Ce mode de transport contribue à hauteur d’environ 20 % aux émissions élevées de CO2. Il est évident qu’au vu de la catastrophe climatique, cela ne peut pas continuer ainsi. Si l’on veut une alternative sociale et écologique, il faut d’abord se pencher sur la situation actuelle du secteur automobile allemand. Et celle-ci semble aujourd’hui assez inconfortable. Les équipementiers ne sont pas les seuls à connaître une vague de licenciements, les grands constructeurs rencontrent eux aussi de plus en plus de difficultés. Quelles en sont les causes ?
Industrie automobile allemande : les cause de la situation de crise
Avant toute chose, il n’y a pas d’explication unique, mais des raisons multiples : premièrement, le centre de gravité du marché automobile mondial s’est déplacé vers l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Mais ce déplacement a été suivi, avec un certain décalage, par une partie importante de la production. C’est ce à quoi nous assistons actuellement. L’Europe devient ainsi un centre de production subordonné par rapport à l’Asie de l’Est/Sud-Est et à l’Amérique du Nord. Cela affecte particulièrement l’Allemagne. Depuis 2016, les exportations annuelles de voitures produites en Allemagne ont chuté de 40 %, passant de 4,4 à 2,6 millions de véhicules. Au premier semestre 2023, le secteur a certes de nouveau exporté un peu plus de voitures neuves par rapport à la même période de l’année précédente. Mais on est loin des chiffres records, et les perspectives sont mauvaises. Ainsi, Mercedes-Benz a récemment décidé d’agrandir son usine de SUV à Tuscaloosa dans l’État d’Alabama. La version électrique du véhicule GLC, dont les ventes sont bonnes, ne serait alors plus importée d’Allemagne, à la différence du modèle à moteur traditionnel.
De manière générale, outre Mercedes, VW, BMW et Audi produisent de plus en plus de véhicules dans les zones où ils sont vendus. Cela a des conséquences négatives pour le « site de production Allemagne ». Deuxièmement, les constructeurs automobiles européens tentent d’optimiser leur marge de profit en délocalisant toujours plus leur production dans les pays à bas salaires d’Europe de l’Est.
La conséquence de ces deux premières tendances est que le nombre de voitures produites en Allemagne diminue sensiblement. Alors que dans les années 2010, la production automobile nationale se situait toujours dans une fourchette de 5 à 6 millions de voitures, elle ne sera plus que de 3,1 millions en 2021. Il est certes possible qu’en 2023, le nombre de voitures produites en Allemagne augmente par rapport à 2022, mais ce n’est pas certain.
La troisième raison qui explique la perte d’emplois dans le secteur automobile est le passage aux voitures électriques. Alors qu’un moteur à combustion est très compliqué et se compose d’environ 1000 pièces, un moteur électrique a une structure simple et ne comporte plus que 200 pièces environ. Plusieurs études prévoient une perte de 400 000 emplois pour cette seule raison.
Une quatrième raison de crise structurelle de l’industrie automobile allemande prend de plus en plus d’importance. Il s’agit de la concurrence internationale croissante, notamment dans le domaine des voitures électriques et de la numérisation. Dans ce domaine, les constructeurs allemands risquent d’être distancés par leurs concurrents. Au début de l’année, une étude du réputé cabinet d’analyse J.D. Power situé dans le Michigan a jeté une lumière crue sur la situation des groupes automobiles allemands. Il s’agissait d’évaluer la fiabilité des marques automobiles sur la base des défauts de production et des pannes constatées sur un total de cent véhicules. Selon cette étude, les constructeurs allemands se classent en queue de peloton en ce qui concerne la qualité de leurs véhicules. Seul BMW se situe juste au-dessus de la moyenne de la branche.
Les problèmes des constructeurs allemands sont déjà manifestes sur le plus grand marché automobile du monde, la Chine. Pour les ventes de véhicules électriques, qui prennent de plus en plus d’importance, les constructeurs locaux ont déjà une longueur d’avance. Dans le top dix des véhicules à batterie les plus vendus, on ne trouve plus aucun modèle allemand. La part de marché de VW dans le secteur des voitures électriques n’est désormais plus que d’environ deux pour cent, alors qu’elle est encore de 15 % pour les voitures à combustion. En revanche, le groupe chinois BYD est en tête du marché électrique, suivi par Tesla. Mais les constructeurs chinois veulent également conquérir le marché européen. Les groupes allemands risquent de perdre pied à moyen terme dans le domaine de l’électrification et surtout de la numérisation. Pour simplifier, il s’agit de placer de la manière la plus efficiente possible un maximum de logiciels dans les véhicules. Les constructeurs chinois et Tesla sont en tête dans ce domaine.
