La participation, dimanche 12 novembre, des partis d’extrême droite – le Rassemblement national (RN) et Reconquête – aux marches contre l’antisémitisme a suscité de nombreuses protestations, en raison de l’histoire du RN – marquée par l’antisémitisme de son fondateur Jean-Marie Le Pen et d’autres membres –, mais aussi des déclarations d’Éric Zemmour sur le maréchal Pétain et les juifs.
Chacun de ces mouvements compte dans ses rangs des élus au passé qui interroge. Et dont certains étaient pourtant présents, eux aussi, dans les rassemblements, parfois même à la tribune, aux côtés d’autres responsables politiques.
Philippe Vardon (Reconquête)
À Nice (Alpes-Maritimes), le conseiller régional et municipal Philippe Vardon a signalé, sur X (ex-Twitter), sa présence « aux côtés de [s]es compatriotes juifs », ajoutant qu’il se trouvait « exactement, là où [il]devai[t] être » :
« On est beaucoup à ne pas partager votre amnésie volontaire », lui a répondu la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).
Passé par le Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret, Unité radicale (dissoute après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par l’un de ses militants), le Bloc identitaire (qu’il a cofondé) et le Rassemblement national, ce cadre de Reconquête a un CV chargé, comme en témoigne une vidéo qui ressurgit depuis dimanche.
Issue d’un documentaire sur les skinheads diffusé sur Arte en 1998, cette vidéo le montre, micro au poing, sur la scène d’un concert, entouré d’hommes aux crânes rasés faisant des saluts nazis. Parmi les chansons : Europe jeunesse révolution du groupe Fraction Hexagone et Zyklon Army d’Evil Skins – en référence au gaz mortel utilisé dans les camps de concentration nazis.
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L’élu Reconquête n’aime pas que l’on exhume ces extraits, loin de l’image de « père de famille, chef d’entreprise, responsable politique » qu’il tente d’imprimer depuis quelques années. Dimanche, il a menacé la journaliste Nassira El Moaddem de poursuites si elle ne retirait pas son tweet qui mentionnait le documentaire et l’associait à des saluts nazis.
« C’est une vidéo où je n’ai personnellement rien à me reprocher, expliquait Philippe Vardon à Mediapart en 2015. J’avais 16 ans, je connais les musiciens sur scène (Fraction Hexagone), ils me font monter, je chante le refrain de la chanson Europe jeunesse révolution. Ça ne vous est jamais arrivé de vous retrouver avec des abrutis à une soirée ? » Il évoquait alors une jeunesse de « révolte », « probablement avec des maladresses ou une dose de provocation qu[’il] regrette bien sûr, mais cela appartient à un contexte ».
À nouveau questionné lundi par Mediapart, l’élu Reconquête rappelle qu’il avait à l’époque « 15 ans » et qu’il en a aujourd’hui « 43 » : « Est-ce que c’est une erreur ? Oui. Est-ce que je le regrette ? Oui. Est-ce que je rejette toute forme d’antisémitisme ? Oui. J’ai déjà eu souvent l’occasion de le dire, je le répète. »
Il assure être devenu « un élu sans la moindre ambiguïté dans le combat contre l’antisémitisme » et rappelle que le président de son parti, Éric Zemmour, « est lui-même juif » et était « voici une semaine encore en Israël » ; omettant de dire que le même Zemmour sera prochainement à nouveau jugé pour « contestation de crime contre l’humanité » après ses propos sur le maréchal Pétain qui aurait « sauvé » des juifs français (lire sa réponse intégrale en annexes).
Philippe Vardon ne commente pas, en revanche, les neuf années qu’il a passé au sein du groupe de rock identitaire Fraction, dont il fut le chanteur de 1998 à 2007.
L’histoire de ce groupe, anciennement baptisé Fraction Hexagone, est ponctuée d’allusions antisémites, de sa création (il est né en 1994 de la fusion de deux groupes, Septembre noir, en référence au commando palestinien qui a tué des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972, et Freikorps, du nom des corps francs allemands de l’entre-deux-guerres) à son logo (inspiré de celui du Front noir, scission révolutionnaire et anticapitaliste du Parti national-socialiste des travailleurs allemands), en passant par son répertoire de chansons.
En 1996, deux ans avant l’arrivée de Vardon, le morceau Une balle (« Une balle pour les sionistes / Une balle pour les cosmopolites / Une balle pour les Yankees / Une balle pour les lobbies [...] Inféodés à la finance apatride / Les politiciens, cette vermine putride ») suscite un tollé et vaut au groupe des ennuis judiciaires (lire notre Boîte noire).
L’année suivante, dans Le fléau, le groupe cible le « sionisme, maladie marquée du sceau de l’infamie [qui] constitue le principal danger pour la grande Europe unifiée » et les « sionistes assassins, américains complices ». Dans le morceau Camarade (2006), Fraction reprend le poème de l’auteur collaborationniste Robert Brasillach, qui écrivit, dans Je suis partout,qu’il fallait « se séparer des juifs en bloc et ne pas garder les petits ».
Fraction n’a jamais caché ses intentions : dans une interview en 2000, le groupe expliquait être né d’une volonté de « diffuser un “nationalisme révolutionnaire” au sein de la jeunesse » et de « dénoncer l’arrogance de l’impérialisme américain et du sionisme international ». Deux ans plus tard, il s’était associé pour un split avec le groupe néonazi allemand Hauptkampflinie. Parmi les titres du disque : Kommando Werwolf – du nom du corps de volontaires nazis créé en 1944 par Heinrich Himmler.
