C’est finalement au terme de 75 jours de grève, dans la soirée du vendredi 2 juin, qu’un accord est trouvé : les grévistes ont remporté la victoire et la direction accède à leurs revendications, à savoir l’augmentation des salaires (de 90 à 140 euros par mois selon l’ancienneté), l’embauche de 30 intérimaires en CDI et l’absence de poursuites envers les travailleuses [1] mobilisées.
Photo : NPA / lanticapitaliste.org
DEUX MOIS ET DEMI DE LUTTE
Malgré souvent plus d’une dizaine d’année de carrière pour la plupart des salariées travaillant pour Vertbaudet, c’était la première fois le 20 mars dernier que celles-ci faisaient grève. Face à un accord salarial qui prévoyait une « augmentation de 0% », se contentant d’octroyer une prime de 650 euros (qui n’aurait eu aucun impact sur le calcul des retraites), les travailleuses de l’entreprise, qui passent la journée debout à tester, préparer et emballer les poussettes et gigoteuses commandées en ligne, ont arrêté le travail pour réclamer une augmentation de salaire de 150 euros nets, ainsi que l’embauche d’intérimaires afin de soulager l’énorme charge de travail.
Entre une direction qui ne reculait devant aucune bassesse pour s’attaquer à la grève (intimidation et menace de licenciement, instrumentalisation des salarié·e·s non-grévistes afin de dénoncer les travailleuses en grève qui « terniraient » l’image de l’entreprise [2], etc.) et les violences policières qui ont ponctué le mouvement (démantèlements violents du piquet, qui ont notamment mené une gréviste aux urgences [3], agression d’un syndicaliste devant chez lui par des policiers en civil [4], les grévistes n’ont rien lâché et sont parvenues à imposer un véritable rapport de force qui a fini par forcer la direction à craquer.
Les grévistes n’ont rien lâché et sont parvenues à imposer un véritable rapport de force qui a fini par forcer la direction à craquer.
La grève a également été rythmée par la venue de Sophie Binet sur le piquet [5], fraîchement élue Secrétaire générale de la CGT, donnant ainsi un écho à la lutte des travailleuses. Ce soutien s’est renforcé notamment à travers l’organisation d’une manifestation à Paris le 23 mai, lors de laquelle Binet a affirmé vouloir « nationaliser » le conflit si aucun accord n’était trouvé par la direction d’ici le 26 mai, affirmant ainsi qu’elle pourrait lancer l’ensemble de la CGT dans la bataille. Une menace qui semble avoir joué, puisque Vertbaudet annonçait quelques jours plus tard la conclusion d’un accord qui accédait aux revendications des grévistes.
UNE IMPORTANTE VICTOIRE FÉMINISTE
Comme l’ont souligné pertinemment les propos de Sophie Binet (qui parle d’une lutte de femme pour l’indépendance économique) [6] et du collectif derrière la tribune de soutien à la grève publiée le 23 mai dans Le Monde [7], cette lutte est également un enjeu féministe. Les faibles salaires des travailleuses, malgré des décennies d’ancienneté, ou encore le mépris de la direction face aux revendications des grévistes sont indissociables du fait que les salariés qui travaillent pour l’entreprise sont majoritairement des salariées. Or, comme de nombreux travaux féministes l’ont déjà montré, l’organisation sexuée du travail ne conduit pas seulement à des discriminations sexistes symboliques, mais précarisent économiquement les travailleuses : que ce soit à travers la dévaluation salariale des emplois considérés comme « féminin », ou encore par la double journée de travail qui renvoie souvent les femmes au temps partiel, celles-ci se trouvent économiquement dominées, et souvent dépendante du salaire d’un partenaire pour survivre.