L’expert Stefan Bratzel du Center of Automotive Management (CAM) formule les choses avec une certaine retenue lorsqu’il dit : « Les constructeurs automobiles chinois sont désormais au moins à égalité avec leurs concurrents allemands et américains en termes d’innovation et de qualité ». A cela s’ajoute le fait que les modèles de voitures électriques chinoises sont nettement moins chers. Sur ce sujet, le patron de l’équipementier Marquardt a eu ces mots aussi clairs que concis : « Si je dois payer 25 000 euros pour une voiture électrique chinoise ou 40 000 pour une allemande, il est quand même assez facile de deviner ce que de nombreux clients choisiront ou devront choisir ».
Mais la situation ne change pas seulement pour les constructeurs automobiles allemands. Les syndicalistes et les défenseurs du climat sont eux aussi confrontés à un nouvel environnement. Ils doivent adapter leurs réponses et leur argumentation à la nouvelle situation. Dans ce qui suit, nous allons prendre l’exemple de Ford et de VW pour montrer à quel point la situation des salariés de l’industrie automobile allemande est devenue critique.
Le cas d’école de Ford Cologne : le cœur technologique est brisé
Ce que le personnel d’Opel a dû subir risque de devenir un modèle pour les salariés de Ford. Début 2023, les patrons de ce groupe ont déclaré que près de 3200 emplois seraient supprimés dans l’usine Ford de Cologne, soit près d’un quart des effectifs. Une réduction massive. Une raison importante en est que la production de la Ford-Fiesta, une voiture à combustion fabriquée jusqu’à présent à Cologne, doit être arrêtée encore en 2023 et remplacée par la production d’une voiture électrique. Mais d’autres menaces planent : les suppressions d’emplois devraient surtout toucher le centre de recherche et de développement de Cologne. Les activités de développement réalisées jusqu’à présent en Europe seront transférées aux États-Unis. Le cœur technologique de la marque européenne Ford est ainsi brisé et le site de Cologne est relégué au rang de simple atelier de fabrication substituable à volonté ailleurs en Europe. Cela augure mal de l’avenir.
Ces dernières années déjà, des milliers d’emplois ont été supprimés en plusieurs vagues chez Ford. Les comités d’entreprise ont toujours approuvé ces suppressions d’emplois. Ils espéraient en vain que cela permettrait de pérenniser les usines. Début 2022, les dirigeants de Ford ont mis en concurrence les sites de production européens de Sarrelouis et de Valence dans le cadre d’un appel d’offres. L’usine la plus rentable devait survivre, avec à la clé la perspective de produire une nouvelle voiture électrique. Un procédé incroyablement cynique. L’usine allemande de Sarrelouis a perdu, car elle a des coûts de production (salaires) plus élevés. Conséquence : la Ford Focus sera encore produite sur le site sarrois jusqu’en 2025. Ensuite, ce sera la fin. Les quelque 4600 employés de l’usine sarroise et les 2000 salariés des entreprises de sous-traitance se verront ainsi tirer le tapis sous les pieds.
Volkswagen se retrouve en situation de crise
Pendant des années, VW a été lun des premiers sur le marché automobile mondial et avait commencé à se hisser au rang de premier constructeur mondial. Entre-temps la situation a changé. Lors d’une réunion interne, le patron de la marque expliqué en ces termes la situation du groupe aux 2000 cadres dirigeants automobiles présents : « le toit brûle est en feu ». Et de poursuivre : « L’avenir de la marque est en jeu ». L’environnement dans lequel Volkswagen se trouve n’est « rien de moins qu’une tempête pure et simple ». Le contexte : les ventes ont chuté de manière dramatique sur le marché chinois, extrêmement important pour le groupe, et la situation risque également de devenir plus difficile en Europe. Ce qui est particulièrement problématique pour le groupe de Wolfsburg, c’est que les clients chinois sont gênés par les défauts des logiciels Volkswagen. Jusqu’à présent, Volkswagen a opté pour sa propre plateforme électrique « Modularer Elektrobaukasten » (MEB- « boîte électrique modulaire »). Le groupe cherche désormais des partenaires technologiques chinois pour l’aider à surmonter ses déficiences. Des coopérations existent déjà avec le constructeur de voitures électriques Xpeng et l’entreprise spécialisée dans la technologie Horizon Robotics.
