En supprimant arbitrairement et subrepticement plusieurs parties de divers manuels scolaires, le Conseil national de la recherche pédagogique et la formation (NCERT, selon son sigle anglais) trahit mauvaise foi et manque de professionnalisme. Ce n’est cependant pas entièrement surprenant dans le climat politique actuel. Le Bharatiya Janata Party (BJP, au pouvoir) a inscrit au cœur de sa politique la création d’un nouvel écosystème des savoirs dans tous les domaines.
Parmi les suppressions les plus importantes réalisées par le NCERT, en les décrivant comme une rationalisation des programmes scolaires, se trouvent toutes les références à l’hostilité des extrémistes [nationalistes hindous] de l’hindutva pour Gandhi, ainsi que l’interdiction du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) [organisation aux méthodes paramilitaires et matrice idéologique du BJP] après l’assassinat [du père de la nation par Nathuram Godse, qui en avait été membre et pour qui Gandhi était trop favorable à l’unité entre hindous et musulmans].
[Sont encore ôtés] des pans entiers de l’histoire des Moghols [dynasties musulmanes qui régnèrent sur l’Inde de 1526 au milieu du XIXe siècle] ; les émeutes [antimusulmanes] de 2002 dans le Gujarat [alors gouverné par Narendra Modi] ; le mouvement naxalite [rébellion paysanne d’inspiration maoïste pour la réforme agraire] ; l’état d’urgence (1975-1977) et des passages entiers sur les mouvements sociaux.
Irrationalité et préjugés
Les textes d’histoire sont particulièrement visés, et 250 historiens de grandes universités indiennes et étrangères ont fait valoir que les personnes qui les avaient rédigés à l’origine, par un long processus de consultation et de discussion, avaient toutes été laissées dans l’ignorance de ces changements. Ceux-ci ne se limitent pas aux manuels scolaires. Le projet de programme de licence d’histoire élaboré par la Commission des bourses universitaires a également été modifié, ce qui conduit à “une perception de notre passé clairement irrationnelle et empreinte de préjugés”, selon le Congrès indien de l’histoire [la plus grande association d’historiens du sous-continent indien]. Le NCERT a tenté de faire passer son manque de transparence pour un “oubli”, mais il campe sur sa révision.
Les connaissances s’étendent continuellement et la révision des programmes scolaires est essentielle à la qualité du système éducatif. L’enseignement donné à la jeune génération vient de la décision collective d’une société dans laquelle l’éducation officielle est essentielle. Il reflète les valeurs et l’éthique de cette collectivité et évolue au fil du temps. En Inde, l’enseignement s’est développé avec le but de promouvoir l’intégration nationale [des différentes appartenances ethniques ou religieuses], la pensée critique et la démarche scientifique. Au fur et à mesure que la société mûrit, elle doit pouvoir aborder des épisodes plus sombres du passé avec davantage de sérénité. Il faut en outre décider à quel niveau d’enseignement il est approprié de présenter certaines connaissances. Les manuels scolaires et la pédagogie doivent donc être révisés périodiquement.
Le problème, c’est quand cet exercice est effectué de manière politiquement partisane et au mépris de l’expertise. Il devient toxique quand l’enseignement officiel ne produit pas l’harmonie mais le conflit. La croissance et le développement de l’Inde reposent presque entièrement sur l’éducation de sa nombreuse jeunesse pour qu’elle acquière des compétences professionnelles et sociales, de façon à devenir les citoyens attentionnés d’une nation pluraliste. Ils doivent apprendre l’histoire dans le but de ne pas répéter les tragédies du passé, et de construire un avenir harmonieux. Les consultations destinées à définir le programme doivent être plus larges, plus transparentes à tous les niveaux.
Courrier International
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