WASHINGTON , CORRESPONDANTE
La patience de Washington à l’égard de Pervez Musharraf touche-t-elle à sa fin ? En publiant, mardi 17 juillet, un rapport confidentiel faisant état d’une résurgence d’Al-Qaida dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan, les responsables américains ont clairement demandé des actes. La stratégie antiterroriste du président pakistanais « a échoué », a commenté Frances Townsend, la conseillère de George Bush pour les affaires intérieures.
Le rapport, un document de synthèse établi par les seize agences de renseignement, dont la CIA, porte sur « la menace terroriste contre le territoire national ». A la suite de fuites dans la presse, la Maison Blanche en a déclassifié deux pages sur cinquante. Alors qu’une évaluation similaire en 2006 avait fait état d’une organisation affaiblie, le document indique cette fois qu’Al-Qaida a intensifié ses efforts et tente d’envoyer des agents aux Etats-Unis. « L’organisation a sauvegardé ou reconstitué des éléments essentiels de sa capacité d’attaque contre le territoire américain : une base dans les zones tribales pakistanaises, des lieutenants opérationnels et sa direction. »
La conseillère du président, aussi bien que son porte-parole Tony Snow, ont blâmé l’accord de cessez-le-feu conclu il y a dix mois par M.Musharraf avec les leaders de la zone tribale, au grand dam de Washington. « La diplomatie de la carotte n’a pas marché, a dit, mardi, Tony Snow. Que se passe-t-il quand quelque chose ne marche pas ? Vous devez le réparer. C’est ce qui est en train de se produire. » Interrogé, mercredi, sur les intentions de Washington, M. Snow a énuméré les nombreuses aides financières qui ont été accordées à Islamabad pour lutter contre les islamistes et empêcher la « talibanisation » du nord du Waziristan (plus de 10 milliards de dollars en aide civile et militaire depuis 2001, soit près de 7milliards d’euros). M. Musharraf a demandé 350 millions de plus pour renforcer les 85 000 soldats postés dans les zones frontalières, a indiqué le porte-parole. L’administration a inscrit 785 millions supplémentaires dans le budget 2008.
« Et, comme toujours, nous nous réservons la possibilité de frapper des cibles opérationnelles, a ajouté le porte-parole. Il y a de nombreuses discussions en ce moment, mais il est clairement de la plus haute importance d’y aller et de régler le problème dans les zones tribales. » S’ils avaient voulu accréditer la thèse selon laquelle ils se préparent à l’action, les responsables américains ne s’y seraient pas pris autrement.
« RETOURNER AU PAKISTAN »
Avant même la publication du rapport – mais après avoir rencontré le président Bush avec un groupe de journalistes conservateurs –, l’éditorialiste William Kristol avait indiqué, le 15 juillet, dans le Washington Post, qu’il ne serait pas surpris si les Etats-Unis tentaient de régler la question « dans un avenir proche ». « Je pense que Bush va s’en occuper, en ayant recours à une combinaison de frappes aériennes et d’opérations spéciales. »
Autant les démocrates sont opposés au président Bush sur l’Irak, qu’ils voient comme une diversion tragique par rapport aux priorités de la lutte antiterroriste, autant ils sont préoccupés par la résurgence des talibans en Afghanistan. Lee Hamilton, le coprésident du Groupe d’étude sur l’Irak, s’est dit favorable à une opération américaine, à condition qu’elle soit « soigneusement calibrée et préparée avec les Pakistanais ». « C’est le moment de retourner au Pakistan avec des troupes américaines, a-t-il dit sur CNN. Je suis très inquiet de voir qu’il y a aujourd’hui un sanctuaire [d’Al-Qaida] au Pakistan d’où ils peuvent se regrouper, réfléchir et se préparer à de nouvelles attaques. » M. Hamilton avait également fait partie de la commission officielle d’enquête sur les attentats du 11-Septembre. « Le président Musharraf est décrit comme un grand allié. Il a été coopératif dans un certain domaine, a-t-il dit. Mais je trouve inacceptable qu’il nous ait empêchés jusqu’à présent d’agir contre ces sanctuaires. »
Bien avant les troubles actuels au Pakistan, un certain nombre de parlementaires s’étaient inquiétés de voir l’administration se reposer presque exclusivement sur M. Musharraf, et n’entretenir que peu de liens avec l’opposition modérée. Ils avaient appelé l’ex-général à se retirer et à tenir de véritables élections libres en 2008.
Corine Lesnes
LE MONDE | 19.07.07 | 11h09 • Mis à jour le 19.07.07 | 11h09
Chronologie
3-4- juillet - : Tirs entre les forces de l’ordre et des étudiants retranchés dans la mosquée Rouge. Les autorités entament le siège de la mosquée et instaurent un couvre-feu.
4- : Onze personnes, dont six soldats, sont tuées dans un attentat-suicide à la voiture piégée contre un convoi militaire à Mir Ali, dans le nord du Waziristan.