Le fait que Volkswagen cherche des partenariats doit être considéré comme le signe d’un manque de confiance dans ses propres capacités et notamment dans ses compétences en matière de logiciels. Les mises en garde lancées par la direction de Volkswagen ont toutefois pour objectif premier d’augmenter rapidement les bénéfices. Actuellement, il est d’environ trois pour cent. Des concurrents comme Renault ou Toyota atteignent pour leur part plus de 6,5 pour cent. D’où les objectifs de rendement exagérément élevés des dirigeants de Volkswagen : 6,5 % pour la marque principale , une performance qui n’a jamais été atteinte jusqu’à présent. L’ensemble du groupe dit de volume (Volkswagen, Seat, Skoda) devrait atteindre 8 %, Audi une marge de 12 à 14 % et Porsche même 20 %.
Pour réaliser ces bénéfices, les marques devraient économiser plusieurs milliards d’euros. Le journal économique « Handelsblatt » cite un membre du conseil de surveillance qui déclare à ce sujet : « Pour ce qui concerne de bénéfices, faut faire plus ». Pour y parvenir, tout devra désormais être passé au crible, estiment les grands patrons de Volkswagen. Pour réduire les coûts, les grandes marques doivent proposer moins de modèles et de versions. Les usines doivent être en mesure de mieux exploiter leurs capacités, toutes marques confondues. Cela signifie qu’à l’avenir, des modèles de Skoda, Cupra et Volkswagen devraient pouvoir sortir de la même chaîne de production. L’usine principale de Wolfsburg devrait elle-même produire moins. Cela signifie que Volkswagen aura besoin de moins de main-d’œuvre à l’avenir. selon les affirmations officielles, tout cela pourrait encore être absorbé de manière « socialement acceptable » par le biais de la diminution normale de la pyramide des âges. Mais il n’est pas du tout certain qu’il en sera toujours ainsi.
Les craintes croissantes pour l’emploi deviennent une donnée politique permanente
Conséquence de ce scénario de crise, le secteur automobile connaît des craintes croissantes pour l’emploi. Elles seront à l’avenir une constante avec laquelle il faudra compter sur le plan politique. Quelle est la réponse des partis du monde politique et du syndicat IG Metall à cette situation ? L’exemple de Ford Saarlouis est éclairant. Le gouvernement du Land de Sarre espère que de nouvelles entreprises pourront s’installer sur le site de Ford à partir de 2025 et qu’elles reprendront alors le personnel de Ford. Mais d’où celles-ci pourraient-elles surgir comme par magie, c’est totalement nébuleux. Lors de la fermeture de l’usine Opel de Bochum, des illusions similaires avaient déjà été diffusées, mais elles avaient toutes été vouées à l’échec.
Malheureusement, le syndicat IG Metall n’a pas non plus de réponse. Il ne cesse certes d’appeler à l’élaboration d’une perspective pour l’emploi, mais ne peut lui-même donner aucune indication sur la forme qu’elle pourrait prendre. Alors, que faire ?
Billet à 9 euros : les chemins de fer débordés par la demande
Une poursuite pure et simple de la production automobile comme avant n’est plus envisageable au vu de la concurrence massive et de la surproduction. Ce serait avant tout une course à la catastrophe pour des raisons écologiques. Le transport individuel en voiture, que ce soit avec un moteur électrique ou à combustion, est l’un des principaux vecteurs de la destruction écologique. C’est pourquoi nous ne devons pas remplacer les véhicules à combustion par des véhicules électriques, comme le souhaitent les Grünen. Les bases matérielles pour cela n’existent d’ailleurs pas : ni place dans les villes, ni matières premières, ni énergies renouvelables en quantité suffisante. En revanche, il y a un grand besoin de développer les transports publics. C’est ce qu’ont démontré aussi bien l’expérience du billet à 9 euros que celui à 49 euros qui lui a succédé. Les chemins de fer, en particulier, ont été littéralement submergés par la demande de billets à 9 euros. Il est évident qu’il y a là un besoin et que le développement des transports publics de passagers pourrait constituer une alternative à l’utilisation de la voiture, préjudiciable au climat.
Reconversion de la production de l’industrie automobile vers le rail et les systèmes de bus - quelques conditions marginales
Le gouvernement fédéral lui-même a promis de doubler le nombre d’utilisateurs des transports publics d’ici 2030. Ceci nécessiterait déjà une augmentation massive du nombre de trains opérationnels. Si l’on voulait même remplacer une grande partie de l’ensemble du système anachronique de transport individuel en voiture par des transports publics, il faudrait même tripler le nombre de trains et de bus. On obtient ce résultat en divisant les kilomètres-voyageurs effectués chaque année actuellement en voiture par les kilomètres-voyageurs du transport par rail et par bus, puis en appliquant un taux d’occupation moyen comme pour le transport à longue distance. La manière dont on peut parvenir à un tel développement des transports publics de passagers dans un délai raisonnable semble à première vue peu claire. Le problème principal est qu’il n’existe pas de capacités suffisantes dans la petite industrie ferroviaire allemande, qui se résume essentiellement à Siemens Mobility et Alstom et qui compte à peine 53 100 employés directs. Si l’on ne considère que les salariés travaillant directement dans la construction de véhicules ferroviaires, ils ne sont même que 24 000. A titre de comparaison : dans l’industrie automobile, les constructeurs de véhicules comptaient en 2021 460 600 salarié.e.s selon les données du VDA (Association allemande des constructeurs automobiles). Ce chiffre est 19 fois plus élevé que celui des emplois directs dans la construction de véhicules ferroviaires. Cela signifie qu’il n’est pas possible de passer rapidement à un système de transport écologique avec un nombre aussi bas de travailleurs.
