Le conflit au Proche-Orient nous rappelle de manière sanglante à quel point notre profession est indispensable pour comprendre le monde : le black-out sur Gaza nous empêche de prendre la mesure de la tragédie en train de se dérouler. Après le massacre de familles israéliennes sauvagement assassinée jusque dans leur maison par des combattants du Hamas, c’est au tour des Palestiniens, hommes, femmes, enfants, vieillards, de mourir par milliers sous les bombes israéliennes.
Or, depuis le 7 octobre, les journalistes palestiniens tombent les uns après les autres aux côtés de leurs proches sans que rien ne semble pouvoir arrêter le cycle infernal des représailles. La presse internationale, de son côté, se voit interdire l’accès à la bande de Gaza par les autorités israéliennes et égyptiennes. Pour documenter l’ampleur du désastre, il est pourtant indispensable de nous laisser « entrer et voir », selon l’injonction du philosophe Michel Foucault qui, au début des années 1970, exigeait le droit d’entrer dans les prisons. C’est le sens de la tribune récemment signée par 33 sociétés de journalistes (SDJ), ainsi qu’un large ensemble de journalistes et d’organisations de la profession.
La presse est un rempart contre la folie des États et des dirigeants politiques et militaires prêts à sacrifier des civils et/ou leur peuple pour mener à bien leurs desseins inhumains.
Dans ces temps sombres, l’indépendance des journalistes est une nécessité absolue. Car une presse embrigadée ne peut qu’empirer les choses. À cet égard, il est remarquable d’observer la qualité du travail du journal israélien Haaretz, qui, malgré le traumatisme infligé aux Israéliens par les attaques du Hamas, continue de faire son travail d’investigation et d’analyse des dérives du pouvoir à Tel-Aviv.
À l’inverse, le débat médiatique français brille par sa nullité. Et sa dangerosité. Sur les chaînes de télévision notamment, les incendiaires sont de sortis. La parole des idéologues, pourvu qu’elle claque et blesse, est mise au même niveau, voire survalorisée par rapport à celle des personnes compétentes qui documentent patiemment depuis des années ce qui est en train de se passer.
Or ce règne des opinions ne vient pas de nulle part. Il n’est pas non plus inéluctable. Il est rendu possible par l’état catastrophique de notre écosystème : la concentration des médias dans les mains de quelques milliardaires ne peut que conduire à ces dérives. Ce qui compte aux yeux d’un Bolloré, qui étend son progressivement son emprise sur le secteur, n’est pas la rentabilité de son groupe, encore moins le droit de savoir, mais le développement de son influence et la diffusion des idées xénophobes et racistes. Il mène une bataille culturelle d’autant plus toxique qu’elle vient renforcer des forces politiques d’extrême droite aux portes du pouvoir.
Dans un monde sans repères, nous n’avons pas besoin d’invectives mais d’informations. Notre utilité sociale, en tant que journalistes, n’est pas d’attiser les haines, mais, tout au contraire, d’apporter de la clarté et de la raison au débat public, de lutter contre les agendas cachés, les fausses nouvelles et les instrumentalisations d’où qu’elles viennent. Les faits contre les opinions, le sens contre la confusion : tels sont nos guides pour permettre aux lecteurs de comprendre le monde qui l’entoure, d’y trouver leur place et d’y agir en tant que citoyens. Pour qu’une réelle confiance se noue, la garantie d’une information libre de toute interférence économique et politique est un prérequis.
Réformer notre secteur en profondeur est une priorité. À l’instigation d’Emmanuel Macron, qui n’a eu de cesse de mettre les journalistes à distance depuis 2017, des états généraux de l’information ont été lancés le 3 octobre. Mais, comme nous avons eu l’occasion de l’écrire, nous estimons qu’il n’y a rien à attendre d’une grosse machine dont tout semble avoir été fait pour qu’elle s’enlise – des objectifs trop larges et flous, des acteurs insuffisamment représentatifs et des intérêts trop divergents pour espérer que le principe d’indépendance que nous défendons à Mediapart s’en trouve renforcé.
C’est pourquoi, à l’initiative du Fonds pour une presse libre, 80 médias et organisations, parmi lesquels Mediapart, ont décidé d’unir leur force en offrant aux lecteurs un agenda alternatif à l’offre présidentielle en organisant des états généraux de la presse indépendante.
Dans notre diversité, nous partageons la même conviction que d’autres propositions éditoriales et professionnelles existent, de la protection du secret des sources des journalistes à levée du secret des affaires en passant par la lutte contre les procès-baillons, la reconnaissance juridique des sociétés de journalistes, le droit d’agrément et de révocation des responsables de rédaction par les journalistes, la lutte contre la concentration des médias, la réforme de la loi de 1986 sur l’audiovisuel, la création d’un délit de censure et la réforme des aides publiques en les conditionnant à l’indépendance des médias.
Vidéo YouTube : Pour des États généraux de la presse indépendante
Pour en parler, nous vous donnons rendez-vous jeudi 30 novembre, de 17h30 à 22h, à Paris, à l’Espace Reuilly dans le XIIe arrondissement, lors d’une réunion publique que nous souhaitons la plus mobilisatrice possible. Nous y appellerons à libérer l’information des pouvoirs politiques, des médias de la haine et des milliardaires. Le programme est en train d’être affiné : soyez sûr·es d’y trouver non seulement des débats de qualité mais aussi des raisons d’espérer. Car, au-delà des dysfonctionnements de notre secteur, nous vous présenterons une vingtaine de mesures de nature à changer rapidement la donne. Vous pourrez ensuite les relayer chacun•e de votre côté, auprès de vos élu·es et de vos ami·es.
Cet événement sera retransmis en direct et en streaming vidéo sur Mediapart et les autres médias partenaires. Il sera suivi d’autres réunions publiques à Strasbourg, Marseille, Bordeaux, Lyon et Clermont-Ferrand notamment. Nous avons des raisons d’espérer, aussi, car nous sommes nombreux : le réseau des médias que nous tissons, dans sa pluralité, est dense et inventif. À distance d’une presse mainstream, nous nous reconnaissons dans notre attachement à notre indépendance de tous les pouvoirs et savons que nous pouvons compter sur l’engagement de nos lecteurs. Les réservations sont d’ores et déjà ouvertes : inscrivez-vous (en cliquant ici [1]) ! L’entrée est gratuite mais l’inscription obligatoire pour organiser au mieux votre venue.
Carine Fouteau, journaliste