Comment se déroule la soirée du 6 mai pour Romain ?
Marie Dalibon - Romain habite à deux pas de la place de la Bastille. Déçu du résultat de l’élection, il décide de s’y rendre et il y retrouve quatre de ses amis. La manifestation dégénère, il y a des tirs de grenades lacrymogènes et Romain, asthmatique, cherche à rentrer chez lui au plus tôt. Il a la mauvaise idée de ramasser un pavé pour sa collection - cela peut paraître étrange, mais c’est son truc, et il en a plusieurs chez lui (un pavé du Paris-Roubaix, entre autres).
Fabienne Pietrus - Alors qu’il essaye de partir, un policier en civil l’arrête violemment. Il atteste avoir vu Romain lancer trois pavés, sans savoir s’il a blessé quelqu’un. Avec toute la fumée qu’il y avait, l’identification était pourtant difficile... Cela suffira à placer Romain en garde à vue
Trois jours plus tard, le 9 mai, Romain, dont le casier judiciaire est vierge, est jugé en comparution immédiate...
F. Pietrus - Avant cela, il est conduit au dépôt, la « souricière » du Palais de justice, à 6 heures du matin, pour une comparution à 18 heures. Les conditions d’hygiène y sont lamentables, une personne, en manque, n’arrête pas de hurler. On ne lui donne qu’une compote et une petite bouteille d’eau pour toute la journée. Son asthme se réveille, mais il n’a rien pour le soigner. C’est dans ces conditions qu’il est présenté au juge.
M. Dalibon - Sûr de son bon droit, Romain pensait être relâché très vite. Sans trop s’inquiéter, il avait accepté l’avocat commis d’office. Mais celui-ci ne l’a pas informé qu’il était possible de demander le report du jugement et lui a fait adopter une ligne de défense aberrante, où Romain devait prendre le profil du coupable. L’avocat n’a pas voulu faire témoigner les personnes qui pouvaient attester que Romain n’avait jamais jeté de pavé. Il l’a même poussé à remercier le policier qui l’avait arrêté, parce qu’il l’aurait empêché de commettre l’irréparable ! Romain a été condamné à quatre mois ferme.
Si Romain était innocent, pourquoi ne pas avoir fait appel ?
F. Pietrus - En fait, Romain bénéficie d’une réduction automatique de peine de 28 jours (une semaine par mois). S’il avait fait appel, cette réduction aurait sauté. De plus, la procédure ne pouvait être enclenchée qu’au minimum deux mois après le jugement. Même si cela lui aurait peut-être permis de prouver son innocence, Romain a préféré la solution qui lui faisait passer le moins de temps en prison.
Il est maintenant à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Esson-ne). Quel est son moral ?
M. Dalibon - Il est passé par plein de phases différentes. Au départ, il était positif, il y allait avec beaucoup de recul, et il se disait qu’il pourrait témoigner de son expérience. Mais, très rapidement, la réalité a pris le dessus.
Quelles sont les conditions de sa détention ?
M. Dalibon - Tout est compliqué, et il a été mal informé, tout comme la famille et les proches. Par exemple, comme l’administration pénitentiaire n’avait plus de guides du détenu disponibles, Romain n’a pas été informé des règles élémentaires pendant dix jours. Du coup, il n’était pas au courant des tours de douche. L’argent qu’on lui a envoyé n’est arrivé qu’au bout de trois semaines, et il faut savoir qu’en prison, sans argent, on ne fait rien. Tout doit être acheté à l’intérieur, y compris le matériel le plus élémentaire (éponge à récurer, etc.). Il côtoie toute sorte de personnes. Certaines lui apprennent à fabriquer une arme avec une brosse à dents, à fabriquer du crack...
Pourquoi avoir créé un collectif de soutien à Romain ?
F. Pietrus - Le soir de sa condamnation, ses proches se sont retrouvés pour savoir comment aider Romain et ses parents, lesquels habitent à Valen-cien-nes. On n’imagine pas le nombre de questions matérielles à régler : les factures, le loyer, les informations pratiques... Comme beaucoup d’entre nous aiment la musique, on a organisé un concert de soutien, le 22 juin. D’autres personnes, injustement condamnées, ont pu témoigner de ce qui leur était arrivé.
Extrait d’une lettre de Romain « Le 17 mai 2007, « Salut mec, [...] « ça fait deux jours que j’ai plus la télé, et donc que j’ai plus l’heure. C’est assez difficile. Pourquoi ? Parce que j’ai un solde insuffisant ! Même ici, ça me poursuit. Je vais finir par croire à une machination. Pour le plaisir, je t’explique : ma mère a envoyé 200 euros, jeudi 10. Mercredi 16, mon compte affichait toujours 2,83 euros, somme avec laquelle je suis arrivé en prison. Explication : “C’est lent, parce que ça passe par plusieurs bureaux, c’est mieux pour vous, c’est la garantie qu’il n’y ait pas de détournement.” « Toujours est-il qu’avec cette lenteur et la magie des jours fériés, toutes les commandes de bouffe et de clopes que j’ai faites vont me revenir dans la gueule avec la mention “solde insuffisant”, mais il faut que je me dise qu’à la base, « c’est pour mon bien ». [...]
• Lire le blog de Romain : http://prison.blogs.liberation.fr