Au rythme d’émanations actuelles de GES, le franchissement de la limite de 1.5°C devient quasi inévitable. « Il reste une quantité relativement faible d’émissions de carbone autorisées — connue sous le nom de « budget carbone » — si l’on veut limiter le réchauffement climatique à 1,5C, l’ambition de l’Accord de Paris. […] Comme le montre la couverture par Carbon Brief du rapport sur les écarts d’émissions du Programme des Nations Unies pour l’environnement, au début de l’année 2023, le budget carbone restant pour avoir une chance sur deux de maintenir les températures à 1,5°C n’était que d’environ 250 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2), ce qui représente environ six années d’émissions actuelles. » (DeBriefed, Carbon Brief, 24/11/23) :
La preuve argumentée de la faillite du meilleur capitalisme vert sans capture ni séquestration
C’est aussi l’occasion où certaines grandes ONG du climat publient leurs propres évaluations de l’état des lieux. Le pessimisme du quatrième rapport annuel 2023 du State of Climate Action est en effet systématique sauf pour les ventes de véhicules électriques… elles-mêmes problématiques comme piler du nouvel extractivisme du tout-électrique. N’ayons pas peur des mots. Le constat de ce rapport reflète la faillite irrémédiable du meilleur réformisme capitaliste conséquent avec les cibles du GIEC et sans la pirouette populaire auprès des grands de ce monde de la capture et de la séquestration du CO2 :
Le rapport de cette année sur l’état de l’action climatique constate que les progrès accomplis pour combler le fossé mondial en matière d’action climatique restent terriblement insuffisants : 41 des 42 indicateurs évalués ne sont pas en voie d’atteindre leurs objectifs pour 2030. Pour plus de la moitié de ces indicateurs, les progrès sont loin d’être satisfaisants, de sorte que les efforts déployés récemment doivent être multipliés par deux au moins au cours de la présente décennie. Pire encore, six autres indicateurs vont complètement dans la mauvaise direction.
Parmi ces retardataires, les efforts visant à mettre fin au financement public des combustibles fossiles, à réduire considérablement la déforestation et à étendre les systèmes de tarification du carbone ont connu les reculs les plus importants en une seule année, par rapport aux tendances récentes. En 2021, par exemple, le financement public des combustibles fossiles a fortement augmenté, les subventions publiques, en particulier, ayant presque doublé par rapport à 2020 pour atteindre les niveaux les plus élevés depuis près d’une décennie. En 2022, la déforestation a légèrement augmenté pour atteindre 5,8 millions d’hectares (Mha) dans le monde, soit une perte de forêts supérieure à la taille de la Croatie en une seule année.
Mais au milieu de ces mauvaises nouvelles, plusieurs points positifs soulignent la possibilité d’un changement rapide. Au cours des cinq dernières années, la part des véhicules électriques dans les ventes de voitures particulières a connu une croissance exponentielle à un taux annuel moyen de 65 %, passant de 1,6 % des ventes en 2018 à 10 % des ventes en 2022. Pour la première fois dans cette série de rapports, de tels progrès placent cet indicateur sur la bonne voie pour 2030.
Les efforts mondiaux vont dans la bonne direction à un rythme prometteur, bien qu’encore insuffisant, pour six autres indicateurs et, avec le soutien approprié, certains pourraient bientôt connaître des changements exponentiels. Et parmi tous les indicateurs qui vont dans la bonne direction, ceux qui se concentrent sur l’augmentation de la divulgation obligatoire des risques climatiques par les entreprises, les ventes de camions électriques et la part des VE dans le parc de voitures particulières ont enregistré les gains les plus importants en une seule année, par rapport aux tendances récentes.
Il n’en reste pas moins qu’une accélération considérable des efforts serait nécessaire dans tous les secteurs pour être sur la bonne voie d’ici à 2030. Par exemple, le monde doit
· Accroître considérablement la croissance de l’énergie solaire et éolienne. La part de ces deux technologies dans la production d’électricité a augmenté en moyenne de 14 % par an ces dernières années, mais elle doit atteindre 24 % pour être sur la bonne voie en 2030.
