La commission électorale thaïlandaise “a surpris tout le monde en annonçant qu’elle enquêterait sur Pita Limjaroenrat, le chef du Move Forward Party (MFP) et candidat au poste de Premier ministre”, écrit le quotidien conservateur Bangkok Post..
La commission cherche à savoir si M. Pita a violé l’article 151 de la législation électorale en détenant des actions dans les médias de la chaîne ITV. La loi thaïlandaise interdit aux candidats de détenir des participations dans des médias. Le chef du MFP affirme avoir hérité de ces actions de son père et les avoir transférés à des proches.
“Si la Thaïlande était une démocratie normale, M. Pita serait déjà au pouvoir. Son parti a remporté 14 millions de voix et 151 sièges lors des élections générales du 14 mai”, explique Nikkei Asia.
La victoire éclatante et sans appel du MFP aux élections législatives, le 14 mai, a été un puissant désaveu pour les élites traditionnelles thaïlandaises. Selon Nikkei Asia, elles pèsent de tout leur poids pour éviter à la démocratie de suivre son cours. Manière de figer le statu quo mis en place depuis le coup d’État de l’armée de 2014. Celle-ci avait renversé le gouvernement élu, et le chef de la junte, Prayuth Chan-ocha, a été élu Premier ministre en 2019.
Un précédent en 2019
Objectif du camp conservateur : éviter la constitution d’un gouvernement par le MFP, dont les propositions sont radicales. Celui-ci entend réformer l’armée afin qu’elle se tienne à l’écart de la politique, réviser le crime de lèse-majesté, aujourd’hui utilisé comme un moyen de limiter la liberté d’expression, et souhaite construire une forme d’État providence dans une société très inégalitaire.
Pour le quotidien Khaosod, l’enquête de la commission électorale est une “mascarade” tant “tout le monde sait que [la chaîne] ITV n’existe plus, qu’elle n’est plus active en tant que média depuis seize ans et que les 42 000 actions de Pita, héritées de son défunt père, sont insignifiantes”.
Le site dénonce dans l’attitude de la commission “un mécanisme complexe visant à empêcher les électeurs de choisir leur propre gouvernement”.
Car, rappelle Nikkei Asia, “ce type d’accusations ne sont que trop familières à l’opposition démocratique thaïlandaise”. Thanathorn Juangroongruangkit, cofondateur et candidat au poste de Premier ministre du Future Forward Party (FFP), dissous et transformé en Move Forward Party, avait été disqualifié dans une affaire similaire. Il avait mené le FFP à la troisième place lors des élections de 2019. “Pita est l’héritier de Thanathorn”, poursuit Nikkei Asia, et sa tête “pourrait être la prochaine sur le billot juridique”.
Contre l’esprit démocratique
Khaosod rappelle que “les sept membres de la commission électorale ont été nommés par la junte”, soulignant que jamais “cette commission électorale n’avait mis en doute la légitimité de Prayuth au poste de Premier ministre alors qu’il est ancien putschiste et chef de la junte”. Le journal estime que les commissaires, en agissant ainsi, “trahissent l’esprit du système démocratique”.
Pour Nikkei Asia, si le MFP est empêché de gouverner, la tension entre un électorat souhaitant bouleverser l’ordre établi et un camp conservateur figé durera.
Un membre du Sénat, qui a demandé à rester anonyme, a déclaré à Nikkei Asia :
“[Le MFP] obtiendra de plus en plus de soutien de la part de la jeune génération. […] C’est un gros problème pour les conservateurs en Thaïlande.”
“Le seul moyen de faire échouer une nouvelle tentative de coup d’État est d’avoir suffisamment de personnes dans les rues qui acceptent d’être emprisonnées – 100 000 ou plus, au moins”, juge Khaosod. Le Bangkok Post insiste pour que la commission électorale clarifie sa décision. “Cela est nécessaire pour garantir sa neutralité et sa responsabilité.”
Courrier International
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