A propos de la lutte de Vertbaudet, l’historienne Fanny Gallot, spécialiste des inégalités de genre dans les conditions de travail, expliquait à Médiapart : « Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère. Elles sont déqualifiées, leurs compétences professionnelles sont naturalisées, et, en conséquence, elles sont sous-payées ». [8]
Or cette précarité des emplois dits féminins s’est révélée d’autant plus insupportable pour les travailleuses que l’inflation faisait flamber le coût de la vie. Il n’est ainsi pas anodin que parmi les grévistes, un grand nombre soient des mères isolées, particulièrement précaires, dont les salaires ne permettaient désormais plus de survivre ou de s’occuper correctement de leurs enfants. Si le succès de la grève de Vertbaudet est une victoire pour la classe des travailleurs et des travailleuses, elle est aussi une victoire féministe, et rappelle d’ailleurs, même si les circonstances étaient différentes, la réussite des travailleuses domestiques de l’hôtel Ibis-Batignolles à Paris qui, après 22 mois de lutte dont huit de grève, étaient parvenues à faire plier le géant Accor. [9]
LA GRÈVE COMME OUTIL DE LUTTE FÉMINISTE
Si nous soutenons chaque année les grèves du 8 mars, impulsées par le mouvement international de grève féministe, et relayées en Belgique par le Collecti.e.f 8 maars, nous rappelons cependant toujours la nécessité pour le mouvement féministe de ne pas se contenter d’actions ponctuelles, mais de construire tout au long de l’année un rapport de force afin de donner corps aux revendications féministes. Avec leur 75 jours de grèves couronnés par une éclatante victoire, les travailleuses de Vertbaudet nous donnent une importante leçon de la puissance de la grève pour défendre nos droits.
Dans un contexte où la violence du néolibéralisme semble cadenasser les luttes sociales, et où la classe capitaliste est bien décidée à mener la guerre aux travailleurs et aux travailleuses, les grévistes de Verbaudet ont montré par leur détermination sans faille que ce n’est que collectivement qu’on peut faire vaciller les puissances patronales, et que la grève demeure un important moyen de lutte pour faire entendre ses revendications. Cette victoire ne doit pas constituer une fin, mais seulement un début, et donner la force à d’autres secteurs de se saisir de la grève pour porter des revendications féministes dans les luttes pour de meilleures conditions de travail.
L’histoire de la lutte de Vertbaudet fait évidemment écho en Belgique à la mobilisation des delhaiziens et delhaiziennes contre le plan de restructuration annoncé le 7 mars par la direction de l’entreprise. On observe en effet des mécanismes similaires des deux côtés : les caissières sont majoritairement des femmes et souffrent également de voir leur emploi déqualifié, considéré avec mépris et faiblement rémunéré. En même temps, elles se trouvent également à l’avant de cette lutte contre la voracité de la direction.
Évidemment, les multiples attaques juridiques contre le mouvement, comme les ordonnances qui interdisent la tenue de piquet [10], rendent plus difficile le recours à la grève. Mais une autre leçon de Vertbaudet, c’est l’importance de massifier le mouvement au-delà des travailleurs et des travailleuses de l’entreprise elle-même et de faire preuve d’une solidarité plus générale. C’est notamment grâce au soutien de la CGT et de la manifestation du 23 mai que les grévistes ont obtenu le rapport de force qui leur a permis de gagner ; de la même façon, la lutte des delhaiziens et delhaiziennes ne doit pas se limiter aux travailleur·euses de l’enseigne, mais obtenir le soutien le plus large de l’ensemble des autres secteurs de luttes pour gagner le rapport de force.
RENDEZ-VOUS LE 16 JUIN PROCHAIN POUR LE « TRIBUNAL DU COURAGE POLITIQUE »
Que la grève soit un outil de lutte féministe, c’est ce qu’a également montré le mouvement engagé par la Ligue des travailleuses domestiques, organisée autour du MOC Bruxelles, et qui rassemble depuis plusieurs années des travailleuses sans-papiers afin de les soutenir dans leurs revendications d’un accès légal au travail, de la possibilité de porter plainte en cas d’abus et de violences, ainsi que de l’accès à des formations Actiris. Le 16 juin 2022, journée internationale du travail domestique, les travailleuses de la Ligue s’étaient mises en grève (malgré la difficulté de le faire quand on n’a pas de papiers) afin de porter ces revendications en interpellant le monde politique au cours d’un « Parlement des travailleuses domestiques ».
Le 16 juin prochain, elles seront à nouveau en grève, et présentes à la Place Poelaert à Bruxelles pour un « tribunal du courage politique » [11] afin de juger le manque de courage politique du Ministère bruxellois de l’Emploi, représenté par Bernard Clerfayt, concernant les conditions de travail des travailleurs et travailleuses sans-papiers. Nous y serons avec les Féministes anticapitalistes, et nous vous donnons d’ores et déjà rendez-vous pour cet évènement important, qui sera l’occasion d’entendre les témoignages des travailleuses domestiques et de soutenir leur lutte.
Féministes anticapitalistes