· Éliminer le charbon de la production d’électricité sept fois plus vite qu’actuellement. Cela équivaut à la mise hors service d’environ 240 centrales électriques au charbon de taille moyenne chaque année jusqu’en 2030. La poursuite de la construction de centrales au charbon augmentera le nombre de centrales qui devront être fermées dans les années à venir.
· Multiplier par six la couverture des infrastructures de transport rapide. Cela équivaut à construire des systèmes de transport en commun environ trois fois plus grands que le réseau de rails de métro, de voies de bus et de voies de métro léger de la ville de New York chaque année au cours de cette décennie.
· Le taux annuel de déforestation - qui équivaut à la déforestation de 15 terrains de football par minute en 2022 - doit être réduit quatre fois plus rapidement au cours de cette décennie.
· Passer huit fois plus rapidement à des régimes alimentaires plus sains et plus durables en réduisant la consommation de viande de vache, de chèvre et de mouton par habitant à environ deux portions par semaine ou moins dans les régions à forte consommation (Amériques, Europe et Océanie) d’ici à 2030. Ce changement ne nécessite pas de réduire la consommation des populations qui consomment déjà moins que ce niveau cible, en particulier dans les pays à faible revenu où une augmentation modeste de la consommation peut améliorer la nutrition.
Il est bien regrettable que ces fervents réformistes du capitalisme se laissent happer par le piège des véhicules électriques. Ceux-ci, avec la prolifération des énergies renouvelables courant après la croissance, sont au cœur du foisonnement des mines à ciel ouvert et sont la garantie de la continuation de l’énergivore étalement urbain. Heureusement, certains experts commencent à faire retentir l’alarme (Valérie Simard, Miracle ou mirage, la voiture électrique ?, La Presse, 29/10/23). La journaliste reproche à l’auteur du livre recensé de ne pas tenir compte de la spécificité hydroélectrique québécoise. Le Québec avec quelques autres provinces ou états des ÉU et quelques pays comme la Norvège, le Brésil ou la Nouvelle-Zélande sont l’exception qui confirme la règle mondiale de la prédominance des carburants fossiles même pour la production d’électricité et pas seulement pour l’ensemble de la consommation énergétique où ils comptent pour environ 80% surtout à cause des transports. Pour la seule production électrique, ces carburants comptent mondialement à ce jour pour 60% du total, dont 35% pour le charbon, ce à quoi il faut ajouter 10% pour le nucléaire :
La catégorie manquante est « pétrole (oil) »
Nadja Popovich, How Electricity Is Changing Around the World, New York Times, 20/11/23
La réalité fait fi de la vantardise prétentieuse de l’électricité propre d’ici 2035 par les ÉU (The Economist, Joe Biden’s climate-friendly energy revolution, 20/02/21), tout en oubliant le nucléaire, et même du gaz naturel dit propre, pourtant essentiellement du méthane qui fuit de toutes parts (Équiterre, Trois mythes sur le gaz naturel, 31/03/23) dont la contribution reste inférieure à celle du charbon. L’analyse du New York Times fait la part belle aux pays du vieil impérialisme pour lesquels les énergies fossiles produisant de l’électricité vont en décroissant et les autres, en particulier la Chine ou l’Inde mais aussi l’Indonésie et le Mexique, en croissant. Ce constat grossier oublie, d’un, que les premiers ont exporté vers les seconds leur sale et super-exploiteuse production manufacturière dont les produits sont ensuite importés, de deux, que les seconds réclament le droit, même si c’est à tort et finalement au détriment de leurs peuple, d’imiter le même type de croissance consumériste que les premiers. Quant à la bonne nouvelle de « l’augmentation de la divulgation obligatoire des risques climatiques par les entreprises », on reste pantois face à cet écoblanchiment dénoncé même par les Nations unies (The Economist, The UN takes on corporate greenwashing, 10/11/22).
