Un certain nombre de syndicats de travailleurs de la construction ont été au centre de la répression de l’État. Jusqu’à présent, la police a effectué plus d’une douzaine de descentes depuis la fin de l’année dernière. Plus de 900 syndicalistes ont fait l’objet d’une enquête et 18 organisateurs et dirigeants ont été arrêtés. Récemment, le ministère public local a demandé des mandats d’arrêt à l’encontre de Yang et de deux autres responsables syndicaux du secteur de la construction. Ils font l’objet d’une enquête pour avoir forcé des entreprises de construction à embaucher des travailleurs syndiqués et pour avoir perçu des cotisations syndicales, ce que le ministère public qualifie d’intimidation et d’extorsion.
Yang devait comparaître devant un tribunal à 15 heures le 1er mai, mais il a préféré s’immoler en signe de protestation. Transporté par avion à l’hôpital, il est décédé le lendemain. Dans un message publié sur les réseaux sociaux le matin du 1er mai, Yang a déclaré qu’il n’avait fait que « mener à bien son travail syndical de manière juste et sans commettre d’actes répréhensibles ». Il s’est dit troublé par le fait que les procureurs l’accusaient à présent d’« ingérence et d’intimidation ».
Il a écrit : « Ma fierté ne peut pas supporter cela. J’aurais dû me battre avec acharnement et lutter avec ténacité pour gagner. Peut-être suis-je en train de choisir la facilité. J’ai été heureux de participer à ce combat avec vous. Je resterai éternellement aux côtés de mes camarades. »
Un agenda antisyndical caché
Alors que nous condamnons les attaques contre les syndicats, il est essentiel de comprendre pourquoi le gouvernement Yoon - qui travaille main dans la main avec les entreprises de construction - s’en est pris aux syndicats des travailleurs de la construction.
Le gouvernement du président Yoon Suk-yeol n’a jamais caché son programme anti-syndical et anti- ouvrier. Il a lancé des attaques contre la grève des camionneurs et tenté de faire passer des politiques anti-ouvrières en matière de travail. Le 21 février de cette année, M. Yoon a déclaré : « Sur les chantiers de construction, des syndicats puissants commettent ouvertement des actes illégaux tels que la pratique de pots-de-vin, le recrutement forcé et l’obstruction dans le trazvail de la construction ». M. Yoon a qualifié de violence sur les chantiers l’activité de la « mafia des travailleurs de la construction ». Il a demandé que « les procureurs, la police, le ministère des territoires, des infrastructures et des transports et le ministère de l’emploi et du travail travaillent ensemble pour réprimer les actes illégaux systématiques tels que l’extorsion et la violence sur les chantiers de construction ». Il a qualifié les syndicats d’« intérêts particuliers rigides et hostiles à la réforme » et a intensifié l’offensive.
Le secteur de la construction est soumis à des fluctuations économiques. Il dépend de la fortune du secteur immobilier et des plans de construction de logements du gouvernement. Cinquième au monde en termes de chiffre d’affaires, le secteur coréen de la construction est aujourd’hui confronté au à un éclatement de la bulle immobilière, qui a entraîné un grave ralentissement de la construction. Les entreprises de construction tentent de surmonter cette crise en s’attaquant aux syndicats plus forts, ce que le gouvernement actuel, hostile aux travailleurs, est tout à fait disposé à soutenir.
L’offensive syndicale
Les travailleurs employés sur les chantiers de construction sont des intérimaires et ont des contrats à court terme. Les travailleurs de la construction des différents chantiers ont beaucoup de mal à s’organiser en de solides syndicats. La nature temporaire des chantiers de construction rend également plus difficile la négociation entre les travailleurs et les employeurs.
Pourtant, les travailleurs de la construction se sont organisés. Le mouvement des travailleurs de la construction a vu le jour en 1989 et s’est considérablement développé après les licenciements massifs de travailleurs lors de la crise financière asiatique de 1997. Les grutiers et les conducteurs de camions ont été syndiqués dans les années 2000. Depuis les années 2010, le mouvement s’est rapidement développé et a considérablement amélioré la situation des bas salaires et des mauvaises conditions de travail.
D’un peu plus de 70 000 membres en 2015, les efforts de syndicalisation ont permis à la KCWU de devenir un syndicat de 160 000 membres. Si l’on y ajoute les membres de la Fédération des syndicats coréens (FKTU), plus conservatrice, 250 000 travailleurs de la construction sont aujourd’hui syndiqués en Corée du Sud. Dans le passé, les chaebols sud-coréens [ensembles d’entreprises, de domaines variés, entretenant entre elles des participations croisées] ont accumulé d’énormes profits dans le secteur de la construction en surexploitant les travailleurs. En prenant le contrôle de grands chantiers, les syndicats ont considérablement accru leur pouvoir de négociation.