10-11 : Assaut contre la mosquée Rouge. Au moins 100 militants fondamentalistes et membres des forces de l’ordre sont tués.
14 : Vingt-quatre soldats meurent dans un attentat-suicide contre leur convoi dans le nord du Waziristan.
17 : Trois soldats et un civil sont tués dans un attentat-suicide dans le nord du Waziristan. Deux autres postes de contrôle sont attaqués.
18 : Le président Musharraf promet un « combat frontal » aux militants fondamentalistes.
19 : Deux attentats font au moins 26 morts, pour la plupart des policiers.
Au moins 20 morts dans un attentat-suicide au sud-ouest du Pakistan
Au moins vingt personnes, dont un policier, ont été tués et dix-huit autres blessées dans un attentat-suicide au passage d’un convoi de travailleurs chinois escortés par les forces de sécurité, jeudi 19 juillet, dans le sud-ouest du Pakistan. L’attentat s’est produit devant un arrêt de bus où de nombreuses personnes faisaient la queue, à Hub, dans la province du Baloutchistan, en proie depuis environ trois ans à la rébellion séparatiste de plusieurs tribus.
« Apparemment, les Chinois étaient la cible, l’explosion a endommagé le véhicule de la police et dix personnes sont mortes mais les Chinois sont indemnes », a déclaré le chef de la police locale, qui précisé que l’attentat était le fait d’un kamikaze. La bombe aurait explosé juste après le passage des véhicules transportant les Chinois.
PÉKIN PREMIER FOURNISSEUR D’ARMES D’ISLAMABAD
Cette attaque a été perpétrée deux semaines après que Pékin, qui est le premier pourvoyeur d’armes du Pakistan, a réclamé la protection de ses ressortissants après le meurtre de trois ouvriers chinois à Peshawar (nord-ouest), dans une attaque que les autorités pakistanaises ont attribuée aux islamistes.
L’attentat suit une série d’attaques dans les zones triblales du nord-ouest, frontalier de l’Afghanistan, menées en représailles à l’assaut de l’armée contre la mosquée Rouge d’Islamabad, où s’étaient retranchés des centaines de fondamentalistes proches des talibans. Les autorités locales se sont d’abord refusées à faire le lien entre les attentats, soulignant que les séparatistes du Baloutchistan ne sont pas liés aux fondamentalistes pro-talibans et qu’ils ont déjà pris pour cibles les Chinois par le passé. Mais les séparatistes n’ont jusqu’ici jamais recouru aux attentats-suicides, qui portent la marque des islamistes.
LEMONDE.FR avec AFP | 19.07.07 | 09h00 • Mis à jour le 19.07.07 | 09h18.
Confronté à un accès de violence, le président Musharraf refuse de décréter l’état d’urgence
ISLAMABAD, CORRESPONDANTE
Recevant, mercredi 18 juillet, les directeurs des grands médias pakistanais, le président Pervez Musharraf a catégoriquement rejeté les critiques américaines sur son action contre les extrémistes islamistes, affirmant : « Bon sang, de quoi nous blâment-ils ? Oui, les militants d’Al-Qaida sont là [dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan], mais à cause de notre action, ils sont en fuite. Nous nous occupons aussi des talibans au Waziristan et ailleurs dans les zones tribales. » Pourtant, les extrémistes ont frappé de nouveau, jeudi 19 juillet. Un commando-suicide a en effet fait exploser sa voiture à la porte de l’académie de police à Hangu, à 70 km au sud-ouest de Peshawar. Cinq policiers et un passant ont été tués.
La veille, dix-sept soldats avaient été tués et douze blessés dans une embuscade tendue par les activistes à un convoi de l’armée se rendant de la frontière afghane à Miran Shah, chef-lieu du nord du Waziristan. Une douzaine d’islamistes avaient aussi été tués dans les combats qui ont suivi. Depuis samedi, près de 100 membres des forces de sécurité ont été tués dans des attaques attribuées aux talibans pakistanais.
Jeudi, au Baloutchistan, vingt personnes ont été tuées dans une attaque qui visait des ingénieurs chinois qui n’ont pas été touchés. Ce dernier attentat pourrait être lié à la lutte que mènent les nationalistes baloutches contre le gouvernement.
« UNE BATAILLE ENTRE LES FORCES DE MODÉRATION ET LES EXTRÉMISTES »
Pour le président Musharraf, la menace la plus sérieuse est « la façon dont les extrémistes propagent leur influence en dehors des zones tribales ». Les incidents se sont multipliés ces derniers mois dans la province frontalière du nord-ouest, notamment dans les districts de Bannu, Tank, et Dera Ismail Khan qui bordent la zone tribale du Waziristan. Des talibans pakistanais faisaient partie des extrémistes de la mosquée Rouge à Islamabad, prise d’assaut par l’armée, mercredi 11 juillet, dans une opération qui a fait plus de cent morts.
