Autre ministre, même méthode. Avant même la première rentrée de Gabriel Attal, fraîchement nommé à la tête de l’Éducation nationale, Emmanuel Macron rappelle les fondamentaux : l’école, c’est lui, et seulement lui. « Compte tenu des enjeux, l’éducation fait partie du domaine réservé du président », a affirmé le président de la République dans une interview au journal Le Point.
Et ce qui pouvait encore, lors de ses précédentes déclarations, en juin dernier, ressembler à un catalogue de vieilles lubies – comme la réduction des vacances des enseignant·es – se transforme peu à peu en programme en bonne et due forme. Comment, avec quels moyens ? L’intendance suivra, semble croire le président, qui a oublié qu’on ne manœuvre pas d’un claquement de doigts douze millions d’élèves et un million d’agent·es. Emmanuel Macron compte également sur la célérité d’un fidèle parmi les fidèles à la tête du ministère de l’éducation nationale, en la personne de Gabriel Attal, en remplacement de Pap Ndiaye.
Tant pis s’il faut déjà assurer la lourde tâche de trouver assez de professeur·es formé·es à mettre devant les élèves (avec encore 20 % de postes vacants au concours du Capes cette année, il manque environ 2 300 enseignant·es pour la rentrée 2023). L’école devient, aux seules mains du président, l’instrument central d’une politique toujours plus droitière. « Pourquoi je parle autant de l’école ? Parce que c’est le cœur de la bataille que l’on doit mener, parce que c’est à partir de là que nous rebâtirons la France »,insiste le locataire de l’Élysée.
Emmanuel Macron photographié dans une salle de classe d’un collège de Jarnac, le 28 février 2023. © Photo Jean-Michel Nossant / Pool / Abaca
Dans le reste de cet entretien-fleuve au Point, interrogé sur les révoltes après la mort de Nahel, Emmanuel Macron reprend le fil de son idée chipée sans vergogne aux penseurs d’extrême droite. « J’ai parlé de décivilisation il y a quelques mois. C’est bien cela que nous avons vu. Il faut donc s’atteler à reciviliser. » Vive l’école où ne sera tolérée « aucune forme d’accommodement avec les principes, l’autorité des savoirs et l’autorité des maîtres » ; à bas « le pédagogisme »,rappelle le président, contribuant une nouvelle fois à véhiculer ce cliché éculé d’une école où l’épanouissement et l’attention aux élèves auraient pris le pas sur les apprentissages.
« C’est dans les salles de classe que se murmure la France et que s’apprennent nos valeurs,complète le président. C’est là qu’on l’apprend, qu’on la comprend, qu’on la transmet. » Si Emmanuel Macron cite à ce propos le philosophe, pédagogue et penseur de la laïcité Ferdinand Buisson, c’est à Jules Ferry qu’il pense, dans sa version la plus réductrice, artisan de l’école de la IIIe République, certes, mais également défenseur acharné du colonialisme, de la « grandeur » et de « la mission civilisatrice de la France ».
Pour cela, Emmanuel Macron se pique de réviser les programmes « d’instruction civique » (la bourde est révélatrice, ont pointé les enseignant·es concerné·es, puisque « l’instruction civique » a été remplacée depuis longtemps par un « enseignement civique et moral », avec au passage moins d’heures allouées). Il veut aussi s’attaquer aux programmes d’histoire, qu’il souhaite « chronologiques ».
« Faut-il pour autant mentir en laissant entendre que les programmes d’histoire ne seraient plus chronologiques et devraient le redevenir ?,a immédiatement réagi l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (l’APHG). Cela relève a minima d’une fake news, au pire d’une erreur de lecture des programmes scolaires. » Au-delà de la méconnaissance du terrain, cet attachement à une histoire linéaire, prétendument sans angle et sans choix (ce que contestent à peu près toutes les historiennes et historiens sérieux), doit se lire comme l’exaltation du bon vieux roman national français.
Le président ne s’en cache pas, puisqu’il veut, en plus de la demi-heure de sport chaque jour pour canaliser les « élèves dissipés » ainsi quedes dictées quotidiennes, mettre au menu des élèves la lecture hebdomadaire de « grands textes » portant sur « nos valeurs ». Ce n’est pas encore le salut au drapeau et l’hymne national à l’unisson dans la cour, mais ça y ressemble…
Le reste de la potion est connue : il va falloir apprendre à « lire, écrire, compter » mais également, ajout notable, « à se comporter ». Les enfants ciblés par l’essentiel des annonces ? La jeunesse des quartiers populaires, pour laquelle il faudra toujours plus d’école : dès 2 ans si possible, de 8 heures à 18 heures dans les « quartiers difficiles », et plus tôt, puisque Macron veut avancer la rentrée au 20 août pour les élèves à la peine.
Aux enfants des classes moyennes et supérieures, le dépaysement, l’air du dehors et la merveilleuse mise en pause que constituent les vacances. Aux enfants des familles modestes, « vacances apprenantes » en juillet (le dispositif, lancé sous Blanquer, ne fait déjà pourtant pas le plein, faute de candidat·es et d’enseignant·es volontaires), et retour à l’école avant tous les autres dès la mi-août.
