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Peut-être son nom est-il ignoré des plus jeunes générations, et pourtant un infatigable militant de notre classe vient de s’éteindre. Après une enfance tumultueuse, il suit des études d’horlogerie au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Très jeune, il est embauché à l’usine LIP, la plus grande des manufactures d’horlogerie françaises. Issu d’un milieu catholique pratiquant, il se syndique à la CFTC dans les années 1950, tout en commençant à militer politiquement à l’UGS (Union de la gauche socialiste), une des composantes du futur PSU (Parti socialiste unifié). En accord avec ses convictions religieuses, il participe à la lutte anticoloniale et contre la sale guerre que la France mène en Algérie. Il est parmi les premiers adhérents du PSU à sa création en 1960. Avec son complice Roland Vittot, il anime la nouvelle CFDT, sur des bases de très large démocratie et d’unité avec la CGT. Il participe avec enthousiasme à Mai 68 et commence à apparaître comme une des figures marquantes du syndicalisme.
La lutte des LIP en 1973
C’est lorsqu’éclate « l’affaire LIP » en 1973 qu’il va devenir un personnage public. Avec l’équipe de la CFDT, il incarne durant plusieurs mois un combat que la France suit avec passion pendant plusieurs mois. Y sont développées des pratiques de lutte peu communes : occupation de l’entreprise (pratique oubliée depuis juin 1936), AG quotidienne, large unité syndicale, création d’un Comité d’action, popularisation à travers le pays, saisie du stock de montres, remise en route (partielle) de l’outil de production et vente des montres.
Autour du slogan, apposé sur la banderole qui orne l’usine, ils revendiquent « Ni démantèlement ni licenciements ». La lutte des LIP sera la première riposte ouvrière au début des restructurations et des licenciements de masse. Ce mouvement passionne le pays, et un grand mouvement de solidarité l’accompagne. En septembre est organisée une immense manifestation à Besançon, 100 000 personnes, l’équivalent de la population de la ville. Refusant le plan du négociateur Giraud, qui avalise la logique des licenciements et du démantèlement de l’entreprise, les LIP poursuivront leur lutte jusqu’à la victoire en janvier 1974. L’unité de l’entreprise est maintenue, la totalité du personnel est réembauchée progressivement.
Las, les victoires ne sont jamais définitives, et en 1976, c’est un nouveau dépôt de bilan. Entre-temps, la crise s’est installée, et les conditions de la lutte sont beaucoup plus dures. Après l’échec de l’Union de la gauche aux législatives de 1978, les LIP décident de créer des coopératives. Comme bon nombre de ses camarades, Charles ne se fait aucune illusion sur une « solution coopérativiste ». Tout au plus s’agit-il d’espérer tenir jusqu’à la victoire présidentielle de 1981. Mitterrand est bien élu, mais les coopératives de LIP sont abandonnées à leur sort.
Animateur local d’AC !
Épuisé par des années de suractivisme, Charles part en préretraite en 1983. Ce seront des années d’amertume et de repli sur sa famille. En 1993, après une rencontre avec une camarade de la LCR, il accepte de prendre sa place dans le lancement d’AC ! (Agir contre le chômage !), dont il va être le principal animateur durant vingt-cinq ans à Besançon. Charles met ses compétences au service d’une lutte âpre, épuisante et très énergivore. En 2018, il décide de passer le relais — les années s’accumulant — tout en maintenant les contacts. Il continue d’être une figure reconnue dans toutes les manifestations. Alors qu’il avait été envisagé qu’il soit présenté à l’élection présidentielle de 1974 par un large rassemblement de l’extrême gauche, il est demeuré un militant humble, exemplaire et sans concession. Toutes nos condoléances à sa famille et ses proches.
CorrespondantEs
Une fiche biographique lui est consacré sur le site Maitron.org. On peut lire également son important petit livre On fabrique, on vend, on se paie, éd. Syllepse, 2021.