TokyoTokyo (Japon).– Un lourd haut-parleur sur l’épaule, Megumi Koike, 40 ans, porte symboliquement la voix des opprimé·es. Mardi dernier, le gouvernement japonais a voté un amendement à la loi du contrôle de l’immigration et des réfugié·es : dans ce projet très controversé, une volonté affichée de faciliter les mesures de reconduite à la frontière des ressortissants étrangers, en particulier ceux qui font plus de deux demandes d’asile.
Sous son imperméable blanc, ruisselant sous la pluie battante, la chevelure rose de Megumi Koike apparaît en transparence. Elle court partout : près de 3 500 personnes sont venues protester dans un parc de l’ouest de Tokyo, et elle a participé à organiser ce rassemblement. Engagée dans la lutte contre les inégalités, cette militante du Parti communiste japonais fait partie des 1 457 femmes fraîchement élues dans l’ensemble du Japon, depuis le scrutin municipal d’avril. Ensemble, elles ont remporté plus de 20 % des sièges : un record. Pour les assemblées préfectorales, dont les membres ont été désignés quelques semaines plus tôt, 16 % des 3 139 candidat·es étaient des femmes, soit 316 élues : un nombre jusqu’alors jamais atteint.
Au Japon, « les femmes ont cruellement besoin d’une meilleure représentation sur la scène politique, explique Megumi Koike. Elles ont besoin de se sentir concernées, écoutées et soutenues ».Elle est inquiète : « La société japonaise se détériore : les gens ont du mal à survivre financièrement, à avoir des rêves d’avenir. » Les jeunes entrent dans la vie active, « endettés par des prêts étudiants : comment font-ils pour se projeter ? Comment peuvent-ils fonder une famille sereinement ou décider de changer de travail s’ils le souhaitent avec cette pression du remboursement sur le dos ? », s’interroge-t-elle.
Megumi Koike lors de la manifestation contre la loi de contrôle de l’immigration à Tokyo, le 7 mai 2023. © Photo Johann Fleuri pour Mediapart
Prônant un programme féministe, cette élue d’extrême gauche a mis en avant dans sa campagne électorale un accès gratuit à la cantine, une réduction des cotisations à l’assurance-maladie, une aide pour les foyers les plus modestes. Sur le plan national, elle aimerait voir la création d’une loi interdisant toutes formes de discriminations et les discours de haine envers les minorités. Elle encourage aussi le gouvernement à signer le traité pour l’abolition des armes nucléaires.
Megumi Koike vient de rejoindre le conseil de l’arrondissement de Suginami (Tokyo). Dans cette localité du nord-ouest de la capitale qui compte 570 000 habitant·es, sur les 48 sièges du conseil, 25 sont désormais occupés par des élues, soit plus de la moitié. À Suginami, la prouesse a été rendue possible grâce à la mairesse, Satoko Kishimoto, élue l’été dernier avec le soutien de la gauche et dont la politique très marquée par le climat et la lutte contre les inégalités fait du bruit.
Au-delà des frontières de Tokyo, Shirai, dans la préfecture de Chiba, et Takarazuka, dans celle de Hyōgo, comptent aussi désormais des conseils municipaux représentés majoritairement par les femmes. Selon une enquête réalisée en janvier par le quotidien Asahi Shimbun, la parité dans les conseils municipaux était jusqu’à maintenant exceptionnelle et aucun d’entre eux n’était majoritairement féminin.
La plupart du temps, les nouvelles élues sont classées à gauche. De fait, ce sont les partis progressistes qui sont les plus proactifs pour présenter des femmes, quand le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir peine à féminiser ses rangs. Lors des municipales, il n’a présenté que 10 % de femmes – une proportion qui grimpe à 44 % pour le Parti communiste, selon les calculs du journal Nikkei.
