
Je remercie le Royaume-Uni d’avoir organisé cette réunion selon la formule Arria. Je m’appelle Wai Wai Nu, je suis la fondatrice et directrice exécutive du Women’s Peace Network, une ancienne prisonnière politique et un membre de la communauté Rohingya.
Depuis que le Conseil a adopté la résolution 2669 en décembre dernier, la junte a commis des atrocités de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves. Nous voyons aujourd’hui la junte arrêter et détenir arbitrairement de nombreux autres civils, incendier et raser davantage de villages, et brûler et tuer davantage de civils. Ces atrocités exposent les femmes, les jeunes filles et les membres des communautés LGBTQ+ à un risque accru de violences sexuelles ciblées de la part de l’armée. Le massacre de Pazigyi, le mois dernier, a valu au Myanmar l’un des nombres les plus élevés de frappes aériennes au monde.
Selon le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, certains membres de ce même Conseil fournissent les armes et le carburant d’aviation qui facilitent la réalisation de ces crimes. Le Conseil doit maintenant remédier à ses échecs et réaffirmer son engagement en faveur de la paix et de la sécurité dans le monde.
Excellences : Le cyclone Mocha et ses conséquences exacerbent aujourd’hui les risques de mort pour les communautés de l’ouest du Myanmar, en particulier dans l’État de Rakhine. Le cyclone a laissé sur son passage un spectacle de dévastation dans le pays, avec des glissements de terrain et des inondations, la destruction d’habitations et de camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays, des blessés et des morts.
Cependant, quatre jours après le passage du cyclone Mocha au Myanmar, la junte bloque toujours l’aide humanitaire à l’État de Rakhine, y compris celle des agences des Nations unies. Les communautés de ces régions n’ont plus de nourriture ni même d’eau depuis des jours. Un jour de plus sans l’aide vitale de la communauté internationale les fera mourir de faim.
Nous savons à quoi cela ressemble. En 2008, plus de 140 000 personnes ont perdu la vie au Myanmar lors d’une crise similaire, le cyclone Nargis. À la suite de ce cyclone, la dictature militaire a délibérément entravé les efforts internationaux d’aide aux régions touchées et a même organisé un simulacre de référendum constitutionnel. Le mépris délibéré des militaires pour les vies humaines a amplifié la dévastation causée par Nargis. Ce sont les mêmes militaires birmans qui composent la junte aujourd’hui.
Si l’histoire se répète, elle dévastera encore plus les communautés du Myanmar, en particulier les 600 000 Rohingyas qui restent dans le pays. En effet, la plupart des Rohingyas vivent dans les régions touchées par le cyclone Mocha, et leurs conditions de vie les rendent disproportionnellement vulnérables à de telles catastrophes. Dans l’État de Rakhine, les Rohingyas sont depuis des décennies victimes d’une ségrégation forcée dans des conditions de dénuement total. 140 000 Rohingyas sont depuis longtemps confinés dans des camps de déplacés situés dans des zones vulnérables aux catastrophes naturelles, dans des abris conçus pour ne durer que quelques années.
Le Conseil doit rappeler que c’est la violence soutenue par l’État dans l’État de Rakhine, en 2012, qui est à l’origine de ces camps de déplacés. Et c’est dans l’État de Rakhine que l’armée birmane a systématiquement et brutalement assassiné, torturé, violé les Rohingyas et incendié leurs maisons, forçant des centaines de milliers d’entre eux à fuir en 2017. C’est cette année-là que ce même Conseil a réagi par une déclaration présidentielle appelant à « s’attaquer aux causes profondes de la crise dans l’État de Rakhine ».
Des mesures significatives pour lutter contre l’apartheid dans l’État de Rakhine - et le génocide des Rohingyas qui dure depuis des décennies - auraient pu atténuer les conséquences du cyclone Mocha. Ces mesures auraient pu empêcher la mort de plus de 400 Rohingyas et la disparition de centaines d’autres.
Ainsi, lorsque nous voyons la junte saboter l’évacuation des Rohingyas avant le passage du cyclone Mocha ou bloquer l’aide aux camps de personnes déplacées, ces actes constituent une preuve supplémentaire de la poursuite du génocide. Ils s’ajoutent aux restrictions de plus en plus sévères imposées par la junte à la liberté de mouvement des Rohingyas, à leur accès à l’éducation et aux soins de santé, à leurs moyens de subsistance, au mariage et à la naissance, ainsi qu’à d’autres droits fondamentaux. Selon mon organisation, le Réseau des femmes pour la paix, la junte a utilisé ces mesures pour arrêter et détenir arbitrairement plus de 3 100 Rohingyas depuis sa tentative de coup d’État.