Le cynique jovialisme de la capture-séquestrations et de la géo-ingénierie des grands de ce monde
Ce froid constat n’empêche pas les technophiles de jovialiser (David Gelles, Joy in action, Climate Forward - New York Times, 21/11/23) ni les grands décideurs de ce monde de miser encore et encore sur les COP annuels qui débouchent toujours sur des engagements qui ne mènent nulle part. Encore cette fois-ci, pour la COP28, l’optimisme de circonstance est au rendez-vous. « La première consiste à réduire les émissions de méthane, un gaz à effet de serre (GES) négligé. Le deuxième est la nécessité de combler les énormes lacunes du financement de la lutte contre le changement climatique. Enfin, la troisième est une bataille idéologique sur la manière et la rapidité de mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles. Les perspectives de progrès significatifs peuvent être résumées comme étant respectivement bonnes, mauvaises et laides. » (The Economist, Three climate fights will dominate COP28, 16/11/23). On vante le gaz naturel comme une énergie de transition malgré que sa portion grandissante issue de la technologie du fracking émet plus de méthane : « L’ampleur des fuites de méthane associées à la fracturation hydraulique est incertaine, et certains éléments indiquent que ces fuites peuvent annuler tout avantage du gaz naturel en termes d’émissions de gaz à effet de serre par rapport à d’autres combustibles fossiles » (Wikipedia, Fracking, visité le 25/11/23). Pour sauver la face, on abondera minimalement le fonds « pertes et préjudices » décidé in extremis à la COP27 mais « l’objectif des pays développés de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 n’a pas encore été atteint » (Nations-Unies, La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds « pertes et préjudices » pour les pays vulnérables, 21/11/22) alors que cet objectif a été décidé en 2010.
Quant à s’engager pour un « phase out » et non pas un « phase down » des hydrocarbures, la résistance sera plus que forte malgré la popularité grandissante des technologies de capture et séquestration du CO2 qui a permis de créer le concept passe-partout des hydrocarbures « abated » (The Economist – Special Report, Carbon-dioxide removal — The new economy net zero needs, 25/11/23), et pourquoi pas sur la géo-ingénierie de blocage du rayonnement solaire (The Economist, Solar geoengineering is becoming a respectable idea, 22/11/23). Ce renouveau style ancien servi à la moderne se développerait sous la houlette de marchés du carbone perfectionnés et revigorés remplaçant les « offsets » désormais dénoncés et rejetés (Euronews.green, Community conflict and vague predictions : The five biggest reasons carbon offsetting schemes fail, 1/10/23) par des « removals » tout aussi problématiques monétisant les solutions « nature based » c’est-à-dire la capture naturel du CO2 telle la croissance d’une forêt. Même le dossier de The Economist admet que toutes ces technologies sont de monétaires et spatiaux gargantuas rehaussés d’une bonne dose de science-fiction technologique. Ajoutons-y une dimension ubuesque. Par exemple, The Economist nous apprend que la pétrolière étatsunienne Occidental a racheté une entreprise canadienne à l’avant-garde de la nouvelle technologie à la mode, la capture directe de l’air pour en extraire le CO2, afin de l’injecter dans ces champs pétroliers en fin de vie du Texas… pour en extraire davantage de pétrole. Plus cynique, tu meurs.
Bien distinguer la responsabilité du 1% mais aussi du 10%, et ensuite départager le 40% du 50%
Pour ne pas s’engoncer sur le chemin cul-de-sac du tout-électrique se superposant à un lent déclin fossile sur un horizon infini afin de rentabiliser les réserves de gaz et de pétrole, y compris celles à encore découvrir, ce qui nécessite une ruineuse et très risquée géo-ingénierie pour ne pas cuire, que faire ? Le courant de pensée écosocialiste préconise, avant de se lancer tête baissée dans la production d’énergie renouvelable qui court après la croissance comme un chien après sa queue, de d’abord réduire drastiquement la consommation d’énergie par personne, par la sobriété et l’efficacité énergétiques, sans aucunement réduire le bien-être général qu’il ne faut pas confondre avec niveau de vie compris comme niveau de consommation. Pour passer la rampe, cette stratégie comporte un envers redistributif et un revers de révolution du mode de vie, les deux côtés de la médaille exigeant une révolution des rapports sociaux et politiques.
