• Peux-tu nous retracer l’historique de la SBFM ?
Pierre Le Menahes - La SBFM, née en 1966, est issue des forges d’Hennebont. D’une production sidérurgique, la SBFM est passée à une production principalement axée sur les pièces de sécurité automobile (collecteurs d’échappement, bras de suspension, portes fusées etc.) avec Renault pour client principal absorbant 70 % de notre production. Renault a été, jusqu’en 1998, notre actionnaire principal, à hauteur de 99 %. Cette année-là, nous avons été cédés au groupe Teksid, actionnaire italien de la branche fonderie de Fiat, qui, à son tour, nous a vendus, en août 2006, à l’entreprise familiale italienne Garro, spécialisée dans les pièces mécaniques pour poids lourds et machinisme agricole. La SFBM est, par excellence, l’enfant des grandes grèves me¬nées à l’époque par les ouvriers des Forges d’Hennebont. Nous som¬mes, depuis plus de quarante ans, les héritiers de cette culture ouvrière, où la transmission du savoir s’est toujours effectuée dans la lutte pour la défense et le développement de l’outil de travail dans l’intérêt des salariés.
• Combien comptez-vous de salariés ?
P. Le Menahes - La SBFM a compté jusqu’à 1 600 salariés au début des années 1980, avec une mixité de jeunes embauchés et d’anciens des Forges d’Hennebont. L’emploi, dans les années qui suivirent, a été régulièrement laminé, et aujourd’hui la SBFM ne compte plus que 618 salariés avec une réduction drastique des effectifs CDI.
• Vous avez été rachetés par des sociétés italiennes. À quels problèmes êtes-vous confrontés depuis ?
P. Le Menahes - Cette succession d’actionnaires et la politique de rentabilité financière immédiate, sans l’ombre de véritables investissements, nous ont immédiatement posé d’énormes problèmes et ont dynamité notre fonctionnement à tous les niveaux. Depuis maintenant sept ans, les bouleversements créés par la politique restrictive des actionnaires successifs, ainsi que par le non-remplacement des départs en retraite dans le cadre du plan amiante en vigueur depuis 2000, marquent de leurs empreintes une mutation sans précédent à la SBFM. Cette métamorphose dans la configuration de l’entreprise a bousculé les équilibres et les repères au cœur des effectifs, mais également au niveau organisationnel, dans les ateliers, services et bureaux. Fragilisation de la main-d’œuvre et du savoir-faire, baisse notoire du niveau de l’emploi CDI, précarisation abusive au travers de l’intérim et réduction des investissements sont autant de handicaps qui anesthésient et paralysent l’efficacité et le développement industriel de la SBFM. Sur fond de réduction drastique des coûts et de suppressions d’emplois, ce manque de moyens humains et matériels, dans la période charnière que nous vivons, pénalise lourdement nos conditions de vie et de travail dans l’entreprise.
Poursuivre une telle politique économique et sociale hypothèque notre potentiel industriel. Il faut au contraire reconnaître les qualifications et classifications, les diplômes, la transmission du savoir-faire en favorisant les perspectives d’évolution de carrière, conjugué à la formation professionnelle et au plein-emploi pour tous. Cette volonté s’inscrit dans l’action syndicale CGT au quotidien, tant au niveau revendicatif que dans l’analyse économique.
• Comment réagissent les salariés ?
P. Le Menahes - Les salariés de la production et des services sont conscients des enjeux économiques et sociaux, et ils sont à la fois mobilisés, déterminés et prêts à l’action dans tous les cas où les droits, usages et acquis sociaux sont menacés. Ici, le slogan « travailler plus, pour gagner plus » est combattu sans complaisance. En clair, la France « qui se lève tôt », n’a pas l’intention de se coucher devant les actionnaires.
• Votre usine est réputée pour sa tradition de lutte. Avec les nouveaux salariés, c’est toujours le cas ?
P. Le Menahes - Notre tradition de lutte est effectivement non seulement réputée mais respectée, l’histoire de la SBFM a toujours été émaillée de grandes grèves pour la défense du site, de l’emploi, des salaires et des conditions de travail. Il y a eu 1968, bien sûr, mais d’autres mouvements mémorables sont aussi inscrits à jamais dans les annales : 1974 et 1976, avec plusieurs semaines de débrayage pour les salaires, 1981, avec six semaines d’occupation de l’usine en grève totale pour le respect des accords salariaux signés avec le groupe Renault. De nouveau en 1988, où nous avons occupé l’usine et la zone industrielle pendant un mois pour combattre un plan de 250 suppressions d’emplois. Les années 1990 ont été ponctuées de nombreux débrayages avec deux temps forts, l’application des 35 heures et la création de l’atelier de mécanique. Les années 2002 et 2004 ont été marquées par trois jours de grève totale avec occupation, pour exiger des augmentations de salaires et des embauches, que nous avons obtenues, avec les jeunes en première ligne. Aujourd’hui, avec ces jeunes, nous poursuivons sans relâche ce combat au quotidien car notre force syndicale CGT est l’œuvre d’une succession de générations mais n’a, fort heureusement, pas pris une ride.
À noter, le dernier mouvement de grève du 1er juin 2007, pour l’emploi et la pérennité du site, a rassemblé 95 % des salariés de la production. Notre syndicat CGT SBFM est une grande famille dont nous sommes fiers, nous avons obtenu 87 % des voix aux élections professionnelles de 2006. Nos 400 syndiqués sur 500 salariés en production, dans l’unité et la diversité d’idées, forment un contre-pouvoir incontournable pour faire face aux mauvais coups des actionnaires.
• Quelles sont vos revendications immédiates ?
P. Le Menahes - L’emploi, avec l’embauche impérative de 60 salariés CDI pour garantir le bon fonctionnement de l’entreprise, ainsi que le remplacement de tous les départs dans le cadre du plan amiante. C’est également la reconnaissance des qualifications et classifications, la prise en compte de la pénibilité, l’amélioration des conditions de travail par des investissements à la hauteur des besoins. L’avenir de la SBFM est aujourd’hui concrètement posé avec la menace de délocalisations vers les pays à faibles coûts de main-d’œuvre.