Le cœur de chacun d’entre nous renferme de sombres recoins, où reposent nos pensées les plus mauvaises. Nul ne peut dire quand ces idées démoniaques prendront le dessus, ni ce qui se passera alors. Des personnes en apparence normales peuvent ainsi être poussées à commettre des atrocités par les ombres qui résident au fond de l’âme de chacun d’entre nous.
C’est pour cela que nous avons construit des sociétés. Les règles, les normes, les règlements et les tabous existent pour masquer nos pires penchants, afin que nous puissions cohabiter paisiblement. Dans une société qui fonctionne, la population renonce à certains droits et à une partie de sa fortune pour que le gouvernement lui offre un socle commun permettant aux citoyens de vivre sans crainte et de s’accomplir.
Mais les événements du 3 octobre [un adolescent a abattu trois personnes et en a blessé quatre autres dans un centre commercial] et des dernières semaines montrent que le gouvernement thaïlandais a beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Même s’il ne faut pas imputer la responsabilité de [cette] fusillade à un seul organe gouvernemental (ou à un seul texte législatif), l’incident n’en est pas moins révélateur d’un problème de fond de la société thaïlandaise.
Corruption et impunité
Ainsi, dans ce centre commercial luxueux proposant ce qui se fait de plus chic en matière d’équipement ou de produits, un jeune homme de 14 ans a ouvert le feu sur des innocents, faisant plusieurs victimes avant d’être arrêté.
Comme une métaphore de la société thaïlandaise dans son ensemble, cela a mis à nu tous nos problèmes et nos tentatives de résorber les fissures de notre société. Il nous arrive souvent, à nous, Thaïlandais, de nous bercer d’illusions en croyant que nous sommes beaucoup plus “développés” que nous ne le sommes en réalité.
Or, nous sommes encore un pays en développement, avec un gouvernement qui peine à gérer la nation, malgré les centres commerciaux de luxe, les beaux gratte-ciel de Bangkok, le fin vernis des hautes technologies et le mince gratin des habitués de la jet-set, qui masquent cet état de fait.
En Thaïlande, la non-application des lois et l’illégalité sont la norme, et non l’exception. C’est la civilisation qui est l’exception, et la corruption et l’impunité sont la norme. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les gros titres de la presse de ces dernières semaines pour y découvrir des affaires de collusion entre policiers et gangsters, l’’arrestation par la police d’un de ses propres membres soupçonné d’avoir aidé à gérer un cercle de jeu, ou encore des histoires de putschistes s’alliant avec des vendus [l’éditorialiste vise le récent choix du parti d’opposition Pheu Thai de former un gouvernement avec les conservateurs, une alliance jugée contre nature].
Demander des comptes
Nous sommes une république bananière aux mains de nos propres élites. Et, tant que l’électorat ne se montrera pas plus exigeant, rien ne changera. Tant que nous n’exigerons pas de notre police, de nos responsables politiques, de nos organes de contrôle et de nos tribunaux qu’ils rendent des comptes, nous continuerons à lire ce genre de gros titres, encore et encore.
Ce n’est peut-être pas une coïncidence si le drame d’hier s’est produit à quelques jours de l’anniversaire du massacre du jardin d’enfants de Nong Bua Lam Phu. Événement sur lequel l’année dernière, à la même époque, j’écrivais ceci : “Observons un temps de réflexion avant de poser les questions difficiles. Profitons-en plutôt pour être présents au cours des prochains jours, unis auprès des personnes directement touchées par cette tragédie. Par la même occasion, réfléchissons à la manière dont nous pouvons construire une société plus bienveillante, une société qui reléguerait très loin ces gros titres, pour que l’on ne revive plus jamais l’horreur de ce jeudi après-midi.”
Nous l’avons revécue. Désormais, le temps du deuil est terminé, l’heure est venue de poser les questions difficiles.
Netiwit Chotiphatphaisal
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