L’objectif du projet de loi de Sarkozy sur le service minimum est clair : briser l’efficacité des grè-ves dans les transports pu-blics. Ce projet (lire ci-dessous) instaure un service minimum et un « prépréavis », portant le délai pour se mettre en grève de cinq à seize jours. Comme si cela ne suffisait pas, il ajoute des moyens de pression sur les salariés qui, malgré tout, auraient encore l’insolence de vouloir se battre : l’obligation faite à chaque salarié de prévenir de son intention de faire grève, 48 heures avant le début de l’arrêt de travail, et le référendum au bout de huit jours de grève. Cette loi est tellement alambiquée, que les salariés qui voudront lutter seront obligatoirement en faute. Ils sont condamnés à ne pas respecter à la lettre ce texte, et à se retrouver ainsi dans la situation d’être sanctionnés, voire même licenciés, pour simple fait de grève. C’est un retour de plus de 50 ans en arrière pour des centaines de milliers de salariés concernés.
Ce n’est pas parce que les grèves paralysent la société que ce projet voit le jour. Entre 1975 et 2000, le nombre annuel de jours de grève a été divisé par huit dans les entreprises privées. Dans les entreprises publiques et la fonction publique, en dehors des années 1995 et 2003, il reste globalement au même niveau. Mis à part la grande grève de l’hiver 1995, si les trains et les transports en commun sont en retard et tombent en panne, ce n’est pas à cause des grèves, mais de la privatisation des services publics et des restructurations dans ces entreprises.
Deux raisons expliquent cette loi liberticide : la volonté de préparer les prochaines échéances sociales, comme l’offensive sur les retraites et la protection sociale, en retirant aux salariés des transports publics les moyens de lutter ; la volonté d’en finir avec l’exception française sur le droit de grève, Sarkozy regardant avec envie l’interdiction du droit de grève des fonctionnaires allemands, le service minimum imposé dans tout le secteur public en Italie et au Portugal, la possibilité de réquisition prévue au Royaume-Uni, etc. Sarkozy, l’ami des patrons, le sait bien : l’histoire des avancées sociales pour les salariés, c’est l’histoire des grèves, des luttes ouvrières.
Il n’est pas une grande conquête des salariés qui ne soit le produit de grèves. La grande vague de grèves de la fin du xixe siècle produit les bases du droit du travail : reconnaissance de la liberté syndicale, lois sur l’hygiène et la sécurité, repos hebdomadaire. La vague révolutionnaire européenne des années 1918 à 1923, ainsi que les grèves en France suscitent, en 1919, la loi sur les conventions collectives et la loi sur les huit heures. La grève générale de 1936 impose la semaine de 40 heures, les congés payés et les délégués du personnel. Après la Deuxième Guerre mondiale, les mobilisations des travailleurs contre le patronat, qui avait soutenu plus ou moins activement les nazis, et la peur d’une révolution sociale permettent la création de la Sécurité sociale, le droit de grève, la liberté syndicale, puis le salaire minimum, en 1950. Durant les années 1950 et 1960, de multiples luttes, par entreprise et par secteur imposent des avancées, ensuite étendues à tous les salariés : troisième semaine de congés payés (1956), assurance chômage (1958).
Prise de conscience
Enfin, la grève générale de 1968 permet une augmentation de 30 % du salaire minimum, la création des sections syndicales d’entreprise, puis les congés payés de quatre semaines en 1969, et la loi sur les droits face aux licenciements (1973), que les gouvernements successifs cherchent à remettre en cause avec les contrats nouvelles embauches (CNE) et autres contrats première embauche (CPE). Oui, toutes les avancées importantes, pour les salariés, sont issues de la grève, de la pression qu’ils ont exercée face aux profits et aux pouvoirs patronaux. Les patrons, les gouvernements, de droite mais aussi de gauche, prônent la culture de la négociation, du compromis, la négociation à froid, les discussions entre responsables syndicaux et patronaux autour d’un tapis vert, et la conclusion d’accords dits « gagnant gagnant ». C’est une vaste entourloupe : en quoi les salariés, qui n’ont rien et produisent les richesses, ont-ils quelque chose à donner aux patrons ? En fait, ces négociations donnent un droit de veto aux patrons sur toute avancée pour les travailleurs : la seule véritable avancée est celle qui reprend des richesses produites sur les profits patronaux. Aucun patron n’accepte cela sur la simple base de la discussion, sans rapport de force, sans grève.
Seule la grève crée un rapport de force face aux patrons. D’abord, en leur coûtant, quand les salariés ne produisent pas (pas de profits, risque de perte de marchés, etc.). Ensuite, par l’évolution interne des rapports de force entre salariés et direction, surtout quand il y a occupation et démocratie (assemblées générales, élection de comités de grève). Les salariés prennent alors conscience de leur force, créent des relations qui remettent en cause, y compris après la fin de la grève, la fonction et la place de la hiérarchie, les rythmes de travail, la précarité des emplois... Tout ce qui fait que la vie quotidienne change pour les salariés.
