« Souvenez-vous de ce moment ! Souvenez-vous toujours de cette dernière salle de classe où vous avez franchi la porte et où vous avez été surpris par un mot terrible et stupéfiant :
– La guerre ! »
Il y a plus d’un demi-siècle, ces lignes sont sorties de la plume d’Oles Honchar, un écrivain ukrainien, dans son roman L’homme et les armes. Le protagoniste est un étudiant de la faculté d’histoire, un jeune homme idéologiquement accompli et déterminé qui, comme la plupart de ses camarades de classe, recherche la justice non seulement en paroles mais aussi en actes. C’est un véritable chevalier, mais au lieu d’un bouclier et d’une épée, il possède une connaissance approfondie et aiguë des relations sociales.
Pourtant, la guerre semblait être une bête sanguinaire confinée aux pages des manuels scolaires. Jusqu’à ce que l’histoire du livre se transforme en une réalité actuelle. Ce n’est pas sans raison qu’aujourd’hui encore, dans les salles de classe de l’université de Kharkiv, on entend des professeurs dire que l’histoire se déroule toujours en spirale, ajoutant non seulement ses réalisations, mais répétant aussi ses erreurs.
En juin 1941, les nazis sont entrés dans Kiev et ont ensuite visé Kharkiv.
Un bataillon d’étudiants volontaires se forme dans la ville, qui, bien que bénéficiant d’un sursis, veulent défendre leur terre natale, leur région. Oles, qui a alors 23 ans, comme le protagoniste de son roman, rejoint les rangs de la résistance, le bataillon d’étudiants.
« Студбат [bataillon étudiant] est un mot étrange, qui fera désormais partie à jamais de la vie d’une mère, de ses nuits blanches, de ses angoisses maternelles. Alors qu’il y a encore des sourires sur les visages des jeunes et des plaisanteries sur leurs lèvres, sa fervente imagination maternelle les voit déjà saigner sur les tables d’opération, les tués, les blessés, les disparus... » écrit le futur héros de l’Ukraine.
Malheureusement, il aura raison : sur plus de 1 500 élèves, seuls 36 reviendront du front. Honchar lui-même est blessé à plusieurs reprises, et un éclat d’obus est resté dans sa jambe, souvenir de l’époque terrible de la lutte contre la peste brune.
L’exploit des jeunes étudiants de Студбат est resté à jamais gravé dans le cœur des étudiants de Karazin. Les descendants reconnaissants ont décidé de lancer la construction d’un monument, mais ils ont dû faire face à une nouvelle bataille, cette fois avec la municipalité locale.
L’initiative de construire le monument remonte à la fin des années 1970, et en 1981, l’équipe « Kommunar » a été créée, dirigée par des étudiants des facultés d’histoire et de radiophysique - H. Milyukha et I. Yefanov. L’organisation comprenait 44 étudiants qui ont décidé de consacrer environ 70 % de leurs revenus à la construction du monument.
Au milieu des années 1980, 200 000 roubles ont été collectés et remis aux sculpteurs. En 1981, un concours est organisé et les jeunes artistes de Kharkiv, D. Sova, L. Zhukovska et D. Dadoshev, sont lauréats.
Même pour les sculpteurs, le destin des étudiants de Студбат était proche : Dmytro Sova a traversé toute la guerre et a été décoré de l’Ordre de la guerre patriotique. La même année, le monument a été coulé à l’usine de sculpture de Kiev.
Faute de moyens financiers, le monument n’a pas pu être installé et est resté dans la cour de l’université pendant une quinzaine d’années. Pendant cette période, les sculptures ont été endommagées et la baïonnette du fusil a été perdue, ne subsistant que sur le papier l’ébauche. C’était ici une claire preuve de l’attitude dédaigneuse des autorités à l’égard des héros.
Néanmoins, les personnes concernées n’ont pas écarté l’idée d’ériger le monument et, en 1999, il a été inauguré.
Le monument est incarné par un homme portant une chemise brodée et un fusil sur l’épaule. Sa forte carrure symbolise le dur labeur de la terre, les semailles du printemps et les récoltes de l’automne.
À son épaule gauche, un jeune homme portant des lunettes, un pull et un simple pantalon se précipite dans la bataille. Peut-être aurait-il pu devenir professeur, explorer les anciennes colonies grecques ou faire une découverte digne d’un prix Nobel. Dans les décennies à venir, son piédestal aurait pu se trouver en face de Karazin lui-même, aux côtés de Mechnikov, Kuznets et Landau.
Pendant qu’ils courent, les jeunes gens ne remarquent pas qu’une toute autre bataille se déroule derrière eux.
Une jeune fille se tient debout, une main sur un livre et l’autre sur son amant, et dans son cœur se livre un tout autre combat - celui du cœur et du devoir envers sa patrie.
A première vue, la file des étudiants se termine par un très jeune homme vêtu d’une veste militaire. Ce n’est pas un manteau mais une bannière qui flotte derrière lui, et sa main tendue semble appeler ses camarades à rejoindre les rangs de la lutte.
Ces jeunes mains, qui n’ont connu que la fatigue de la prise de notes, ne sont pas faites pour un fusil, pour une pelle de sapeur, elles ne sont pas prêtes à affronter la suie grasse de la mort.
Découpant l’horizon avec son corps élancé, l’homme semble s’adresser à son alma mater avec une question muette : « Nous reverrons-nous ?
L’université les attendra dans un silence majestueux, entre ses murs imprégnés du savoir accumulé durant des siècles. Pendant quatre années infiniment longues, ils seront tourmentés par le doute : survivrons-nous, vaincrons-nous les nazis ?
Et l’espoir d’une vie paisible maintiendra les étudiants dans les tranchées : quatre-vingts ans de ciel clair et ensoleillé, d’agitation nerveuse avant l’examen, et la question la plus difficile : « Y a-t-il une vie après une note « D » en philosophie ? »
Malheureusement, Oles Honchar n’a pas pu voir le monument de la part des étudiants reconnaissants. Cependant, les héros de son œuvre, représentés par le monument, restent un symbole de libération et de lutte sacrificielle pour un ciel en paix, pour un monde libéré du fascisme.
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