« Il y a maintenant clairement une bataille entre les forces de modération et les extrémistes », a affirmé M. Musharraf, ajoutant que le temps était venu pour les médias et la société de décider s’ils voulaient soutenir le gouvernement dans sa lutte contre l’extrémisme ou laisser faire et permettre à ces forces de se renforcer. La difficulté est que, depuis son arrivée au pouvoir en octobre 1999, le président a tout fait pour écarter les partis modérés. Il a préféré s’entendre avec les partis religieux. Aujourd’hui, il cherche à rallier l’ex-premier ministre Benazir Bhutto, mais sans toutefois renoncer au pouvoir ni à son uniforme, cumulant les fonctions de président et de chef de l’armée.
Dans son entretien avec les journalistes pakistanais, le général a réitéré son désir d’être reconduit à la tête de l’Etat. Le président est élu à la fois par le Parlement fédéral et les assemblées provinciales. Malgré la situation d’insécurité grandissante, Pervez Musharraf a exclu l’imposition de l’état d’urgence et indiqué que les élections auraient lieu selon le calendrier. L’élection présidentielle est prévue en octobre et les législatives, au plus tard, en janvier 2008.
M.Musharraf n’a pas annoncé de mesures particulières pour combattre les militants dans les zones tribales, indiquant que quelque 30 000 policiers et paramilitaires y seraient envoyés avant la fin de l’année en renfort des 80 000 à 90 000 troupes déjà présentes.
Françoise Chipaux
LE MONDE | 19.07.07 | 10h41 • Mis à jour le 19.07.07 | 11h10
La veuve de Daniel Pearl accuse une banque pakistanaise
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
Accusée par Marianne Pearl, veuve de Daniel Pearl, le correspondant du Wall Street Journal enlevé et décapité à Karachi en janvier 2002, d’avoir sciemment offert des services à Al-Qaida et d’autres groupes terroristes, l’Habib Bank a nié, jeudi 19 juillet, toute responsabilité dans l’affaire.
« Les faits mis en cause remontent à 2002 et la banque était jusqu’à récemment sous contrôle du gouvernement », a affirmé Zafar Aziz Osmani, un des vice-présidents de l’Habib Bank, à l’agence Associated Press. Un des plus importants établissements financiers du Pakistan, l’Habib Bank a été privatisé en 2004 et 51 % des actions appartiennent désormais au fonds de développement économique de l’Aga Khan.
L’Etat pakistanais, qui possède 49 % des parts, cherche à se désengager progressivement. En 2006, les contrôleurs américains avaient annoncé que la banque avait accepté de renforcer sa politique de contrôle sur d’éventuels abus commis par des terroristes ou des criminels.
Mme Pearl, qui a déposé plainte devant un tribunal fédéral de Brooklyn, à New York, affirme que, soutenus par la banque, des terroristes « ont kidnappé, torturé, exécuté et démembré Daniel Pearl, puis diffusé les images à travers le Pakistan ». La plainte vise également plusieurs des accusés du procès conduit à Karachi ainsi qu’un fonds islamique de charité, Al-Rashid Trust.
La veuve du journaliste affirme que ce fonds, qui avait son compte à l’Habib Bank, servait de paravent à Khaled Cheikh Mohammed - un des accusés arrêté au Pakistan et détenu depuis à Guantanamo - et Al-Qaida, « qui ont aidé et conspiré » pour assassiner Daniel Pearl. Banni dès 2001 par les Etats-Unis, le fonds Al-Rashid Trust opérait ouvertement au Pakistan jusqu’au début de cette année, où il a été banni par les autorités pakistanaises.
Al-Rashid Trust, qui avait pignon sur rue à Karachi, était, jusqu’à la chute des talibans en 2001, très actif en Afghanistan et le fonds avait aussi de très nombreux programmes au Pakistan. Il a été très actif lors du tremblement de terre qui a ravagé le Pakistan en octobre 2005.
Mme Pearl, qui explique qu’elle « recherche la vérité pour savoir ce qui est arrivé à Daniel, au nom de notre famille, de nos amis et pour l’information du public », vise notamment dans sa plainte Khalid Cheikh Mohammed, qui, selon l’armée américaine, aurait reconnu devant un tribunal militaire avoir décapité le journaliste ; Ahmed Omar Saïd Sheikh, alias cheikh Omar, citoyen britannique condamné à mort en juillet 2002 par un tribunal pakistanais pour son implication dans le meurtre de Pearl ; et Fazal Karim.
Ce dernier, selon la plainte, aurait dit aux autorités pakistanaises qu’il avait frappé Daniel Pearl quand le journaliste avait tenté de s’évader et qu’il avait tenu le journaliste au moment de son égorgement. L’appel de cheikh Omar est toujours en attente au Pakistan.
Françoise Chipaux
Article paru dans l’édition du 21.07.07.
LE MONDE | 20.07.07 | 15h03 • Mis à jour le 20.07.07 | 15h03