Un très récent rapport d’Oxfam et du Stockholm Environment Institute établit qu’existe une « grande fracture du carbone » : « les 1 % les plus riches sont responsables de plus d’émissions de carbone que les 66 % les plus pauvres. […] Le rapport montre qu’en 2019 — l’année la plus récente pour laquelle il existe des données complètes — les pays à haut revenu (principalement dans le nord de la planète) étaient responsables de 40 % des émissions mondiales de CO2 liées à la consommation, tandis que la contribution des pays à faible revenu (principalement dans le sud de la planète) était négligeable, de l’ordre de 0,4 %. […] L’inégalité à l’intérieur des pays est un problème moins discuté mais qui se développe plus rapidement. Les milliardaires sont encore très majoritairement blancs, mâles et basés aux États-Unis et en Europe, mais les membres de cette classe influente de super-riches se trouvent de plus en plus dans d’autres parties du monde. Les millionnaires sont encore plus dispersés » (Jonathan Watts, Richest 1% account for more carbon emissions than poorest 66%, report says, The Guardian, 20/11/23).
Ce n’est pas non plus seulement un problème de super-riches, de 1%. « Dans de nombreux pays, les 10 % de personnes les plus riches sont à l’origine de 40 fois plus d’émissions de carbone liées au réchauffement climatique que les 10 % les plus pauvres de leurs concitoyens. […] Les 10 % les plus riches du monde englobent la plupart des classes moyennes des pays développés, c’est-à-dire toute personne dont le salaire annuel est supérieur à environ 40 000 dollars [US]. Le mode de vie somptueux des très riches — les 1 % — attire l’attention. Mais ces 10 % sont responsables de la moitié des émissions mondiales, ce qui rend indispensables leur apport pour mettre fin à la crise climatique. […] Lorsque les négociations sur le climat ont débuté dans les années 1990, la plupart des inégalités en matière d’émissions de carbone se situaient entre les pays riches et les pays pauvres. Trois décennies plus tard, la situation s’est inversée. Aujourd’hui, l’inégalité des émissions entre les riches et les pauvres existe surtout à l’intérieur des pays. […] L’inégalité des émissions de carbone entre les pays représentait les deux tiers de l’inégalité totale en 1990, alors qu’aujourd’hui, les deux tiers de l’inégalité des émissions de carbone se produisent à l’intérieur des nations.
Cela s’explique par le fait que les émissions des pays en développement rapide, tels que la Chine, se sont rapprochées de celles des pays riches au cours des dernières décennies, réduisant ainsi la différence entre les nations. L’autre facteur clé […] est l’inégalité croissante des revenus, en particulier dans les pays du Sud. […] Au niveau mondial, les 10 % les plus riches représentent 770 millions de personnes, dont près des deux tiers se trouvent dans des pays à revenu élevé. » Plus précisément, « [l]e transport, en particulier l’utilisation de la voiture, est un facteur majeur des émissions élevées des 10 % les plus riches, ces émissions étant 20 à 40 fois plus élevées que les émissions de transport des 10 % les plus pauvres dans les pays analysés. Aux États-Unis et au Canada, le transport routier représente environ un tiers de l’empreinte des 10 % les plus riches. Les émissions de transport des 10 % les plus riches sont identiques à l’empreinte de transport des 70 % les plus pauvres de la population dans ces pays. Un autre facteur important est constitué par les émissions incorporées dans les biens que les gens achètent, tels que les meubles et l’électronique. Ces émissions sont 20 à 50 fois plus élevées pour les 10 % les plus riches et représentent environ un tiers des émissions dans la plupart des pays. » (Damian Carrington, Revealed : the huge climate impact of the middle classes, The Guardian, 20/11/23).
