défendre, non pour attaquer. Dans ces affrontements, il faut aussi rechercher la division et la fracture de l’armée des classes dominantes. Il faut aussi bien mesurer ce qui relève de la spécialisation et de la mobilisation de masse. Mais dans une situation révolutionnaire, les spécialisations sont au service de la mobilisation de masse, l ‘objectif doit être l’armement du peuple, pas la construction d’une armée sur le modèle des armées de l’État bourgeois.
Autre question générale : l’expérience nous a malheureusement appris que les chefs d’armées révolutionnaires ont souvent tendance à garder et monopoliser le pouvoir et le soustraire des citoyens. Là aussi, la démocratie interne au fonctionnement d’une armée populaire est décisive : élection des dirigeants et dirigeantes, rotation, contrôle.
Je voudrais ajouter une question : celle de la guerre dans la révolution.
Il y a eu nombre de révolutions qui se sont combinées avec la guerre – Révolution russe et Première guerre mondiale, révolutions chinoises, vietnamiennes, yougoslaves et Deuxième guerre mondiale – mais les révolutions des années 1960/1970 n’étaient pas liées directement à la guerre. Certes la solidarité avec la guerre du Vietnam ou la révolution coloniale dans les colonies portugaises ont pesé sur les processus révolutionnaires de l’époque. Mais il n’y avait pas de lien direct.
Avec la guerre en Ukraine, cette question revient au centre. Il y a et il y aura plusieurs types de guerres, guerres inter-impérialistes, guerre de libération nationale, guerres interethniques. Chaque conflit demande la définition d’une ligne politique appropriée. Cette dernière exige de tracer une ligne rouge entre le camp des oppresseurs, les agresseurs, et celui des opprimés, persécutés, réprimés, massacrés par les dictatures.
Sans épuiser toutes les questions, les instrumentalisations des uns et des autres, les tensions et contradictions internes dans les pays ou mouvements de résistance, cette ligne rouge doit être le repère fondamental. C’est ce repère qui nous guide dans le conflit en Ukraine, où nous devons clairement identifier le régime russe agresseur du peuple ukrainien agressé, peuple qu’il faut aider par tous les moyens, y compris militaires.
VII – Enfin, dernière question, celle du mouvement, du parti ou des directions d’un processus révolutionnaire qu’on ne peut dissocier de la formation d’une conscience large anticapitaliste
Tout ce processus exige la coordination des luttes, des mouvements, la construction d’une intervention politique, une inscription dans l’histoire. Une situation pré-révolutionnaire ou révolutionnaire peut certes se produire sans force révolutionnaire. Mais, dans ce cas, on a plutôt affaire à des explosions sociales, y compris violentes, semi-insurrectionnelles, qui peuvent aller très loin dans la lutte… Mais il y a une limite à ces mouvements, car il faut une force ou des forces qui représentent politiquement le mouvement. Cette force politique peut être multiforme : des clubs à l’organisation, mais il faut qu’il y ait une impulsion. Il faut partager un plan d’ensemble, il faut un mouvement qui produise de la politique. C’est ce que nous retenons de la tradition léniniste mais il nous faut rompre avec d’autres travers léninistes, tout ce qui est élitisme, tout ce qui est substitutisme politique, tout ce qui est coupure entre le mouvement de masse et la force politique, tout ce qui est subordination du mouvement de masse au parti. L’organisation doit être intégrée dans le mouvement réel. Elle préfigure le socialisme démocratique que nous proposons : droits d’expression, pluralisme politique, droits des minorités, rotation des responsabilités, lutte contre tous les privilèges, mixité des directions, votes sur les orientations et directions.
Appelle-t-on cela parti ou mouvement : dans tous les cas, il faut une force politique qui essaie de porter un programme et une stratégie.
Par François Sabado
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