Diviser pour régner
Lors des grèves dans les services publics, un argument revient en permanence, celui de la « prise en otage des usagers ». Cette rengaine est insupportable, car elle est inspirée par ceux qui conçoivent des villes où il est souvent impossible de se rendre à pied ou en vélo à son travail, qui dégradent les transports publics, qui ne donnent pas les moyens de faire voyager les usagers dignement. Ce sont ceux qui décident, sans nous consulter, de tout ce qui concerne notre vie, dans et hors le travail, qui nous prennent en otages toute notre vie ! Les nantis sont ces patrons du CAC 40, qui nous pressurent plus tous les jours, et non les salariés, qui ont réussi, grâce à leurs luttes, à obtenir de moins mauvaises conditions de vie et de travail. Le patronat, qui détient le monopole de la parole médiatique, construit, jour après jour, cette image de la grève et des salariés des transports. Le gouvernement en use et en abuse pour attaquer aujourd’hui le droit de grève et, demain, les retraites. C’est un enjeu politique de ne pas nous laisser diviser, de construire le soutien et l’adhésion des autres salariés, de l’opinion, de montrer que le combat de ceux qui sont aujourd’hui visés est celui de tous.
Encarts
Quelques repères historiques
La Révolution française, en 1791, interdit toute organisation ouvrière et la grève par la loi Le Chapelier, après avoir affirmé la « liberté de l’industrie, du commerce et du travail »... Formule que l’on retrouve dans le projet Sarkozy sur le service minimum. Cette interdiction est réaffirmée, en 1803, par une loi réprimant le délit de coalition, c’est-à-dire le fait d’agir ensemble. Des milliers de travailleurs grévistes vont ainsi être condamnés à des peines de prison, durant la première moitié du xixe siècle.
En 1864, le délit de coalition est aboli. Un salarié ne peut plus être condamné pour fait de grève. Mais il peut toujours être licencié, car les tribunaux estimaient que le fait de se mettre en grève était un motif suffisant permettant à l’employeur de rompre le contrat de travail. Des dizaines de milliers de travailleurs, entre 1864 et 1946, vont perdre leur emploi en toute légalité, uniquement parce qu’ils ont fait grève.
La Constitution de 1946 reconnaît le droit de grève, qui doit s’exer-cer « dans le cadre des lois qui le réglementent » et, en 1950, il est précisé que « la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ». Très rapidement, la grève est interdite aux CRS (1947), aux policiers (1948), aux magistrats (1958)... Un service minimum est imposé dans le contrôle aérien (1964), à la télévision et à la radio (1979). À EDF-GDF, obligation est faite d’assurer la continuité de l’alimentation en électricité.
Enfin, le préavis de cinq jours est imposé aux fonctionnaires par une loi du 31 juillet 1963, adoptée dans l’urgence, par la volonté express de De Gaulle. À la fin du mois de juin, une grève surprise du métro avait provoqué des embouteillages monstres, et elle avait fait écrire au journal Le Monde : « Lorsque les agents des services publics jettent à l’improviste des millions de travailleurs sur le pavé et sous la pluie, ce n’est pas la grève, c’est l’anarchie. »
Le contenu du projet sur le service minimum
Tous les salariés travaillant dans les entreprises publiques (SNCF, etc.) ou privées (transports urbains...) chargées d’une mission de service public sont concernés par cette loi contre le droit de grève, dont voici les caractéristiques principales.
– Prolongation de la durée du préavis. Actuellement, elle est de cinq jours. La loi prévoit que le syndicat doit notifier à l’employeur les « motifs pour lesquels il envisage de déposer un préavis de grève », et qu’à partir de cette notification, l’employeur est tenu de réunir les syndicats représentatifs, dans un délai qui ne peut excéder trois jours, et de négocier, durant une durée ne pouvant excéder huit jours. Bref, le délai entre la déclaration de l’intention de faire grève et la grève elle-même passe de cinq à seize jours !
– Suppression de la possibilité du dépôt de préavis en liasse. Actuellement, les syndicats qui veulent maintenir la pression sur la direction déposent des préavis pour tous les jours qui suivent. Cette possibilité disparaît : « Un nouveau préavis ne peut être déposé par la ou les organisations avant l’échéance du préavis en cours. » l La collectivité territoriale ou l’établissement public compétent décide, après consultation des représentants du personnel, d’un plan de transport minimum assurant la « continuité du service public », qui précise « les horaires et les fréquences du service à assurer, ainsi que le nombre de personnels nécessaires à cette fin ». Si ce n’est pas fait, le préfet arrête « les priorités de desserte ». Sachant que la grève ne doit pas porter une « atteinte disproportionnée » à la « liberté d’aller et venir, aux droits d’accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et d’enseignement, à la liberté du travail et à la liberté du commerce et de l’industrie » : leur objectif est qu’à peu près tout continue à fonctionner... malgré la grève. C’est-à-dire que la grève ne les gêne pas, ne fasse pas pression sur les possédants.
