Attendu par les catholiques traditionalistes comme une bénédiction, et par beaucoup d’évêques et de prêtres – en France, en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis, etc. – comme un cadeau empoisonné, le motu proprio (« décret personnel ») de Benoît XVI libéralisant la messe en latin a été publié, samedi 7 juillet, à Rome. Il est accompagné d’une « lettre d’explication » (initiative rare) du pape, qui se sait en terrain miné.
Cette question est en effet au cœur du conflit qui oppose encore, quarante ans après, les catholiques favorables au concile VaticanII et les traditionalistes (très minoritaires) qui font de la messe en latin le symbole de leur hostilité au changement des années 1960 dans l’Eglise catholique : reconnaissance de la liberté de religion, ouverture de dialogues avec les autres confessions chrétiennes, avec les juifs et les musulmans, fonctionnement plus collégial, etc.
« DOUBLE USAGE »
Le pape donne satisfaction aux traditionalistes sur le rite, mais ceux-ci devront se garder de triompher. L’article 1 du motu proprio établit que la messe moderne, dite de Paul VI, promulguée en 1970, est « l’expression ordinaire » de la vie de l’Eglise. Elle est solennellement confirmée. Le rite ancien – celui du concile de Trente (1545-1563), actualisé par JeanXXIII en 1962, qui l’avait expurgé de sa prière du vendredi saint pour les « juifs perfides » – n’est admis qu’à titre d’« expression extraordinaire » de la liturgie. La règle reste la messe moderne : la messe en latin est l’exception.
Benoît XVI rappelle que le rite ancien n’avait jamais été abrogé, même après le concile (ce que plus personne ne conteste). Et récusant la critique qu’il pressent aujourd’hui d’un « bi-ritualisme », source de confusion et de
division – qui serait nouveau dans l’Eglise latine (les Eglises d’Orient, pour des raisons historiques, ont plusieurs rites) –, il insiste : « Il n’y a qu’un rite romain », même s’il peut s’exprimer en deux formes. « Il n’est pas convenable de parler (…) de deux rites. Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même rite », écrit-il dans sa lettre d’explication.
La principale nouveauté du décret de Benoît XVI est la levée du verrou qu’avait fixé Jean Paul II pour la célébration de la messe en latin. Le 2 juillet 1988, dans la lettre apostolique Ecclesia Dei, publiée après le schisme de Mgr Lefebvre dans le but, déjà, de se réconcilier avec les traditionalistes, Jean PaulII avait voulu favoriser une application « généreuse » de l’ancien rite, mais l’avait soumise à l’approbation préalable de l’évêque du diocèse. Celle-ci ne sera plus nécessaire.
Ce dispositif n’avait pourtant pas si mal fonctionné puisqu’en France, par exemple, deux diocèses sur trois autorisent déjà des célébrations à l’ancienne. Mais le pape actuel veut aller plus loin dans la « réconciliation » avec son aile conservatrice. L’accès à l’ancienne messe était resté « difficile », admet-il, la raison étant que « les évêques craignaient que l’on mette en doute l’autorité du concile ». Il en libère donc la voie et justifie, en outre, ces nouvelles normes –qui rentreront en application le 14 septembre– par des courants nouveaux de sympathie qu’il observe pour la messe traditionnelle dont on croyait, dans les années 1960, qu’elle disparaîtrait d’elle-même.
« À LA LIMITE DU SUPPORTABLE »
Benoît XVI est un pape de rigueur et d’orthodoxie. Avant d’être élu, le cardinal Ratzinger critiquait déjà les « abus » et les fantaisies de la messe moderne. Dans sa lettre du 7 juillet, il dénonce à nouveau « les déformations à la limite du supportable », déformations « arbitraires qui ont profondément blessé des personnes totalement enracinées dans la foi ». Ces mots iront droit au cœur des traditionalistes. Mais ils décevront la grande majorité des prêtres et des évêques qui s’efforcent d’animer des liturgies modernes accessibles au plus grand nombre sans porter atteinte au mystère et au sacré.
Faut-il en déduire que les traditionalistes ont gagné la partie ? Non, le pape met trois garde-fous. Primo, la messe en latin ne pourra être célébrée qu’à la condition qu’elle soit demandée par un « groupe stable » de fidèles attachés à l’ancien rite qui en fait la demande. Sans doute le mot « groupe stable » reste-t-il très vague. Le pape ne donne ni critère, ni chiffre et cela risque de provoquer des tensions. Mais les prêtres ne seront pas à la merci de pressions et de demandes individuelles.
Secundo, le prêtre en charge d’une communauté, en concertation avec son évêque, garde une marge de manœuvre. Il ne mettra pas en péril sa communauté qui observe la liturgie moderne. Il devra « éviter la discorde et favoriser l’unité de toute l’Eglise », écrit Benoît XVI. Les prêtres de base connaissent les méthodes musclées de certains groupes traditionalistes pour tenter d’obtenir une église ou des célébrations en latin. Avec ce décret, ils ne sont pas démunis d’arguments.
Tertio, seuls des prêtres « idoines et non empêchés par le droit » pourront célébrer selon ces nouvelles dispositions. Les prêtres qui ne sont plus en communion avec l’Eglise (la Fraternité Saint-Pie X fondée par Mgr Lefebvre, excommunié) ne seront pas davantage qu’hier autorisés à célébrer la messe en latin dans le diocèse où ils ont une implantation.
