“Même un film dramatique fait pâle figure” en comparaison des événements de la journée du 22 août, écrit le quotidien thaïlandais Bangkok Post. Une journée marquée, d’une part, par le retour en Thaïlande de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (2001-2006) après quinze années d’exil et, d’autre part, par l’élection aux fonctions de Premier ministre de Srettha Thavisin, candidat du Pheu Thai, la formation de Shinawatra.
Le site Khaosod commente : “Pour que le Big Boss rentre au pays, le prix à payer par le Pheu Thai et la Thaïlande elle-même est élevé.” Car, pour le site, la concomitance des événements n’est pas due au hasard, mais tient plutôt d’un “marché” conclu entre le Pheu Thai et les partis proches de l’armée, grands perdants des élections législatives du 13 mai dernier.
En effet, détaille Khaosod, durant la campagne électorale, les dirigeants du Pheu Thai avaient promis de ne pas s’allier aux formations politiques proches des militaires. Une promesse manifestement non tenue.
Une alliance qui semblait d’ailleurs contre nature tant, depuis le renversement du gouvernement de Thaksin Shinawatra par un coup d’État en 2006, les élections et les changements constitutionnels se sont succédé pour empêcher les proches de l’ancien Premier ministre de gouverner.
Éclatement du camp démocrate
Mais, pour le site d’information Khaosod, un accord était, de fait, “probablement le seul moyen pour le Pheu Thai de former un gouvernement, au vu des règles injustes stipulées dans la Constitution parrainée par la junte”.
Pour que le candidat soit confirmé au poste de Premier ministre, la Constitution de 2017 exige en effet le vote d’une partie des 250 sénateurs choisis par la junte.
Ces derniers ont refusé d’apporter leur soutien au candidat de Move Forward à la fonction de Premier ministre. Vainqueur sans conteste des élections, ce parti est, à leurs yeux, porteur d’un projet politique trop radical tant il remet en cause le rôle de l’armée dans la vie politique.
Ayant échoué à faire élire son candidat, Move Forward n’a pu former de gouvernement, laissant la porte ouverte à une coalition dirigée par le parti Pheu Thai.
L’alliance conclue entre le Pheu Thai et les partis proche de l’armée marque l’éclatement du camp “prodémocratique”, regrette Khaosod, un résultat que la junte militaire n’avait jusqu’ici pas réussi à atteindre. Et le grand espoir, porté par la victoire de Move Forward, de mettre en place un “contrôle civil de l’armée restera une chimère”.
Une figure polarisante très populaire
Après un exil de quinze ans, la popularité de “la figure clivante de la vie politique thaïlandaise” qu’est Thaksin Shinawatra, selon The Straits Times, à Singapour, demeure, en revanche, intacte. “Des milliers de sympathisants, pour la plupart des personnes âgées, se sont massés le long des rues menant au terminal de l’aéroport. Certains étaient arrivés la veille, d’autres aux premières heures de la journée de mardi”, a constaté le quotidien.
Damrong Khongpanya, agriculteur de 61 ans rencontré par le journal, a ainsi fait huit heures de route depuis le nord-est du pays pour arriver à 4 heures du matin :
“Même si je ne le vois pas en personne, le fait de savoir qu’il est ici suffit à me rendre heureux.”
Dès sa sortie de l’aéroport, Thaksin a été conduit en prison. Il avait été condamné par contumace pour corruption et abus de pouvoir, des accusations qu’il dit politiquement motivées.
Pour le Bangkok Post, ces événements sont un test pour le système judiciaire car “le prochain gouvernement [devra] montrer que l’ancien Premier ministre sera traité comme les autres prisonniers”. “Mais, ajoute le journal, de nombreuses rumeurs circulent sur le fait qu’il purgera une peine de prison brève et qu’il fera l’objet d’une procédure de grâce accélérée.” De dix ans de prison, sa peine a déjà été réduite à huit ans dans la journée de mardi.
Courrier International
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