Telles sont les mesures délibérées prises par la junte pour exacerber les conditions de vie désastreuses - pour les Rohingyas - dans l’État de Rakhine.
Excellences : Dans le contexte d’un génocide, les États doivent condamner et mettre un terme au pilotage par l’armée du projet de rapatriement, car il ne garantira pas le rapatriement volontaire, sûr, digne et durable des réfugiés rohingyas.
Ce projet est conçu pour permettre à la junte de contrôler tous les aspects de la vie des Rohingyas qui rentrent au Myanmar. Il permettra à la junte de contrôler l’accès des Rohingyas à l’aide humanitaire, de les isoler dans des camps d’internement et de les forcer à accepter le système discriminatoire de la Carte de Vérification nationale (NVC).
Par conséquent, le projet renforcera l’apartheid en cours dans l’État de Rakhine. Et, fait inquiétant, il placera davantage de Rohingyas dans une position de vulnérabilité face à la poursuite des actes de génocide.
En fait, l’absence de rapatriement volontaire, sûr, digne et durable prolonge la crise des réfugiés. En conséquence, elle est devenue l’une des principales causes de la traite des êtres humains, de la crise des bateaux et de la montée de la violence des gangs et des militants dans les camps de réfugiés, à laquelle s’ajoutent la détérioration de la sécurité et des conditions dans les camps, ainsi que l’aggravation de la crise alimentaire.
Pour créer véritablement les conditions du rapatriement des Rohingyas, le Conseil doit donc mettre fin à l’impunité qui a permis ce génocide. C’est cette même impunité qui a enhardi les militaires à lancer un coup d’État, et même à agir en violation de tous les points du Consensus en cinq points de l’ANASE - depuis son adoption.
Excellences : À maintes reprises, l’armée nous a montré qu’elle n’arrêterait pas de commettre des crimes - on ne peut jamais lui faire confiance en tant qu’acteur de la paix et de la sécurité au Myanmar.
Compter sur l’armée pour se transformer ne fera que désintégrer davantage la situation au Myanmar en une crise régionale. Malgré cela, l’ASEAN (ANASE) n’a toujours pas réagi efficacement à la situation au Myanmar. Le refus de l’ASEAN de prendre de nouvelles mesures ou même de reconsidérer son consensus en cinq points, qui a échoué, est décevant.
D’après la déclaration du président de l’ASEAN la semaine dernière, le centre AHA continuera probablement à collaborer avec l’armée dans ses efforts de rapatriement bidon, notamment en mettant en œuvre la NVC génocidaire. Cette stratégie de l’ASEAN ne fera que prolonger la crise et aggraver l’instabilité dans la région.
Excellences : Dans sa résolution 2669, le Conseil a décidé de rester activement saisi de la question du Myanmar. En conséquence, je demande instamment au Conseil d’appliquer cette résolution. Le Conseil doit exercer d’urgence le mandat et les pouvoirs que lui confère le chapitre VII pour mettre fin à la catastrophe humanitaire et à la violation des droits de l’homme, et pour apporter la paix et la sécurité au Myanmar et à la région.
Cela inclut les actions du Conseil pour mettre fin immédiatement à l’impunité au Myanmar et tenir les chefs militaires birmans responsables de leurs crimes internationaux. Il doit au moins combler les lacunes de la résolution 2669 en imposant un embargo complet sur les armes et le carburant d’aviation, ainsi qu’un régime de sanctions économiques visant les militaires. Ces actions urgentes devraient également inclure des poursuites pénales à l’encontre des militaires en les déférant à la Cour pénale internationale ou en créant un tribunal spécial ou ad hoc sur le Myanmar.
Le Conseil doit également veiller à ce que l’aide aux régions touchées par le cyclone Mocha soit acheminée par l’intermédiaire des organisations communautaires et de la société civile du Myanmar, et non par l’armée. Les organisations communautaires locales ont accès aux zones touchées et jouissent de la confiance de leurs communautés.
Enfin, le Conseil doit examiner, surveiller et éventuellement faciliter tout effort de rapatriement des Rohingyas. Aucun rapatriement ne devrait avoir lieu sans une protection internationale adéquate, l’égalité des droits et la pleine citoyenneté, ainsi que la restitution des terres et des biens aux Rohingyas.
Après des décennies de génocide contre les Rohingyas, plus de deux ans après la tentative de coup d’État militaire et près d’une semaine après les conséquences dévastatrices, prévisibles et évitables du cyclone Mocha, il est de la responsabilité de ce Conseil de prendre des mesures énergiques.
Le peuple du Myanmar compte sur vous.
Wai Wai Nu, Réseau des femmes pour la paix
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