Il s’agit donc d’un texte plutôt équilibré. Le pape n’ignore pas « les exagérations de certains fidèles liés à l’ancienne tradition liturgique ». Mais il estime que les craintes de « troubles » ne sont pas « réellement fondées », simplement parce que « l’usage de l’ancien rite présuppose une formation et un accès à la langue latine qui ne sont plus tellement fréquents ». Il cherche à rassurer les évêques : « Ces nouvelles normes ne diminuent aucunement [votre] autorité ». Ils sont chargés de « veiller à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité ».
Les catholiques conciliaires s’étonneront toutefois qu’aucune contrepartie ne soit exigée des traditionalistes en termes de ralliement au concile VaticanII, qu’ils vont continuer de poursuivre de leur hargne. La fin du schisme est-elle à ce prix ?
Henri Tincq
Encart
Chronologie
1964. Le concile Vatican II adopte une nouvelle constitution liturgique, Sacrosanctum concilium.
1970. Paul VI promulgue la nouvelle messe (langues locales, autel tourné vers le public, etc) qui remplace – sans l’abroger – le rite de Saint-Pie V, ou « tridentin », remontant au concile de Trente (1545-1563), avec messe en latin et autel tourné vers l’Orient.
1975. Mgr Lefebvre, qui a créé la Fraternité Saint-Pie Xgroupant des prêtres hostiles aux réformes du concile et à la nouvelle messe, est suspendu.
1988. Le chef des traditionalistes consacre à Ecône (Suisse) quatre évêques, sans l’autorisation de Jean Paul II. Il est immédiatement excommunié.
Les évêques français se disent rassurés, mais craignent des « réactions revanchardes »
Officiellement, le motu proprio de Benoît XVI, qui libéralise la messe en latin, semble compris et accepté par l’épiscopat français. Après les « craintes » exprimées lors de l’assemblée des évêques, à Lourdes, en novembre 2006, face à un texte qui risquait de donner des gages à l’aile traditionaliste, les commentaires mettent aujourd’hui en avant la volonté du pape de promouvoir « l’unité de l’Eglise ».
« Nos craintes sur la division des paroisses et la remise en cause de l’autorité du concile Vatican II ont été entendues et prises en compte dans la lettre qui accompagne le motu proprio », analyse Mgr Jean- Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, président de la conférence des évêques, avant d’ajouter : « La préoccupation première du pape est bien la réconciliation entre les catholiques qui restent attachés aux textes d’avant Vatican II et ceux qui pensaient que l’on avait tourné la page du rite ancien. » Le cardinal Ricard prévient : « Il y aura des résistances des deux côtés, mais chacun doit parcourir une partie du chemin. »
L’insistance de Benoît XVI à rappeler que la forme liturgique issue de Vatican II demeure « la norme » rassure aussi les évêques de France. « Le pape insiste sur le fait que l’on ne peut pas accepter de voir déconsidéré le missel actuel », constate Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry : « Les célébrations selon le texte ancien ne doivent pas se faire en opposition avec l’autre rite. » Dépossédés, au profit des curés, de la responsabilité d’autoriser ou pas la célébration d’une messe en latin dans leur diocèse, les évêques demeurent pragmatiques. « Le centre de gravité de la décision a changé, mais la gestion des demandes reviendra de fait à l’évêque, car les prêtres ne seront pas en mesure d’y répondre. Faute de disponibilités et faute de formation », indique Mgr Ricard.
« VIEUX DÉMONS »
Comme la plupart de ses collègues, le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, estime que les besoins des fidèles traditionalistes sont déjà couverts dans son diocèse. « C’est une réalité en baisse qui ne concerne que quelques centaines de personnes », assure de son côté Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille.
Aujourd’hui, plus de 120 messes, autorisées par les évêques, sont célébrées en France chaque semaine selon le rite ancien, auxquelles s’ajoutent les quelque 170 messes dominicales assurées par les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, les schismatiques du courant de Mgr Lefebvre.
Mais cette réalité statistique et les garanties rappelées par le pape n’empêchent pas les inquiétudes. « Ce texte risque de réveiller des vieux démons et certains catholiques vont se demander s’il ne constitue pas un abandon de Vatican II », s’inquiète- t-on dans un évêché « acquis au concile ». « Il va aggraver les divisions », craint-on ailleurs. « Je comprends les exigences d’unité, mais il faut y joindre des exigences de vérité, sans instrumentaliser la liturgie », confie Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême. « Le risque de tension entre fidèles est réel », souligne par ailleurs Mgr Barbarin. La charge symbolique portée par les rites liturgiques dans le monde catholique fait en effet craindre des demandes « revanchardes » de la part de traditionalistes militants. « Pour certains, demander lamesse en latin apparaîtra comme un étendard destiné à tester la fidélité du curé au pape », prévoit Mgr Ricard.
Selon un sondage publié par l’hebdomadaire Pèlerin du 5 juillet, 65 % des catholiques pratiquants sont opposés à la célébration de la messe en latin.
Stéphanie Le Bars