« L’inégalité est si grande que les 50 % de la population mondiale qui gagnent le moins, soit 4 milliards de personnes, ne représentent que 12 % des émissions totales. » Où la plupart d’entre eux et elles vivent-elles ? « La modélisation du climat à partir de 2020 suggère que d’ici un demi-siècle, environ 30 % de la population mondiale prévue — à moins qu’elle ne soit forcée de se déplacer — vivra dans des endroits où la température moyenne sera supérieure à 29°C. C’est une chaleur insupportable. À l’heure actuelle, pas plus de 1 % de la surface terrestre est aussi chaude, et il s’agit principalement de parties inhabitées du Sahara. […] Même si le tiers de la population mondiale qui gagne le moins, soit plus de 2,6 milliards de personnes, parvenait à dépasser le seuil de pauvreté de 3,2 dollars US par jour, les émissions totales n’augmenteraient que de 5 %, soit un tiers des émissions des 1 % les plus riches. » Cette situation reflète « la triple inégalité qui définit l’équation climatique mondiale : la disparité dans la responsabilité de l’apparition du problème, la disparité dans l’expérience des impacts de la crise climatique et la disparité dans les ressources disponibles pour l’atténuation et l’adaptation » (Adam Tooze, The climate emergency really is a new type of crisis – consider the ‘triple inequality’ at the heart of it, The Guardian, 23/11/23).
Redistribution radicale et abandon du duo auto-bungalow au sein du capitalisme est une impasse
Que proposent de faire les auteurs de ce rapport ? « « Il ne suffira pas d’imposer des taxes sur le carbone, car les riches peuvent essentiellement se permettre de payer le montant supplémentaire, alors que les pauvres seraient plus touchés » » ce qui entraîne un mouvement de style « gilets jaunes » de gens à revenu modeste qui faute d’alternatives de transport en commun n’ont pas d’autres choix que l’automobile. Un autre auteur « a noté qu’un impôt progressif sur la fortune « relativement modeste » de 1,5 % sur les personnes possédant 100 millions de dollars ou plus d’actifs - 0,001 % de la population mondiale - permettrait de collecter 295 milliards de dollars par an. Ce montant est similaire à celui nécessaire pour protéger la population mondiale des effets croissants de la crise climatique. Un groupe de travail international sur la fiscalité devrait être créé à l’occasion de la COP28 afin de promouvoir de nouvelles taxes sur le climat. Il examinera les taxes sur le patrimoine, les combustibles fossiles, le transport maritime, l’aviation et les transactions financières. » (Damian Carrington, Revealed : the huge climate impact of the middle classes, The Guardian, 20/11/23).
Est-ce que ça serait suffisant pour révolutionner le mode de vie de toutes et tous ? Tant les partisans de l’ancien extractivisme des hydrocarbures que ceux du nouvel tout-électrique, qu’en pratique le dogme de la croissance combine, « considèrent comme acquis que le mode de vie consumériste est essentiel au bien-être des sociétés riches et constitue l’idéal auquel les économies moins développées devraient aspirer. » Les partisans du capitalisme vert prétendent que l’on peut déconnecter croissance du PIB et augmentation des GES mais « …les preuves, soigneusement examinées dans des rapports récents du Bureau européen de l’environnement et de l’Agence européenne pour l’environnement, ne confirment pas l’affirmation selon laquelle les technologies vertes permettront de dissocier la croissance de l’augmentation des émissions de carbone. » Quoique « [u]ne certaine croissance économique sera […] nécessaire dans des domaines tels que les énergies renouvelables, le logement, les soins et l’éducation […] il faut remettre en question la croyance selon laquelle la consommation durable impliquera toujours des sacrifices, au lieu d’améliorer le bien-être. Notre soi-disant « bonne vie » est, après tout, une cause majeure de stress et de mauvaise santé. […] Ses priorités commerciales ont forcé les gens à tout miser sur la recherche d’un emploi et le développement de leur carrière, ce qui n’empêche pas de nombreuses personnes d’être confrontées à des emplois et à des vies chroniquement insatisfaisants et précaires. »
