“Nous avons signé un accord, et, dans un avenir proche, la marine militaire russe disposera d’un point d’ancrage permanent dans le district d’Otchamtchira [sur la côte de la mer Noire]. Cela vise à améliorer les capacités de défense de la Russie et de l’Abkhazie”, a annoncé, jeudi 5 octobre, Aslan Bjania. Le président de la république sécessionniste géorgienne d’Abkhazie s’exprimait au lendemain d’une rencontre avec le président de la Russie, Vladimir Poutine, relaie le journal russe Izvestia.
Cela “répond aux intérêts fondamentaux de notre peuple et contribue à renforcer notre sécurité”, a déclaré le ministre des Affaires étrangères abkhaze, Inal Ardzinba, rapporte le site abkhaze Apsny Press.
Tbilissi voit rouge
Interrogé par le journal abkhaze Noujnaïa Gazeta, l’analyste local Guivi Kvartchia fait remarquer que “toute base militaire est à la fois une défense et une menace”. Cependant, explique-t-il, “nous avons commencé à discuter de la question du port d’Otchamtchira avant le début de l’opération militaire spéciale [de la Russie] en Ukraine, et, pour nous, il s’agit plus d’une sécurité que d’une menace”.
Pour sa part, Tbilissi voit rouge. La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, a qualifié la décision de Moscou de créer une base navale “sur le territoire souverain de la Géorgie” d’“illégale”, de “criminelle” et de “révoltante”, rapporte le site de Tbilissi InterPressNews.
“Cette provocation menace non seulement la Géorgie, mais toute la région. Par cette action, la Russie tente de renforcer son influence en mer Noire et de dominer la région”, a martelé la présidente avant d’appeler “les partenaires de la Géorgie et la communauté internationale à réagir immédiatement”.
Sur son site, le ministère des Affaires étrangères géorgien a exprimé sa “préoccupation face aux déclarations [d’Aslan Bjania]” et a appelé la Russie à “respecter ses obligations internationales et à mettre en œuvre l’accord de cessez-le-feu du 12 août 2008 [consécutif à la guerre russo-géorgienne]”.
Le journal géorgien Netgazeti rappelle que dans les années 1960, déjà, “une brigade spéciale de navires de patrouille soviétiques stationnait dans la région”, et qu’ils ont “gardé la frontière de l’État [géorgien] jusqu’en 1996”. Par ailleurs, dans les années 1980, l’Union soviétique avait envisagé des travaux d’agrandissement du port – projet abandonné après sa chute. Netgazeti croit savoir que ces travaux ont finalement commencé en 2009 et se sont poursuivis jusqu’en 2022. Le port est donc désormais “apte à recevoir des navires d’un tonnage brut de 13 000 tonnes, sur trois postes d’amarrage, dont la longueur totale est de 427,6 mètres”.
Contrebalancer le poids de l’Otan ?
Interrogé par le quotidien russe Moskovski Komsomolets, l’expert militaire russe Vladimir Goundarov explique que la nécessité d’augmenter “le nombre de bases pour les navires” de la flotte russe de la mer Noire est devenue “plus aiguë après que Kiev a multiplié les attaques de drones et de missiles contre la base navale de Sébastopol”.
Toutefois, la principale motivation serait ailleurs : il s’agirait de “mener des opérations de reconnaissance et de surveiller le littoral géorgien, où accostent les navires de guerre de l’Otan”.
Sur le site russe Regnum, l’expert militaire Alexandre Artamonov affirme que la baie d’Otchamtchira est “avant tout indispensable pour la mise en place d’un système d’alerte précoce, et le déploiement de systèmes de défense aérienne et de défense côtière”. Cela permettra “d’accroître les capacités opérationnelles de la marine russe”, dans un contexte où “l’Otan déploie progressivement des forces supplémentaires en mer Noire”.
Selon lui, depuis la reddition du Haut-Karabakh, le “rapport de force dans le Caucase du Sud s’est profondément modifié”. Et la situation est désormais la suivante : “Il n’y a pas de Géorgie souveraine, pas d’Azerbaïdjan souverain, et bientôt plus d’Arménie souveraine. Il y a une seule zone transcaucasienne de l’Otan, une seule armée selon les normes de l’Otan, qui a pénétré sur le territoire du Caucase du Sud. Et il est nécessaire de réagir à cela.” En effet, de l’avis de l’expert, au fil des années s’est formé un bloc Turquie-Géorgie-Azerbaïdjan orienté vers la coopération avec l’Otan.
Alda Engoian
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