Toutefois, une grande partie de l’industrie automobile existante pourrait être reconvertie dans la production de véhicules ferroviaires. Au lieu de gros SUV électriques et de véhicules à combustion énergivores, Daimler, BMW, Volkswagen, Ford et leurs fournisseurs pourraient alors produire des équipements pour les transports publics, comme les trains ou les bus. Les ingénieurs et les ouvriers qui y travaillent possèdent des compétences élevées dans le façonnage de la tôle, le travail des métaux en général, l’utilisation des machines, l’assemblage et les techniques de commande, qui les rendent aptes à ces tâches. Ils ont en outre l’expérience des grands changements de production réguliers, car les ateliers de production de l’industrie automobile sont transformés tous les six à sept ans en moyenne pour accueillir de nouveaux modèles de série. Et ceux-ci peuvent varier considérablement d’un projet à l’autre. Cela englobe une transformation complète des unités de montage, une reprogrammation des robots et des machines de production. Pour les travailleurs, cela implique également des tâches différentes et des reconversions. Ces expériences et ces compétences peuvent être utilisées pour une reconversion de la production automobile vers les chemins de fer et les tramways.
Il y a évidemment des différences entre la construction de voitures et de wagons de chemin de fer. Ces derniers sont jusqu’à présent assemblés en parallèle dans les usines, alors que dans la construction automobile, les véhicules sont montés dans un flux sériel. Mais la production parallèle signifie également un impact plus important sur l’emploi dans l’industrie ferroviaire. Dans une publication de 2022, l’expert ferroviaire Knierim estime, sur la base de ses propres calculs, qu’un doublement du nombre de passagers nécessiterait une croissance de l’emploi de 50 à 78 % dans l’industrie ferroviaire. En chiffres, cela représente une augmentation de 200 000 à 300 000-355 000 personnes. Il convient de noter ici qu’un doublement du nombre de passagers peut encore être compensé dans une certaine mesure par une intensification de la cadence sur les lignes ferroviaires. Mais plus le secteur ferroviaire est appelé à croître, plus l’infrastructure de base doit être développée et plus l’impact sur l’emploi sera important. La petite industrie ferroviaire actuelle se heurte ici rapidement à ses limites. Cette étude montre qu’un développement rapide des chemins de fer actuels et des transports en commun ne peut être atteint que par une reconversion de la production des structures existantes des entreprises automobiles.
Socialisation et reconversion de la production
C’est notamment pour cette raison que le mouvement pour le climat devrait trouver un intérêt à s’opposer à la destruction des capacités de production chez Ford, Opel ou encore chez les sous-traitants automobiles. De façon réaliste, il faut bien constater que cette compréhension reste aujourd’hui limitée. Cette orientation doit encore être portée au sein du mouvement. Réciproquement, il faudrait pouvoir faire comprendre sans ambiguïté aux salarié.e.s de l’automobile que le mouvement pour le climat est favorable à la défense de ces emplois industriels, mais dans le cadre d’une reconversion de la production vers des biens de transport public. Un regard rétrospectif sur les débats et les protestations autour de Ford Saarlouis montre que ce positionnement est également important à l’égard du syndicat IG Metall. IG Metall aurait pu présenter aux salarié.e.s une perspective alternative pour laquelle il valait la peine de se battre : La production de moyens de transport public dans les anciennes usines automobiles placées sous contrôle public et socialisées de Sarrelouis et de Cologne. C’est une orientation politique qui doit être propagée et défendue avant même que la situation ne se dégrade. Mais elle ne peut prendre de consistance que dans une situation critique pour l’emploi, c’est-à-dire lorsqu’une grande usine du secteur est menacée. Alors, une mobilisation dynamique des protestations actives des travailleurs et des travailleuses pour la poursuite de l’activité et la reconversion de la production, accompagnée d’une solidarité importante de la part du mouvement pour le climat pourrait ébranler le front habituellement si ferme que forment ensemble gouvernement et capital.
Klaus Meier