Cette nouvelle vie de solidarité anticonsumériste passe certainement par « un mode de vie plus lent, moins centré sur le travail et plus orienté vers la communauté » qui fait la part belle à l’artisanat et au jardinage afin de tant revaloriser le travail manuel que de renouer la liaison perdue avec la terre-mère suite à la rupture métabolique entre l’humanité et la nature provoquée par l’exploitation capitaliste de l’un comme de l’autre. « Réduire notre dépendance à l’égard de la voiture et de l’avion est une priorité écologique incontournable. […] Dans les villes, le développement des transports publics et la réduction de la circulation automobile - déjà en cours dans toute l’Europe - rendront les espaces urbains à ceux qui y vivent. En résumé et radicalisé, il s’agit d’interdire ou plutôt de libérer le peuple-travailleur de la propriété privée de l’auto solo et du bungalow, de la consommation pétrie de publicité, de mode et d’obsolescence programmée, et leurs corps de l’obésité et autres maladies induites par le régime carné et la nourriture ultra-transformée (voir en annexe un condensé pour le Québec)
[Cette] transition vers [ce type de société] est rendue difficile, voire impossible dans le système actuel par les contraintes très considérables qui seraient imposées à la croissance et aux profits capitalistes. […] La portée du marché serait réduite et une économie plus décentralisée et participative serait encouragée et développée. Toutes ces initiatives se heurteront à une forte résistance de la part des entreprises et de leurs alliés au sein de l’establishment politique. Elles ne commenceront à progresser que si le soutien populaire en leur faveur devient si fort que les entreprises et les gouvernements n’ont d’autre choix que d’y céder. Compte tenu de la résistance de la plupart des gens à changer leur mode de vie habituel, il y a peu de chances que cela se produise à l’heure actuelle » (Kate Soper, Consumerism is the path to planetary ruin, but there are other ways to live, The Guardian, 23/11/23).
La lutte de classe internationaliste, soufflante mais vivante, reste l’alternative au catastrophisme
En rester là serait céder au catastrophisme menant inéluctablement au grand effondrement de la civilisation si ce n’est à la disparition de l’humanité bien que l’existence de la vie s’en tirerait comme l’ont démontré les grandes catastrophes de l’évolution du vivant sur terre magnifiquement vulgarisées par la série Ancien Earth de la BBC (NOVA, Ancien Earth, PBS). Après tout, la planète terre compte moins dans l’univers connu qu’un grain da sable sur une plage tropicale… mais pour l’instant, quels que soient les calculs probabilistes en sens contraire, elle seule supporte la vie et encore plus la vie complexe avec en pointe celle intelligente … capable de s’autodétruire. L’éditorial du Guardian sur le dossier « The Great Carbone Divide », pris de vertige, se replie sur des propositions de subventions et de taxes carbone modulés selon les revenus, soit des interventions respectant les lois du marché, dont la taxe carbone du Canada n’est pas tellement éloignée (Benjamin Shingler, Carbon tax change has Canadians asking about the program. Here’s how it’s supposed to work, CBC News, 2/11/23). Pourtant, l’analyse faite par ce dossier du Guardian fournit les éléments d’une porte de sortie qui, bien sûr, n’a rien de facile. On pourrait intituler cette porte de lutte de classe internationaliste.
Les auteurs de la catastrophe annoncée sont ce 1%, disons la grande bourgeoisie, avec la connivence du 10%, disons la petite et moyenne bourgeoisie mais aussi l’« aristocratie ouvrière » fondement de cette bureaucratie contrôlant les appareils syndicaux, tâchant d’imiter à rabais le style de vie du 1% pour leur plus grand malheur. Le 50% le plus pauvre, la grande majorité de la population des pays dit du Sud et une minorité grandissante au Nord, a tout à gagner et rien à perdre à rejeter le consumérisme pour une société de sobriété solidaire. Par contre, elle est accaparée par sa lutte pour la survie, donc sujette au clientélisme au discours populiste, et elle est confrontée à des gouvernements certes sans large base sociale mais soutenus par l’une ou l’autre puissance impérialiste ou sous-impérialiste. L’essoufflement du vieil impérialisme sous la gouverne des ÉU depuis la grande récession de 2008-09 a créé un espace pour la dite multipolarité des BRICS et consorts conduits par la Chine résultant en nouvelles tentations campistes tant pour les peuples que pour la gauche. Ce soutien a conféré aux classes dirigeantes nationales des pays du Sud les moyens de soudoyer les uns et de réprimer les autres.
