L’arrêt par la République populaire démocratique de Corée (RPDC) de son réacteur nucléaire sous la surveillance de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) et son engagement, pris le 18 juillet dans le cadre des négociations à six - la Chine, les deux Corées, les Etats-Unis, le Japon et la Russie -, de mettre en œuvre la seconde partie de l’accord de dénucléarisation qu’elle a signé le 13 février, indiquent que la crise nucléaire nord-coréenne est en voie de résolution.
Le dénouement sera certes laborieux, mais les pourparlers multilatéraux auxquels cette crise donne lieu pourraient être porteurs d’avenir en jetant les bases d’un forum de dialogue en Asie orientale, où la péninsule coréenne vit toujours depuis l’armistice de 1953 à l’heure de la guerre froide, avec de part et d’autre du 38e parallèle deux armadas prêtes à l’affrontement. Si cette crise débouche sur un embryon de système de sécurité collective dans la région, elle aura eu un effet positif. Elle est aussi riche en enseignements. C’est une crise qui aurait pu être évitée si le réalisme avait prévalu sur l’idéologie. Elle démontre qu’il ne suffit pas de menacer et d’isoler un pays pour mettre la réalité au pas.
La crise nord-coréenne a pour toile de fond une évolution de la situation géopolitique en Asie orientale dont un trait majeur est l’interdépendance entre la Chine et les deux Corées. La Corée du Nord dépend pour sa survie de l’assistance de la Chine et de la Corée du Sud qui, de leur côté, n’entendent pas mettre en cause sa prospérité en la déstabilisant au risque de provoquer un afflux de réfugiés, voire un conflit dans la péninsule. L’unilatéralisme américain a achoppé sur ces intérêts nationaux convergents.
La tactique visant à « mettre à genoux » un pays de l’« axe du Mal » n’a pas fonctionné. Et la crise nucléaire nord-coréenne s’est traduite par un fiasco diplomatique pour les Etats-Unis. On est en effet revenu aujourd’hui à la case départ : la situation de septembre 2002, lorsque Washington, arguant d’un programme clandestin d’enrichissement de l’uranium en RPDC, déclara caduc l’accord de 1994 au terme duquel Pyongyang avait gelé sa production de plutonium sous la surveillance de l’AIEA. Ce qui a été négocié jusqu’à présent n’est rien d’autre qu’un nouvel arrêt du réacteur en échange de compensations. A cette différence près, la RPDC dispose d’une capacité nucléaire et elle a renforcé son arsenal balistique.
Quelle que soit la puissance de son essai nucléaire d’octobre 2006 - débattue par les experts -, le régime a démontré une certaine maîtrise de l’atome. Le risque nord-coréen est désormais autant global que régional. Il tient moins à l’« arme » elle-même - plus dissuasive qu’offensive - qu’à la prolifération horizontale à laquelle Pyongyang pourrait se livrer en cédant sa technologie à l’extérieur et à l’effet domino que sa nucléarisation peut entraîner en incitant d’autres pays à suivre son exemple. A ces risques, s’ajoute la menace des missiles pointés sur le Japon.
Le retour à la case départ est un échec d’autant plus cuisant pour Washington que l’argumentaire invoqué pour provoquer, puis prolonger, cette crise s’effrite. En accusant Pyongyang d’enrichir secrètement de l’uranium, Washington a déclenché un processus aux conséquences plus graves que l’achat au Pakistan d’équipements à cet effet : le démantèlement par l’AIEA du système de surveillance du réacteur nord-coréen, seul « verrou » aux ambitions nucléaires de Pyongyang qui a repris sa production de plutonium. Or le caractère opérationnel du programme d’enrichissement - connu de l’administration Clinton qui entendait en négocier la neutralisation dans le cadre d’un accord global - apparaît plus que douteux.
Des déclarations péremptoires du secrétaire d’Etat adjoint James Kelly, en octobre 2002 - « la production d’uranium enrichi par la RPDC est l’affaire de quelques mois » -, on est passé, le 27 février, à celle, pour le moins ambiguë, de Joseph De Trani, responsable des renseignements sur la RPDC, devant le Congrès : « Notre certitude (quant à l’existence de ce programme) est à un niveau moyen. » La crise a été déclenchée sur des présomptions.
« EPIPHÉNOMÈNE »
Washington n’a pas non plus donné de preuves tangibles des malversations auxquelles se serait livré Banco Delta Asia de Macao, accusé par le Trésor de blanchiment d’argent pour le compte de Pyongyang. Une accusation utilisée, en septembre 2005, par les néoconservateurs pour « torpiller » un accord obtenu à l’arraché dans le cadre des pourparlers à six, retardant de dix-huit mois le compromis du 13 février. Les 25 millions de dollars en supposé « argent sale » viennent d’être restitués à Pyongyang.
« Les Américains doivent assumer la responsabilité d’errements qui ont conduit à une situation plus grave qu’elle ne l’était en 2002 », estime Yang Sung-chul, ambassadeur sud-coréen aux Etats-Unis de 2000 à 2003. Les Européens, qui n’ont jamais demandé à Washington d’étayer les accusations portées à l’encontre de la RPDC, pourraient aussi s’interroger sur leur suivisme dans une crise qui aurait pu être évitée si un élément fondamental avait été pris en considération : la nucléarisation de la RPDC est l’« épiphénomène » de la situation de confrontation dans la péninsule coréenne depuis un demi-siècle.
Depuis les années 1990, les Etats-Unis, partagés entre ceux qui, projetant sur la RPDC le sort de l’Europe de l’Est, se berçaient de l’idée que le régime ne pouvait que s’effondrer et les partisans de la négociation - plus au fait des réalités du système nord-coréen et de ses capacités de résistance -, ont louvoyé entre indifférence, dialogue et sanctions. A la fin de son mandat, Bill Clinton avait compris que toute solution à la crise nucléaire nord-coréenne passait par un accord global : traité de paix, reconnaissance mutuelle, levée des sanctions économiques. George Bush s’est résolu à ce réalisme à un moment où il avait perdu la main dans cette crise au profit de la Chine.
« Washington a abandonné à Pékin le soin de contenir la RPDC », estime Paik Hakson, de l’institut Sejong à Séoul. « Les Etats-Unis ont perdu tout crédit aux yeux des Chinois comme des Coréens du Nord dans cette crise. Ils doivent compter sur Pékin et Séoul pour faire progresser les pourparlers », souligne Kenneth Quinones, qui, au département d’Etat, négocia avec Pyongyang dans les années 1990. Pour la Chine, les pourparlers à six sont la première grande initiative diplomatique régionale post-guerre froide, et elle entend rester maîtresse du jeu dans une affaire qui se joue sur ses marches.