Peux-tu nous expliquer comment ont commencé tes premiers ennuis chez Bouygues ?
Nacer Draidi - En 2003, lorsque la petite entreprise dans laquelle je travaillais a été rachetée par ETDE-Bouygues, je travaillais en détachement chez PSA à Poissy. Chaudronnier de métier, j’étais très bien noté, au sein de mon entreprise et par PSA. Seule la CGT-FO - Force ouvrière Bouygues (FOB) - était présente dans le département « génie thermique » d’ETDE. J’ai été élu sur sa liste comme délégué du personnel suppléant. Dès que j’ai voulu utiliser mes heures de délégation, me-naces orales et provocations ont commencé. ETDE m’a fait quitter le site de Poissy [Yvelines, NDLR] et m’a remplacé par un intérimaire. J’ai été envoyé à Asnières [Hauts-de-Seine, NDLR] (alors que j’habite Trappes, dans les Yvelines), pour faire du transfert de machines et du balayage, ce qui ne correspond pas à ma qualification. FOB refusa de me défendre, prétendant que j’étais arrogant. Les élus de FOB ont été convoqués par le directeur des ressources humaines, qui leur expliqua que les syndiqués devaient respecter les consignes des responsables de FOB. J’ai appris que FOB était liée à « l’Ordre des compagnons du Minorange », structure officieuse de mouchards bénéficiant d’avantages en nature (voyages payés, club de foot, etc.). J’ai alors décidé de quitter FO, d’adhé-rer à la CGT et de monter une section.
Quelle a été la réaction de la direction ?
N. Draidi - Le 11 juin 2004, la direction d’ETDE a reçu par fax une copie de la lettre recommandée me désignant comme délégué syndical CGT. Le même jour, elle adressait à l’inspection du travail une demande d’autorisation de licenciement, qui a été refusée. Commença alors, pour moi, une série de « missions », d’Asnières à Corbeil en passant par Argenteuil, entrecoupées de périodes sans mission. Ce qui est remarquable, c’est que Bouygues s’est adressé simultanément à l’inspecteur du travail, au directeur départemental du travail et au ministère. Ce dernier a cassé la décision de l’inspecteur au prétexte qu’à la fin de mes congés, n’ayant pas reçu d’affectation, j’aurais dû me rendre sur un chantier, dont le responsable a attesté par écrit qu’il ne pouvait m’accueillir par manque de travail. Contrairement à ce qu’a affirmé le ministère (que l’affectation à un site se ferait toujours sans ordre de mission écrit), l’affectation à un site se faisait toujours sur la base d’un ordre de mission signé de la direction. Cela avait été le cas lors de mes cinq changements de chantier successifs. La méthode utilisée montre que des liens existent entre la direction de Bouygues, certains agents du ministère et le gouvernement Raffarin-Borloo en place à cette époque. Je tiens aussi à préciser que le nouveau délégué syndical CGT qui m’a succédé a été licencié, comme moi, peu après sa nomination.
Quelles actions ont été menées par la CGT pour ta défense ? Quelle appréciation portes-tu sur ces actions ?
N. Draidi - J’ai reçu un soutien sans faille du délégué syndical central de Bouygues, ainsi que du collectif des délégués syndicaux du groupe Bouygues, qui ont organisé le soutien financier et la communication avec les syndiqués de base. En revanche, je n’ai reçu aucun soutien aux niveaux fédéral et confédéral. Lors de la manifestation du 1er mai 2005, j’ai remis mon dossier complet, en mains propres, au secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. Depuis, je n’ai eu aucune nouvelle. Le bureau fédéral ne m’a même pas accordé l’aide d’un avocat, et je dois assumer, à mes frais, le recours actuel devant le tribunal administratif.
As-tu demandé le soutien d’organisations politiques ?
N. Draidi - J’ai envoyé des centaines de mails au PS et au PCF. François Brotte, député de l’Isère, a demandé un rendez-vous à Azouz Begag, qui n’a jamais répondu. Il a posé une question écrite à l’Assemblée nationale sur la discrimination chez Bouygues, restée sans réponse. Jérôme Lambert, député PS, a lui aussi adressé une question à l’Assemblée, restée sans réponse. Ayant contacté Jack Lang, ce dernier m’a demandé de lui envoyer mon dossier. Je n’ai reçu aucune réponse. De même, je n’ai reçu aucune réponse du PCF, mais j’ai tout de même réussi à faire paraître un article dans l’Humanité. Un article a aussi été publié dans Charlie Hebdo, le 25 mai 2005.
Quelle appréciation portes-tu sur l’attitude des syndicats dans la période actuelle ?
N. Draidi - Les premiers propos tenus par Bernard Thibault sont inquiétants. Il semble être confiant dans Sarko, alors que les salariés vont être sacrifiés. Actuellement, les directions syndicales gesticulent pour donner le change. Les actions ne se font pas sur des objectifs précis pour gagner. Le rôle des syndicats est de défendre les intérêts généraux des salariés et d’être le fer de lance des mobilisations, quitte à entamer des grèves sérieuses pour aboutir à un résultat, plutôt que des journées d’action à répétition sans résultats, ou des colloques qui ne servent qu’à dépenser l’argent du syndicat et à faire passer de bons moments aux responsables fédéraux. Il faut prendre exemple sur les jeunes qui se sont battus contre le CPE. Actuellement, ce sont des bureaucrates syndicaux, coupés de la base, qui prennent les décisions.
Comment penses-tu que les militants syndicaux peuvent s’organiser pour imposer une orientation de lutte aux directions syndicales ?
N. Draidi - Il faut d’abord imposer le respect de la démocratie au sein des syndicats : les responsables doivent être élus par la base. Il faut favoriser le rapprochement des militants entre les différents syndicats, pour ne pas entrer dans le jeu du gouvernement - diviser pour régner.