En 2017, Christian Estrosi s’en était vivement pris, en séance plénière du conseil régional, à Philippe Vardon, le qualifiant « d’héritier de Goebbels » et de « honte comme ceux qui passent leur temps à faire des saluts nazis ». Attaqué en « diffamation », le maire Horizons de Nice a définitivement gagné son procès en 2021. Il était aux côtés de l’élu Reconquête, dimanche, lors de la manifestation niçoise.
Frédéric Boccaletti (RN)
Autre parti, autre élu : le député RN du Var, Frédéric Boccaletti.
Le parlementaire, qui a commencé sa carrière politique au Front national (FN) en 1994 – entrecoupée de périodes au MNR de Bruno Mégret et au Parti populiste, un groupuscule d’extrême droite –, a lui aussi immortalisé sa présence à la manifestation contre l’antisémitisme, dans un tweet.
La participation de celui qui fut le directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen aux élections régionales en 2010 a fait ressortir certains vieux dossiers, l’obligeant à réagir dans la presse locale.
En 1997, alors que le FN a conquis la ville de Toulon (Var), Frédéric Boccaletti rachète les stocks de la librairie Alaïs, filiale de la librairie parisienne L’Æncre qui commercialisait des ouvrages racistes, antisémites et néonazis. Il baptise alors la boutique « Anthinéa », en référence à l’ouvrage Anthinéa, d’Athènes à Florence, de l’écrivain antisémite et vichyste Charles Maurras.
L’établissement reçoit les penseurs d’extrême droite et vend des ouvrages politiques historiques. Dans ses stocks notamment : Jean Mabire, qui fut l’un des piliers de la Nouvelle droite, l’écrivain négationniste Roger Garaudy ou encore le dictateur espagnol Franco.
À l’époque, le maire FN de Toulon, Jean-Marie Le Chevallier, est même contraint de prendre ses distances. Dans une lettre aux frontistes de la fédération du Var, datée de 1997, il déplore que la librairie « mélange à la vente les ouvrages de grande qualité (Histoire de France de Jacques Bainville, Jean Madiran, etc.) à d’autres qui visent à nuire au Front national ».
« Anthinéa n’a jamais été une librairie négationniste, jamais !,répondait à Mediapart Frédéric Boccaletti lors de son élection à l’Assemblée nationale, en juin 2022. Pour une bonne raison : j’avais un contrôle tous les lundis par les RG pour vérifier mes stocks. C’était la ville de Toulon, j’étais surveillé comme l’huile sur le feu. » Il affirmait avoir « fait le tri » dans les stocks récupérés de la précédente librairie. S’il reconnaissait avoir pu vendre des ouvrages de Charles Maurras, Roger Garaudy ou Jean Mabire, il assurait que sa limite était la loi Gayssot et qu’il n’avait jamais vendu d’ouvrages « antisémites et négationnistes ».
« J’ai réédité Anthinéa, qui est le seul livre non politique de Charles Maurras », précisait-il. Et pour éviter d’avoir ce genre de problèmes, je ne vendais pas Mein Kampf. » Il ajoute : « Et Louis-Ferdinand Céline est vendu dans toutes les librairies de France, et ça vous dérange pas ? »
Frédéric Boccaletti ne semble en tout cas pas avoir renié son admiration pour l’écrivain Maurras, dont il conservait toujours, en 2015, une édition originale d’Anthinéa bien en vue dans son bureau, selon Le Monde.
Marine Le Pen et Frédéric Boccaletti lors d’une conférence de presse à Six-Fours-les-Plages, le 16 mars 2015. © BORIS HORVAT / AFP
Une autre polémique a visé le député RN. En septembre 2008, conseiller municipal de Six-Fours-les-Plages (Var), Frédéric Boccaletti emprunte alors une salle communale pour que le Parti populiste – dont il était membre – y tienne son université d’été. Parmi les invités : Me Éric Delcroix, qui avait été condamné pour contestation de crimes contre l’humanité en 1996 et qui fut l’avocat de négationnistes, tel Robert Faurisson – qu’il a eu « l’honneur » de défendre a-t-il dit à son procès –, et des membres du groupe Fraction.
Également questionné sur ce point, Frédéric Boccaletti nous avait répondu qu’il n’était « pas l’organisateur » de l’événement et n’avait « pas la liste des invités ». « Le Parti populiste, dont j’étais membre, m’a demandé comment obtenir une salle pour faire son assemblée générale, ça a été fait à la mairie de Six-Fours. » S’il était présent à ce rassemblement, il disait n’avoir pas assisté à « la totalité », s’agaçant : « On va en rester là, vous allez écrire ce que vous voulez, et mon avocat fera ce qu’il a à faire si vous dérapez. »
Marine Turchi
Boîte noire
Frédéric Boccaletti avait été questionné par Mediapart sur ces éléments en juin 2022, lors de son élection à l’Assemblée nationale. Philippe Vardon nous a quant à lui répondu en 2015 et à nouveau lundi 13 novembre (lire sa réponse intégrale en annexes).
Après la chanson Une balle (1996), les membres de Fraction Hexagone avaient été mis en examen pour « complicité de provocations non suivies d’effets à des atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne », mais les poursuites avaient été abandonnées en raison d’un vice de procédure repéré par leur avocat.