a« La France sera toujours du côté de ceux qui luttent pour nous informer, qui se battent pour écrire la vérité. » Ces mots formulés par Emmanuel Macron le 3 mai 2022, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, résonnent aujourd’hui d’un bruit crissant. Mardi 19 septembre, la journaliste indépendante Ariane Lavrilleux, qui travaille notamment pour le site d’informations Disclose, a été placée en garde à vue, après une perquisition de son domicile marseillais, dans le cadre d’une information judiciaire confiée à la Direction générale du renseignement intérieur (DGSI).
Les enquêteurs de la DGSI reprochent à notre consœur d’avoir signé plusieurs articles sur les ventes d’armes françaises à l’étranger. Depuis 2019, Ariane Lavrilleux a en effet révélé des informations d’intérêt général. Elle s’est battue pour écrire la vérité, comme le dirait Emmanuel Macron. Et pour cette seule raison, elle a passé une nuit à l’hôtel de police de Marseille. Avec un peu d’avance, cette nouvelle atteinte inacceptable au droit d’informer lance officiellement les « états généraux de l’information », censés démarrer le 3 octobre.
Ariane Lavrilleux et le rassemblement devant l’hôtel de police de Marseille pour demander sa libération. © Photos DR
Promesse de campagne du président de la République, ces « états généraux de l’information » ont pour objectif – affiché par ce dernier – de « lutter contre toutes les tentatives d’ingérence » et de « donner aux journalistes le meilleur cadre pour remplir leur mission essentielle ». Ils ont été confiés à un comité de pilotage présidé par Bruno Lasserre, le président de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), qui travaillera notamment aux côtés du secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire, nommé délégué général. Ce dernier a récemment évoqué un « chantier [visant] à garantir le droit à l’information au XXIe siècle ».
Sans présager de l’issue des travaux qui seront conduits d’ici à l’été 2024, l’initiative présidentielle a de quoi surprendre au regard de la façon dont le pouvoir macroniste effrite, depuis six ans, l’édifice légal des libertés, à commencer par celle du droit à l’information, qui trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Loin d’être un épisode isolé, la garde à vue d’Ariane Lavrilleux vient en effet grossir une liste interminable d’atteintes à la liberté de la presse, qui n’a cessé de s’étoffer depuis 2017.
Des relations exécrables avec la presse
Quelques jours seulement après son entrée à l’Élysée, Emmanuel Macron était destinataire d’un premier communiqué, signé par vingt-six rédactions s’inquiétant de la volonté de la présidence de la République de choisir les journalistes présents lors des déplacements officiels. Depuis lors, les relations entre le Palais et la presse n’ont cessé de se dégrader. Difficulté d’accès, absence de réponses, périmètres restreints, interdits formels... Tout a été fait pour verrouiller la communication du chef de l’État. L’Élysée a même envisagé, un temps, de fermer la salle de presse installée depuis quarante ans en son sein.
Très vite, les ministres ont eux aussi envoyé des signaux extrêmement préoccupants quant à la manière dont ils concevaient l’indépendance des médias et la protection des sources. En juin 2017, juste avant la diffusion de révélations sur des soupçons d’emplois fictifs d’assistants parlementaires européens au MoDem, François Bayrou, alors garde des Sceaux, avait appelé en personne le directeur de la cellule investigation de Radio France pour se plaindre de prétendues « méthodes inquisitrices », ajoutant qu’il étudiait, avec ses avocats, la possibilité d’une qualification de « harcèlement ». Le patron du MoDem sera jugé pour « complicité de détournement de fonds publics » dans cette affaire, à partir du 16 octobre.
Deux jours après ce coup de fil, on apprenait que Muriel Pénicaud, à l’époque ministre du travail, avait porté plainte, après la fuite d’un document de son administration concernant la future réforme du Code du travail, pour« vol de document »et« recel », ce dernier qualificatif visant directement Libération, mais aussi Le Parisien et Mediapart. Face à la colère des rédactions dénonçant une atteinte manifeste au secret des sources, ce motif avait finalement été retiré de la plainte. Mais cet épisode ahurissant n’avait pas découragé l’ancienne ministre de la culture Françoise Nyssen d’annoncer, en décembre de la même année, sa volonté de porter plainte après la publication, sur le site du Monde,de « pistes de travail » pour réformer l’audiovisuel public – au bout du compte, elle y avait quand même renoncé.
Les choses se sont encore accélérées – pour ne pas dire aggravées – à partir de 2018 et de la désormais célèbre affaire Benalla, moment charnière du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. À l’époque, le chef de l’État avait dévoilé le fond de sa pensée, en lançant devant ses troupes : « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité. » La même année, le Parlement adoptait deux textes critiqués par les défenseurs des libertés publiques et du droit de savoir : la loi dite « anti-fake news » et celle portant sur le secret des affaires. Suivra en 2020 l’inénarrable loi Avia contre les « contenus haineux », finalement censurée par le Conseil constitutionnel, qui avait considéré que l’atteinte à la liberté d’expression n’était pas « proportionnée au but poursuivi ».
