Mardi 14 mars, l’activiste Justyna Wydrzynska, pilier du collectif Avortement sans frontières a été condamnée en première instance à deux cent quarante heures, soit huit mois, de travaux d’intérêt général, après une procédure judiciaire de onze mois. En 2020, en pleine pandémie, Justyna Wydrzynska avait envoyé ses propres pilules abortives par la poste à une inconnue dénommée Anna, qui avait sollicité l’aide de son organisation pour mettre fin à une grossesse non désirée. L’activiste a annoncé faire appel de sa condamnation pour “aide à l’avortement”.
Un jugement jugé “scandaleux” par l’avocate Kamila Ferenc, de la Fédération pour les femmes, et le planning familial, lors d’un entretien sur la radio libérale TOK FM. “Justyna Wydrzynska est coupable d’avoir aidé une femme qui était dans une situation violente, [elle a agi] par bonté d’âme […]. C’est une capitulation de l’État polonais et du droit polonais, qui se doivent d’aider les personnes.”
“Procès politique”
Le quotidien libéral Gazeta Wyborcza n’en pense pas moins : “Le procès qui s’est achevé aujourd’hui par un tel jugement n’aurait jamais dû avoir lieu. Premièrement, le droit de décider d’avoir ou non un enfant est un droit inaliénable de la femme. Deuxième, Wydrzynska a aidé une femme victime de violence […]. Enfin, le procès relevait du spectacle politique.”
Un “procès politique”, c’est aussi ce que pensent les militantes de l’Abortion Dream Team, un groupe de défense des droits à l’avortement cofondé par Justyna Wydrzynska, citées par le média en ligne OKO. press – orienté à gauche. “Nous sommes en année électorale et 70 % de la population soutient l’avortement légal. Ce serait du suicide”, a commenté Natalia Broniarczyk, une activiste, après l’audience sur la question de savoir pourquoi la peine maximale n’avait pas été requise.
Le site d’information ajoute que l’avocate de l’accusée a précisé que l’article 152 pour laquelle sa cliente a été condamnée sous-entend que l’IVG a eu lieu. Or “l’avortement n’a pas eu lieu”, l’ex-mari d’Anna avait intercepté les pilules abortives avant même qu’elle s’en serve et appelé la police. Anna a finalement fait une fausse couche.
Un article du Code pénal que l’hebdomadaire Polityka trouve “bien large” dans son interprétation, sans doute à dessein. “Impossible de ne pas avoir l’impression qu’il s’agisse d’une disposition rédigée […] pour laisser presque libre champ à l’interprétation de la notion d’‘assistance’”.
Recul des droits des femmes
Le titre libéral estime qu’avec ce jugement “les autorités durcissent à nouveau la loi antiavortement sans en assumer la responsabilité politique”.
Gazeta Wyborcza abonde en ouvrant sur le recul en matière de droits des femmes opéré par les ultraconservateurs au pouvoir à Varsovie depuis 2015. “Ce procès et cette condamnation montrent quel genre de pays est la Pologne aujourd’hui […], un pays qui privilégie l’agresseur, et dont les dirigeants prétendent que nous n’avons pas de violence domestique ni de viol”. Le journal rappelle qu’à l’été 2020 le très sulfureux ministre de la justice – Zbigniew Ziobro – avait menacé de sortir la Pologne de la Convention d’Istanbul (accord européen sur les violences faites aux femmes), sans jamais passer à l’acte.
“Les femmes mettront fin à leurs grossesses et d’autres femmes les aideront. Aucune force ne peut nous arrêter. Vous ne nous brûlerez pas toutes”, finit par conclure Gazeta Wyborcza.
Hélène Bienvenu
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