À l’image du 40% de la population mondiale coincé entre le 10% le plus riche et le 50% le plus pauvre existe un grand nombre de pays à revenu moyen particulièrement en Asie du Sud-Est, dans le MENA (Moyen-Orient et Afrique du nord), en Amérique du Sud et en Europe de l’Est. Au sein de cette zone grise, on trouve un éventail de pays comprenant une forte proportion de la population qui ne possédant rien, la révolution climatique ne la priverait de rien. Mais y réside aussi une forte proportion suffisamment au-dessus du minimum vital pour être doté d’un degré de liberté suffisant pour participer à une lutte sociale soutenue mais apeurée par le changement. Ce sont ces pays mi-chaire mi-poisson qui ont vu les vagues roses de l’Amérique du Sud et les soulèvements anti-misère et anti-répression des dit « printemps » amorcés en 2010-11 et repris en vagues depuis lors, inspirés par leur jeunesse sans avenir et souvent par les femmes incapables de nourrir les leurs. Ont émergé de ces luttes la contradiction entre l’ampleur de ces soulèvements, parfois dans la durée, et leur aboutissement dans les cul-de-sac du pire, nationalismes militaristes ou fondamentalismes. Mais dans le Kurdistan syrien (Rojava), en Birmanie où l’armée assassine recule, la lumière au bout du tunnel n’est pas éteinte et ailleurs le feu couve sous les décombres.
L’ampleur de leur mobilisation récurrente, leur endurance — on pense à la Palestine, aux peuples autochtones du Sud et du Nord — interpellent et secouent la torpeur de vieillissants peuples du Nord tentés de se replier derrière les murs de leurs frontières pour préserver de vieux et évanescents acquis de luttes anciennes du temps des dite trente glorieuses. La droite anti-immigrante a beau jeu de valoriser la culture de l’auto solo et du bungalow, et parfois comme déguisement de gauche les services publics et programmes sociaux en voie de privatisation, ultime bastion du rejet de la révolution climatique par ce 40% mondial toujours majoritaire au Nord. C’est là où se loge la classe ouvrière organisée et jouissant de degrés de liberté nécessaires pour la lutte gréviste. Ce qui explique que ne s’éteignent pas, loin de là, les grandes mobilisations d’antan telles qu’on en a vu en Europe et en Amérique du Nord depuis notamment la grande récession 2008-09 malgré que leur caractère sporadique et que surtout leurs défaites systématiques se traduisent en renforcement des droites illébérales et extrêmes.