– L’entreprise décide, avec ou sans accord des syndicats, un plan de « prévisibilité du ser-vice », qui définit « par métiers, fonctions et niveaux de compétence et de qualification, les effectifs et les moyens matériels indispensables à l’exécution en toute sécurité du plan de transport ». Cela vise à faire valider par certains syndicats le nombre minimum de salariés devant travailler malgré la grève.
– « Les salariés dont la présence détermine directement l’offre de service informent, au plus tard dans les 48 heures avant le début de la grève, l’entreprise de leur intention de participer à celle-ci. » Les patrons auront donc 48 heures pour faire pression sur les futurs grévistes qui, s’ils ne respectent pas cette disposition, peuvent être sanctionnés.
– Au bout de huit jours de grève, une consultation peut être organisée par l’entreprise, pour faire pression sur les grévistes et essayer de les convaincre d’arrêter.
Tract du 09/07/07
LCR
Contre Sarkozy, pas de service minimum !
Comme grisé par sa victoire et les pleins pouvoirs que lui donne la présidence, Sarkozy déploie toute son énergie à organiser sa propre mise en scène. Doublant ses ministres, ne laissant à Fillon que le droit de faire son éloge et de commenter les décisions présidentielles, aujourd’hui à Bruxelles demain sur une étape du tour de France, toujours entre deux joggings, il prétend bousculer les routines, moderniser la vie politique en dépassant les clivages droite-gauche. Il se fait champion du dialogue social et invite le dirigeant de FO, Mailly, au restaurant... Après les transfuges du PS, c’est Jack Lang et Hubert Védrine qui sont sollicités alors que DSK devient le candidat de Sarkozy pour la présidence du FMI ! Cette agitation politique et ces manœuvres n’ont pas comme seul but de diviser le PS et d’accélérer sa crise. Il s’agit d’une offensive politique pour tenter d’empêcher que le mécontentement bien réel des classes populaires puisse s’exprimer et contester la politique d’un gouvernement tout entier dévoué au patronat et aux riches.
Offensive réactionnaire
L’énergie que déploie Sarkozy vise à subjuguer l’opinion pour faire passer à marche forcée les réformes annoncées, c’est-à-dire des attaques contre les salariés et la population. Il s’agit d’anesthésier toute opposition à cette politique, de ridiculiser la gauche pour mieux tenter de ridiculiser les idées, les espoirs, les illusions même qu’elle était censée porter. Il veut plier l’opinion à l’idée qu’il n’y a pas d’autre système possible que le capitalisme financier mondialisé, que c’est une vaine illusion de croire qu’une société juste et humaine soit réalisable. Il voudrait que les opprimés eux-mêmes se plient à la domination du patronat et des classes privilégiées, acceptent ce système fondé sur la logique du profit, de l’économie de marché et de la concurrence, celle de l’exploitation de la majorité par une minorité de possédants. La vision, dite moderne, de Sarkozy de la politique, c’est un concentré de libéralisme, l’économie de marché globalisée : tout se vend, tout s’achète ! Il croit qu’en pratiquant l’ouverture et le dialogue social il pourra faire accepter les cadeaux fiscaux aux riches, les aides au patronat, le blocage des salaires, l’allongement du temps de travail, la précarité généralisée, une justice toujours plus répressive...
Les moyens de la riposte
Pour mener son offensive, Sarkozy s’appuie sur les capitulations de la gauche et des directions des grandes confédérations syndicales qui se sont adaptées à l’économie de la concurrence et du profit. Il y a une autre logique possible, celle qui fait passer les intérêts de la population avant ceux d’une minorité qui détient le pouvoir économique. Il y a une autre logique que celle du mensonge « travailler plus pour gagner plus ». Il y a un autre partage des richesses possible, une autre façon d’organiser l’économie, la production de ce qui est nécessaire à la population, au bien-être de tous. Les travailleurs, les classes populaires, la jeunesse n’ont aucune raison de se plier à la folle vision du monde de Sarkozy et de ses amis, les financiers et les gros actionnaires, d’accepter d’être les fantassins sacrifiés d’une guerre économique dont seule une minorité tire profit. Nous donner les moyens de répondre à l’offensive de Sarkozy, c’est nous donner les moyens de mener une contre-offensive politique au nom des idées que la gauche était censée défendre : les idées d’une société démocratique où les richesses produites servent au bien-être et à l’épanouissement de ceux qui les produisent pour assurer le progrès social.