L’une des principales victoires de la lutte du KCWU a été l’abolition du « système de participation » dans le secteur de la construction, afin d’éliminer la sous-traitance à plusieurs niveaux qui sape la sécurité de l’emploi et la solidarité des travailleurs. La KCWU a obtenu un amendement au règlement de l’industrie de la construction qui a aboli le « système de l’offre gagnante la moins chère ». Ce résultat a été obtenu face à l’opposition farouche des entreprises de construction, vexées par le pouvoir croissant des syndicats.
Ces dernières années, les travailleurs de la construction ont créé de nouveaux syndicats et négocié avec les entreprises de construction sur les salaires et les conditions de travail. Le KCWU a été fondé en 2007 et regroupe le Civil Engineering Construction Regional Union, le Crane Operators’ Union, le Construction Machinery Union et le Electrical Workers’ Union. En outre, le National Plant Construction Workers’ Union a été fondé en 2007 et regroupe les syndicats régionaux dans des usines. Ces nouveaux syndicats sont devenus une force pour contrer le pouvoir du capital dans l’industrie de la construction.
Dès le début, les entreprises de construction n’étaient pas du tout disposées à négocier avec les syndicats. Les travailleurs de la construction se sont battus pour organiser des négociations plusieurs fois par mois. Leurs efforts ont abouti à un accord de travail historique en 2017, plus de dix ans après, lorsque le syndicat de la construction est allé au-delà des négociations régionales et a exigé une convention collective nationale.
Les entreprises de construction ne croyaient pas que les travailleurs pouvaient se rassembler dans un syndicat capable de négocier avec elles. Même si c’était le cas, elles mettraient fin à la lutte une fois les dirigeants arrêtés. Cependant, les travailleurs de la construction qui ont créé un syndicat qui a montré sa force malgré les menaces et les intimidations.
En outre, les syndicats, en contrôlant les entreprises de construction, ont en fait empêché la corruption et les irrégularités dans le secteur de la construction et renforcé la sécurité civile en empêchant les constructions défectueuses.
La contre-offensive de l’État et du capital
Le ministre de l’aménagement du territoire, des infrastructures et des transports et les procureurs généraux mènent actuellement une contre-offensive impitoyable contre les syndicalistes de la KCWU. Ils ont qualifié d’« illégales » les actions menées par les syndicats pour s’emparer des sites de construction et se sont emparés des organisateurs syndicaux.
Le gouvernement et les entreprises de construction attaquent le KCWU pour deux raisons principales. La première est qu’il est illégal pour les grutiers de recevoir une prime mensuelle (c’est-à-dire un paiement séparé et supplémentaire pour les heures supplémentaires travaillées) de la part de leurs employeurs. D’autre part, le syndicat exerce un contrôle sur l’embauche des travailleurs sur les chantiers de construction.
La redevance mensuelle est perçue comme une prime de performance pour les grutiers. Selon la jurisprudence, la prime est considérée comme un « salaire » parce que les grutiers travaillent plus longtemps que les heures prescrites. Il s’agit également d’une indemnité de risque pour l’exécution d’un travail dangereux. Mais le gouvernement ne tient pas compte de cette décision et attaque la prime en la qualifiant de « paiement illégal et injuste ». Le syndicat a précisé qu’il s’agit d’un travail effectué à la demande des entreprises de construction. Si le gouvernement utilise ce prétexte pour attaquer le syndicat, celui-ci cessera d’accepter le paiement supplémentaire et lancera plutôt une « grève du zèle » en ne faisant pas d’heures supplémentaires.
La répression vise également les syndicats de la construction qui prônent l’« embauche syndicale ». Les syndicats demandent aux grands et moyens chantiers d’obliger les travailleurs nouvellement embauchés à s’affilier à un syndicat de la construction. Toutefois, tant qu’un accord d’ « embauche syndicale » n’a pas été conclu avec l’entreprise de construction Cela conduit parfois à des confrontations physiques entre les syndicats et les entreprises.
La lutte généralisée des travailleurs
Les récentes attaques du gouvernement et des entreprises de construction contre le KCWU doivent être comprises dans le contexte de la montée en puissance des syndicats et du pouvoir des travailleurs dans le secteur de la construction. Face à cette répression croissante, le mouvement syndical coréen ne recule pas.
La Confédération coréenne des syndicats (KCTU), à laquelle la KCWU est affiliée, ainsi que d’autres syndicats affiliés, ont déjà annoncé une série d’actions de grève et de rassemblements au cours des deux prochains mois.
Le syndicat coréen des travailleurs de la métallurgie est le premier à appeler à une grève générale pour le 31 mai. Le KCWU vise à mobiliser 100 000 membres du syndicat pour faire grève en juillet. La KCTU met en place une large alliance pour la grève générale « anti-Yoon Suk-yeol » pour le mois de juillet.
Alors que la crise sociale et politique s’aggrave en Corée du Sud, cette lutte est rapidement devenue un champ de bataille essentiel. Ses processus et ses résultats façonneront sans aucun doute l’avenir du mouvement ouvrier et de la société coréenne.
Myungkyo Hong - 5 mai 2023