Marijke fit des études de biologie à l’Université de Gand dans un milieu studieux et contestataire. Attirée par la gauche radicale, elle adhéra au courant trotskiste. Une fois ses études terminées, elle fut engagée à l’université mais, après un accident de voiture, elle choisit finalement l’enseignement secondaire.
Les connaissances biologiques de Marijke l’ont aidée à aborder de manière scientifique les questions sociales avec auxquelles elle était confrontée en tant que militante féministe de gauche, telles que l’hérédité, le racisme, les préférences sexuelles, etc. Marijke avait un héros, du nom de Charles Darwin. Elle rejeta cependant l’interprétation fondamentaliste d’un Richard Dawkins qui réduit tout au gène égoïste, ou celle de la psychologie évolutionniste d’un Steven Pinker. Le problème ne réside pas dans les gènes ou dans le cerveau, mais dans la structure de la société humaine, société qui nécessite une transformation radicale. Marijke souligna le fait qu’on ne peut pas déduire une morale du monde naturel, car celui-ci ne connaît pas de morale. Indignée elle rejeta le darwinisme social cher à la droite. Au contraire, la sélection naturelle avait paradoxalement doté l’être humain de la possibilité de produire lui-même une morale qui rejette la lutte de tou·te·s contre tou·te·s. Les humains ont besoin d’autres humains pour être humains.
La résistance contre toute forme de discrimination, de soumission, d’humiliation et d’exploitation était l’impératif catégorique de Marijke.
Elle ne voulait pas convaincre les gens d’une doctrine salvatrice (si du moins une telle doctrine existait) mais les inciter à penser par eux/elles-mêmes, à s’organiser d’une manière autonome et à agir collectivement, et à se faire ainsi une idée de comment une société future pourrait fonctionner de manière plus juste. J’ai bien dit pourrait, et non devrait fonctionner.
Tenant compte de l’oppression spécifique des femmes, Marijke souligna la nécessité absolue d’un mouvement des femmes autonome, non soumis à quelque intérêt sectaire partisan. La lutte pour le droit à l’avortement a joué en rôle important dans la vie de Marijke. Elle était tellement convaincue du droit des femmes de contrôler leur propre corps, qu’elle n’a pas craint de devenir la directrice de la première clinique illégale spécialisée dans les avortements en Flandre.
Marijke était une enseignante enthousiaste, très appréciée par ses élèves, comme j’ai pu le constater quand elle enseigna la biologie et la chimie en néerlandais, français et anglais à l’école européenne d’Abingdon, près d’Oxford. Se promener avec Marijke était une leçon de botanique et de zoologie. C’est ainsi que j’ai appris la différence entre un bouton d’or et une pâquerette, ignorant écologique que j’étais.
Marijke était athée mais ne le pratiquait pas. Pour elle, il ne s’agissait pas de ce que les gens croient plus ou moins, mais fondamentalement de ce qu’iels font socialement. Sur la question du voile, elle remarqua d’un air narquois que soudainement certains hommes étaient devenus « féministes », en oubliant que sous le voile islamique se trouvent des cerveaux qui, confrontés à la réalité sociale, se mettent à penser. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Iran.
Marijke fut invitée trois fois aux Philippines pour donner des formations à un public paysan en faveur d’une agriculture écologique. Une anecdote : un jour sur l’île de Mindanao, elle entra en contact avec des femmes d’un peuple qui pratique la polygamie. Elle ne les sermonnait pas mais demanda ce qu’elles pensaient de leur situation. La discussion était ainsi lancée.
Marijke ne comprenait rien à la poésie, elle n’aimait pas trop lire des romans et elle abhorrait la musique populaire. Elle n’observait pas la moindre politesse quand on lui servait un plat qu’elle n’aimait pas. Les goûts n’étaient pas un sujet de discussion. Mais elle aimait les polars télévisés allemands et des séries comme Star Trek, ainsi que les bandes dessinées et les courses cyclistes.
Dans la dernière période de sa vie Marijke se faisait des grands soucis sur l’évolution politique et sur la crise climatique. Elle tint plusieurs conférences sur l’écologie, le climat et l’écoféminisme dans les pays de langue allemande. Quand le régime de Poutine attaqua l’Ukraine militairement, elle prit position en faveur la défense armée des victimes de l’agression. Elle condamna le mouvement de la paix qui ne réalise pas qu’il s’agit d’une guerre au service du chauvinisme grand-russe et des intentions impérialiste d’un staliniste devenu fasciste.
Je termine en remerciant vivement le personnel et les volontaires des soins palliatifs de l’hôpital Sint Lucas à Gand, qui ont affectueusement accompagné Marijke dans ses derniers jours. Je remercie également Caecilia, la sœur jumelle de Marijke et sa sœur Trees pour leur aide dans les moments difficiles. Et je n’oublie évidemment pas sa sœur Lutgart venue des États-Unis et toutes le amies et amis de Marijke. Les nombreuses marques de condoléances venues de diverses parties du monde sont la preuve que Marijke était hautement appréciée.
Hendrik Pips Patroons