Le premier semestre de l’année 2019 a lui aussi été marqué par des atteintes sans précédent au droit à l’information. À l’époque, Emmanuel Macron rêvait de placer la presse sous tutelle en créant des « structures » qui auraient la charge de « s’assurer de sa neutralité ». En l’espace de quelques semaines, huit journalistes et professionnels des médias avaient été convoqués par les services de renseignement. Toutes et tous travaillaient sur des sujets sensibles comme la vente d’armes par la France à l’Arabie saoudite ou l’affaire Benalla. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, s’était alors défendue en déclarant que les journalistes « sont des justiciables comme les autres », car « il est normal qu’un État protège un certain nombre de données nécessaires à des activités de défense extérieures et des activités militaires ».
Emmanuel Macron devant les journalistes pendant la campagne présidentielle à Mulhouse, le 12 avril 2022. © Photo Ludovic Marin / AFP
Le 4 février 2019, le parquet de Paris tentait de perquisitionner les locaux de Mediapart, dans le cadre d’une enquête préliminaire, ouverte notamment pour « atteinte à la vie privée » dans l’affaire Benalla – l’État a depuis été condamné pour ces faits. En octobre de la même année, quatre journalistes de la rédaction, dont son directeur de publication, étaient convoqués par la police judiciaire, toujours à la demande du parquet de Paris, afin d’être interrogés en enquête préliminaire sur un autre article concernant cette affaire. L’enquête avait finalement été classée, mais accompagnée d’un message on ne peut plus clair du procureur de la République : « Si l’infraction qui vous est reprochée paraît caractérisée, j’ai toutefois décidé de ne pas engager de poursuites pénales. Mais je vous rappelle, par la présente, les termes de la loi en vous invitant à vous y conformer strictement à l’avenir. »
Violences policières et verrouillage présidentiel
Autre épisode marqueur du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le mouvement des « gilets jaunes » s’est accompagné de nombreuses violences policières, dont les manifestant·es furent les premières victimes, mais qui n’épargnèrent pas les journalistes. Comme le rappelait la SDJ de Mediapart dans ce billet, tirer sur des caméras, frapper des photographes et leurs appareils, noyer des reporters sous les gaz lacrymogènes, les placer en garde à vue, leur donner des coups de matraque ou les empêcher de couvrir des rassemblements sont autant d’actes incompatibles avec le respect des principes de notre démocratie.
Or, toutes les manifestations de ces dernières années ont laissé voir ce type de scènes, toujours reléguées au rang d’« actes isolés » par le pouvoir, qui a tenté de réduire davantage encore la liberté de la presse en instaurant un nouveau schéma du maintien de l’ordre ou en soignant quelques articles de sa loi « sécurité globale ». En novembre 2020, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait d’ailleurs invité les journalistes à « se rapprocher » des autorités avant de couvrir des manifestations. Au printemps de la même année, une journaliste de Mediapart, qui avait permis de démontrer les mensonges du chef de l’État dans l’affaire Geneviève Legay, avait été entendue comme suspecte par l’inspection générale de la police nationale (IGPN).
La pandémie mondiale a également permis à l’exécutif d’éloigner davantage encore la presse. À l’époque, les « briefs » s’organisaient nécessairement à distance, par téléphone. Mais cette pratique s’est aujourd’hui pérennisée à l’Élysée qui ne s’embarrasse même plus des formes. Autre épisode évocateur : dans sa volonté manifeste de contrôler l’information, le gouvernement n’avait rien trouvé de mieux, au plus fort de la crise sanitaire, que de reproduire, sur un site officiel de la République, un florilège d’articles estampillés fiables, consacrés au Covid-19. Étonnamment, les enquêtes de Mediapart sur le fiasco des masques n’y figuraient pas. Face à la mobilisation des rédactions, la plateforme avait finalement été supprimée.
C’est dans ce contexte pour le moins inquiétant que s’ouvriront donc prochainement les « états généraux de l’information », qui démarrent sur une première difficulté pour leur délégué général Christophe Deloire, contraint de défendre une initiative destinée à réformer le secteur de la presse, tout en dénonçant, avec sa casquette RSF, la criminalisation d’un travail journalistique, en l’occurrence celui d’Ariane Lavrilleux. Le chantier mériterait davantage que les effets de communication dont le président de la République est coutumier. De l’indépendance éditoriale à la concentration croissante des médias, en passant par la banalisation de l’extrême droite, les enjeux sont en effet immenses, tant sur le plan juridique que politique.
La garde à vue de la journaliste de Disclose repose aussi l’épineuse question du « secret-défense », qui dépasse largement nos frontières, comme en témoignent l’affaire des Pentagon Papers et l’inculpation du fondateur de WikiLeaks Julian Assange aux États-Unis. Une question derrière laquelle Emmanuel Macron s’était déjà retranché en 2019, au moment des convocations en cascade de journalistes par les services de renseignement. « Il y a la protection des sources, on la protège et j’y veille », avait-il assuré, avant de s’empresser d’ajouter : « Mais à côté de ça, il y a une sécurité nationale qui crée des obligations de réserve, on doit composer avec les deux. » Pour l’heure, le déséquilibre est patent. Et l’hypocrisie flagrante.
Ellen Salvi
Boîte noire
Cet article a été actualisé le jeudi 21 septembre, dans la matinée.