La politique, privilège des hommes de plus de 60 ans
Jusque-là, le paysage politique japonais était très masculin. Selon le classement 2022 du Forum économique mondiale, le Japon se situe au 139e rang mondial sur 146 en matière de parité politique. Les femmes qui composent la moitié de la population de l’archipel sont peu et mal représentées. Un effet renforcé par le fait que les rares élues du PLD, aux discours très conservateurs, ne se mobilisent pas pour l’égalité des sexes.
Au niveau national, les femmes élues représentent 9,7 % dans la Chambre basse. Lorsque Satoko Kishimoto est élue en juin dernier, elle constate que « seules 2 % des élu·es locaux sont des femmes au Japon, soit 44 mairesses sur les 1 811 maire·esses de l’archipel », précise-t-elle. Les élus sont surtout des hommes « plutôt âgés ». « À Tokyo, la moyenne d’âge des maires est de 67 ans. Les septuagénaires sont les plus représentés. »
Les nouvelles élues de Suginami, de la droite vers la gauche, Satoko Kishimoto, Megumi Koike et Haruka Terada. © Photo Hajime Tanaka<
Haruka Terada, également nouvelle élue de Suginami, remarque pourtant que « lorsque l’on échange avec certains hommes du conseil de problématiques, ils finissent par nous dire qu’ils n’avaient pas vu la chose sous cet angle et sont plutôt reconnaissants »,explique-t-elle dans le cadre d’un événement YouTube. Haruka Terada fait partie des 24 candidates soutenues par le « Fifty’s Project » à avoir remporté un siège en avril. Lancé en septembre dernier, ce mouvement qui milite pour la représentation des jeunes femmes et personnes non binaires en politique, mené par Momoko Nojo, 25 ans et instigatrice du mouvement « No Youth No Japan », a fait mouche. Son objectif : booster le nombre de jeunes dans les conseils municipaux, qui ne représentent que 18 % des effectifs. Le point commun de ces aspirantes en politique : elles sont toutes âgées de 20 à 40 ans.
Autre protégée du Fifty’s Project, Mizuki Ono, 30 ans, a été élue dans l’arrondissement Setagaya (Tokyo) : cette ville de 930 000 habitant·es, qui ne comptait pas de femmes de moins de 40 ans dans son conseil, en dénombre désormais quatre. « Je souhaite mettre à profit ces quatre années de mandat pour lutter contre les discriminations sexistes et mettre en place un programme de bourses d’études pour les enfants », souligne Mizuki Ono, lors du même live sur YouTube.
« La population ne nous connaissait pas mais nous a fait confiance, ajoute Haruka Terada. Nos programmes leur ont parlé. » Au lendemain de l’élection de Satoko Kishimoto, les résultats avaient montré que les électrices s’étaient davantage déplacées aux urnes, permettant ainsi à cette chercheuse et activiste alors novice en politique de déboulonner par surprise le maire conservateur qui briguait son quatrième mandat. « Notre génération a toujours eu cette image des politiciens qui sont à 90 % des hommes,explique Momoko Nojo sur YouTube. Hormis Shinjirō Koizumi qui était trentenaire, ils ont toujours été également âgés. »
Les femmes doivent néanmoins gagner leur place au quotidien : en dépit de leurs résultats dans les urnes, l’accueil reçu au sein des conseils une fois élues reste frisquet et 66 % d’entre elles, selon une étude gouvernementale, confient faire l’objet de railleries dans l’exercice de leurs nouvelles fonctions. Autres interrogations : leur popularité sera-t-elle une passerelle vers la jeunesse qui vote majoritairement pour le PLD, au pouvoir de façon quasi continue depuis la Seconde Guerre mondiale ? Permettra-t-elle aux partis de la gauche japonaise de retrouver le soutien de l’électorat ? Fondé en 1922, le Parti communiste japonais, engagé dans la protection du caractère pacifique de la Constitution et mobilisé contre la présence militaire américaine dans l’archipel, continue de perdre des sièges à chaque scrutin.
Johann Fleuri