Il aura fallu plus d’un mois pour que la COMELEC — Commission électorale nationale — rende un rapport sur les résultats des élections législatives et sénatoriales du 14 mai 2007. Et encore il s’agit d’un rapport incomplet en ce qui concerne les résultats des îles de Mindanao (où une partie des urnes fut volée) et de Cebu.
Il ne s’agit pas là des difficultés du décompte des votes ni de l’inefficacité de ceux qui en ont la charge. Les Philippines sont une des « démocraties » les plus corrompues de ce monde. Lors de l’élection présidentielle de 2004 déjà la victoire de Gloria Macapagal Arroyo a été largement attribuée à la fraude à grande échelle. Un enregistrement d’une conversation entre la présidente et Virgilio Garcillano, le chef de la COMELEC, circule très largement. On y entend la présidente s’adressant familièrement à ce dernier — « Hello
Garci » — alors qu’il lui assure qu’il lui garantira un million de voix de majorité…
La diffusion de cet enregistrement a conduit à des protestations massives ainsi qu’à des tentatives de révoquer Arroyo. Mais ces tentatives ont échoué, les opposants n’ayant pas réussi à rassembler suffisamment de voix au sein du Congrès. L’un des enjeux des élections de 2007 était donc d’empêcher les opposants à Arroyo de gagner suffisamment de voix pour pouvoir lancer la procédure de révocation. Il aurait fallu que les opposants remportent huit des douze sièges au sénat qui étaient rééligibles (sur les vingt quatre sièges au total). Les résultats ne sont pas favorables à la présidente de la république : pour l’instant seulement deux élus pour le Team Unity (Équipe Unité) qui soutient Arroyo, deux élus indépendants et sept élus de Genuine Opposition (Opposition véritable). De plus au moins un des deux indépendants, un officier retraité et conspirateur régulier (il est en attente d’un jugement accusé d’avoir préparé un coup d’État l’an dernier), Gregorio “Gringo” Honasan, n’est pas un ami de Gloria Arroyo. En ce moment il y un bras de fer judiciaire entre l’opposition et l’administration autour du douzième élu proclamer. D’après la COMELEC, le candidat de l’opposition qui devaient être élu serait dépassé par un partisan d’Arroyo grâce à des voix miraculeusement trouvées à Mindanao.
La fraude a eu lieu dans tout le pays et les élections ont été placées sous le sigle des « armes à feux, des nervis et de l’or ». Le contenu des urnes est régulièrement changé par intimidation et/ou par la corruption. Les votes en faveur de certains candidats sont « érasés » (supprimés) alors que ceux en faveur des autres sont « remplis » (ajoutés). Dans certains cas, particulièrement flagrants, le vote n’a même pas lieu : les bulletins sont remplis des noms du candidat approprié soutenu par le seigneur de guerre local ou le chef de village corrompu et remis aux autorités.
L’ensemble des 252 sièges de la Chambre des Représentants était rééligible. La plupart de ces sièges sont élus dans des circonscriptions et là Arroyo est certaine d’avoir la majorité par la force ou par l’escroquerie. Mais 20 % des sièges sont éligibles à la proportionnelle, au travers des listes des partis. Précédemment c’étaient surtout des groupes de la gauche radicale, incapables du point de vue financier de concurrencer les riches dans les circonscriptions, qui présentaient des listes pour ces sièges. Dans l’élection de 2007 par contre une multitude de nouveaux partis d’inspiration gouvernementale ont fait leur apparition. Les votes pour les listes réellement indépendantes sont particulièrement vulnérables à la fraude. Ces partis doivent donc tenter de protéger physiquement les urnes jusqu’à la proclamation des résultats, s’ils veulent essayer de ne pas être spoliés de leurs résultats.
C’est dans l’île méridionale de Mindanao, la deuxième plus grande île des Philippines, que la fraude atteint les sommets. Tant Mindanao que les îles adjacentes sont depuis plus de trente années la scène d’un conflit armé. L’instabilité qui en résulte favorise les fraudes. Ainsi le ferry qui transportait les urnes vers l’île de Basilan fut intercepté à la mi-traversée par une bande armée qui a confisqué les urnes et a commencé à les bourrer avec des bulletins de vote au nom de leur candidat…
Le parti radical Anak Mindanao, qui lutte pour la paix et la coopération entre les trois peuples de l’île — les Moro Musulmans, les peuples indigènes et les descendants des colons chrétiens — et qui avait obtenu en 2004 l’élection d’un représentant, Mujiv Hataman, en se voyant reconnaître alors 269 750 votes (2,12 %), fait face en 2007 à une fraude exceptionnelle. Pour l’instant, la COMELEC lui reconnaîtrait 282 936 votes seulement, soit 1,95 %… alors qu’il faut 2 % des voix pour bénéficier d’un siège... Mais dans ces principaux bastions des votes furent attribués à des listes partisanes nouvelles soutenues par le gouvernement Arroyo dont jamais personne n’avait entendu parler à Mindanao, dont une liste de… conducteurs de tricycles de Manille ! Et en 2004 il avait bénéficié de très nombreux votes dans la région de Maguindanao, dont les urnes avaient été volées. Pourtant, Anak Mindanao se bat fermement contre la fraude et — deux mois après le scrutin ! — les résultats définitifs ne sont pas encore proclamés.