Rappelons que dans le même temps, les moyens alloués à l’éducation populaire, aux centres de loisirs et aux colonies municipales, lieux d’émancipation des enfants les moins aisés, ont diminué ces dernières années comme peau de chagrin. Par ailleurs, les vacances et leur cortège d’apprentissages non scolaires ressemblent de plus en plus à un luxe pour les seuls nantis : 40 % des Françaises et des Français ne sont pas partis cette année, pas même une semaine, en raison d’une pauvreté structurelle et d’une augmentation nette du coût de la vie.
S’attaquer au mois d’août, c’est aussi refuser de penser le mois de septembre et les suivants. Si trop d’élèves sont à la peine dans le système scolaire, a fortiori les enfants issus de familles populaires, c’est par manque de moyens, d’effectifs suffisants sur certains territoires au regard des difficultés des élèves, et à cause du manque généralisé d’adultes dans les écoles, collèges et lycées (enseignant·es mais également AESH, personnel social et médical).
Et si le débat sur le temps scolaire a son intérêt, ainsi que celui portant sur les conditions d’apprentissage, le président de la République prend le risque de le mener sans le personnel enseignant, déjà vent debout à l’idée de devoir travailler plus pour gagner plus dès la rentrée 2023, dans le cadre d’un pacte faustien.
Pour trier les élèves, l’école de Macron se transforme en véritable agence de notation. Le ministère, qui va devoir assumer le casse-tête de gérer des effectifs à géométrie variable en plein été, de scolariser de manière différenciée des fratries, de trouver le filon budgétaire nécessaire à une telle opération, pourra s’appuyer sur « l’inflation évaluative » mise en œuvre depuis la loi Blanquer pour « une école de la confiance », selon les termes du pédagogue et essayiste Philippe Meirieu dans son dernier ouvrage.
En effet, depuis 2017, les injonctions administratives pleuvent pour déterminer les acquis des élèves, le niveau des classes et des établissements, dans le cadre d’un mouvement mondial et général de mesure des compétences en éducation.
Contestées dans leur contenu et leur mise en œuvre par les syndicats, ces évaluations seront néanmoins « partagées entre enseignants et parents », a promis le chef d’État, le tout dans une logique d’autonomisation des écoles que Macron n’a jamais cachée : il souhaite donner plus de pouvoir aux directions dans le recrutement des professeur·es et favoriser la contractualisation des financements sur « projet », y compris sur le plan pédagogique.
Seule concession à cet agenda tout tracé, la remise en cause de la réforme du lycée mise en place par Jean-Michel Blanquer et digérée péniblement par Pap Nidaye. « Nous sommes pragmatiques et on ne peut pas avoir des épreuves si tôt dans l’année », a déclaré le chef d’État, en référence aux épreuves de spécialités du baccalauréat, dont la tenue au mois de mars dispersait les élèves dans la nature trois mois avant la fin des cours.
L’école de Macron, enfin, n’est pas qu’une école à la papa au vernis libéral. Elle pourrait s’avérer encore plus profondément déterministe qu’aujourd’hui, sous couvert de lutte contre les inégalités.
C’est le cas, par exemple, quand le président évoque la réforme du lycée professionnel, devenu le refuge ou le cul-de-sac des enfants d’origine populaire et en partie immigrée. « Environ un tiers décroche et beaucoup trop n’ont ni diplôme ni formation », fait valoir Emmanuel Macron. Il faut donc « fermer les formations là où il n’y a pas de débouchés et en ouvrir là où il y a des besoins », faire rentrer l’entreprise encore davantage dans l’école, et ce dès la 5e, sans s’attacher à améliorer les conditions d’apprentissage du socle commun des élèves, qu’ils aient choisi la voie professionnelle ou générale.
Cette vision utilitariste n’est pas contredite par l’avis présidentiel sur l’université : « Ce n’est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l’université et qu’aller à l’université est une fin en soi […]. On va faire la transparence pour voir combien vont à l’université, combien obtiennent un diplôme, combien accèdent à un emploi, et travailler à l’évolution de l’offre de formations en fonction des besoins en emplois dont la nation a besoin, dans la même logique que pour les lycées professionnels. »
Faisant fi des apports pour une société de la démocratisation du savoir universitaire, surtout à l’aube de changements climatiques majeurs, Emmanuel Macron se veut pragmatique et entend rogner sur l’accès au supérieur. Il a raison sur un point, l’université est bel et bien malade.
Mais dans son diagnostic, il aurait pu ajouter la baisse continue du taux d’encadrement dans le supérieur, la précarisation accrue des personnels, une dotation par étudiant·e en berne, une sélection féroce et souvent injuste en licence comme en master. Et si les effectifs ralentissent de 3 % cette année dans les facs et formations publiques, c’est en partie vers l’enseignement supérieur privé que se tournent les bacheliers et bachelières, moyennant finances.
La ségrégation sociale et scolaire qui sévit avec toujours plus de force dans les premier et second degrés entre le public et le privé semble gagner l’enseignement supérieur. Est-ce bon pour cimenter la nation ? Là-dessus, pas un mot du président omnipotent.
Mathilde Goanec