En ce moment, se lève au Québec le plus grand Front commun du secteur public, plus de 10% de la population en emploi et comprenant 75% de femmes, depuis celui prérévolutionnaire de 1972 mais encore à des années-lumière de celui-ci. Ce Front s’est mobilisé avec 100 000 mille syndiquées dans la rue, avec des lignes de piquetage bondées et dynamiques. Le Front et même les secteurs hors Front se sont munis d’un mandat de grève générale illimitée décidée à 95%. Mais sans significative gauche syndicale organisée en son sein, avec cependant un parti qui l’appuie même si ce n’est que passivement, les directions syndicales bureaucratisées pourraient étouffer cette mobilisation comme elles l’ont fait systématiquement dans le passé. Cette lutte, comme celles en général du 40%, reste déconnectée de la lutte climatique et de celles contre les guerres notamment ukrainienne et palestinienne. Il est tragique de constater que les deux grandes mobilisations de l’heure au Québec, du Front commun et celle pour le cessez-le-feu en Palestine, l’une se déroulant en français, l’autre en anglais à Montréal, s’ignorent mutuellement. Cette internationalisation reste à faire. Tout au plus peut-on mentionner une humble tentative des Travailleuses et Travailleurs pour la justice climatique (TJC) de lier lutte du Front commun et lutte climatique avec un tract sur les lignes de piquetage qui est bien accueilli :
Tract Notre lutte du secteur public est bien sûr une lutte pour des salaires et des conditions de travail décents. Mais c’est aussi une lutte pour la reconnaissance des activités qui s’appliquent à « prendre soin ». Prendre soin des enfants, des jeunes, des malades et des personnes handicapées et âgées ; prendre le temps de transmettre, d’accueillir et de soutenir. Dans notre société capitaliste et sexiste, cette nécessité de prendre soin est trop souvent dévalorisée, jugée « improductive », et, pour cette raison, confiée surtout aux femmes. Pourtant, ce travail, qui n’a rien de naturellement féminin, est ce dont les humains et notre habitat terrestre ont le plus besoin. Pour faire face aux catastrophes écologiques, nous n’avons pas besoin de plus de marchandises : nous avons besoin de plus de solidarité. Revaloriser les services publics, c’est revaloriser tout ce qui permet à la vie de se perpétuer, tous ces liens dont nous dépendons
Dans les faits, nos emplois sont déjà favorables au climat. L’écrasante majorité des emplois du secteur public ne requièrent que peu de carburants fossiles et d’électricité. Ils carburent à l’énergie humaine. Cette énergie enseignante et soignante contribue à faire reculer la compétition et la solitude qui en découle. Au lieu de passer par la consommation, nos emplois créent du sens par des rapports humains forts et souvent durables. Qui ne se souvient pas de tel ou tel enseignant, de telle ou telle soignante, de telle ou telle travailleuse sociale. Pour réaliser son plein potentiel, notre travail doit nous permettre de vivre et non de survivre. Nos conditions de travail doivent nous donner le temps de bien enseigner, de bien soigner. Pour continuer à prendre soin du monde, il faut que le monde continue. Pour que le monde continue, il faut que nous en prenions soin.
Vive le Front commun !
Vive les services publics !
Vive la lutte climatique !
Les travailleuses et travailleurs pour la justice climatique
Marc Bonhomme, 26 novembre 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
Annexe : Un condensé d’une politique anti-extractiviste de sobriété solidaire pour le Québec
· L’interdiction des véhicules privés des ménages d’ici dix ans en faveur d’un système de transport en commun gratuit, fréquent, confortable, électrique et partout jusqu’au moindre village, avec un complément d’autopartage communautaire.
· L’interdiction immédiate de la construction de maisons unifamiliales et en rangées en faveur de logements collectifs écoénergétiques (consommation d’énergie quasi zéro) dont au moins 50% seraient sociaux (loyer en fonction du revenu du ménage) dans un contexte urbain de services de proximité, d’agriculture urbaine et de parcs nature.
· La disparition des deux mamelles de l’endettement des ménages, logements et véhicules, réduira la consommation de masse ce à quoi s’ajoutera l’obligation d’ateliers de réparations sur la base de garantis déterminées socialement pour mettre fin à l’obsolescence programmée.
· Les GES générés par la production et le transport des marchandises seront encore réduits par les circuits courts de la souveraineté alimentaire facilitée par la réduction de l’alimentation carnée, par le recours aux chemins de fer socialisés pour le transport à longue distance tant des marchandises que des gens, et par l’électrification du transport à courte distance.
· La mise à niveau écoénergétique à consommation quasi zéro de tous les bâtiments viables en dix ans sur la base du principe « négawatt » en commençant par ceux climatisés aux énergies fossiles. Ce qui suppose de ne pas tomber dans le piège énergivore de la connectivité 5G. Ce gisement de négawatts est plus suffisant pour l’électrification du transport.
· La transformation de l’agro-industrie et la foresterie commerciale en bio-agriculture et en bio-foresterie pour regénérer les sols les rendant capables de capture et séquestration naturelles de GES.