La prison israélienne d’Ofer, en Cisjordanie.Crédit : Ammar Awad / Reuters
C’est leur fête hebdomadaire, déclarent des prisonniers libérés. Quatre prisonniers sont morts depuis le début de la guerre le 7 octobre, presque certainement sous les coups. Dix-neuf gardiens ayant participé à ces festivités pathologiques font l’objet d’une enquête, car ils sont soupçonnés d’avoir causé la mort d’un prisonnier.
Des centaines de Palestiniens détenus dans la bande de Gaza ont été maintenus ligotés et les yeux bandés 24 heures sur 24, et ils ont également été brutalement battus. Certains, peut-être même la plupart, n’ont aucun lien avec le Hamas. Certains d’entre eux - dont personne n’a pris la peine de préciser le nombre - sont morts en captivité sur la base de Sde Teiman.
Quelque 4 000 travailleurs gazaouis, arrêtés en Israël le 7 octobre sans avoir commis quoi que ce soit de répréhensible, sont également détenus dans des conditions inhumaines. Au moins deux d’entre eux sont morts. Et l’on a déjà plus que suffisamment écrit sur les détenus dépouillés de leurs vêtements et sur les photos humiliantes qui en ont été faites.
Dans cette terrible compétition autour de la dimension du mal, il n’y a pas de gagnants, il n’y a que des perdants. Mais il est inacceptable de parler jour et nuit des atrocités commises par le Hamas - les chroniqueurs rivalisent à qui trouvera les termes les plus péjoratifs pour qualifier cette organisation - tout en ignorant totalement le mal commis par Israël.
Il n’y a pas non plus de gagnants, seulement des perdants, dans la compétition sur la quantité de sang versé et la manière dont il est versé. Mais il est impossible d’ignorer l’horrible quantité de sang qui a été versée dans la bande de Gaza. Ce week-end, quelque 400 personnes ont été tuées en deux jours, dont une majorité d’enfants. Samedi, j’ai vu les photos du week-end prises à Al-Bureij et Nuseirat, avec notamment des enfants mourant sur le sol de l’hôpital Al-Aqsa à Deir al-Balah, et elles sont effroyables.
Le refus opposé par Israël à l’augmentation de l’aide humanitaire autorisée à Gaza, au mépris d’une décision du Conseil de sécurité de l’ONU, est également le signe d’une stratégie du mal.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, les voix du mal en Israël ont rehaussé la barre des propositions sataniques. Le journaliste Zvi Yehezkeli préconise de tuer 100 000 habitants de Gaza au cours d’une première frappe. Le général de division (de réserve) Giora Eiland a reconsidéré sa position et est passé de la proposition de répandre des maladies à Gaza à celle d’affamer ses habitants.
Même le nouveau prince charmant de la gauche, Yair Golan, qui est en train de gagner 12 sièges à la Knesset dans les sondages auprès de personnes qui se considèrent comme de beaux Israéliens, a expliqué aux Gazaouis, dans une interview au quotidien Yedioth Ahronoth, qu’« en ce qui nous concerne, vous pouvez mourir de faim. C’est tout à fait légitime ».
Pourtant, en dépit de tout cela, nous considérons le Hamas comme le seul monstre de la région, son chef comme le seul psychotique et seule la façon dont les otages israéliens sont retenus en otage par lui comme inhumaine. Il est impossible de ne pas être horrifié à l’idée du sort de nos otages, en particulier les malades et les personnes âgées. Mais il est également impossible de ne pas être horrifié par le sort des Palestiniens que nous maintenons ligotés et les yeux bandés depuis des semaines et des mois.
Israël n’a pas le droit de fixer des normes pour le mal alors que ses mains sont également souillées par la perversité. Ne parlons pas des massacres, de la famine et des déplacements massifs de population. Notre façon de traiter les prisonniers palestiniens aurait dû particulièrement bouleverser les Israéliens, ne serait-ce qu’en raison du danger que cela fait couriraux Israéliens détenus par le Hamas. Que pensera un membre du Hamas qui retient un Israélien en otage lorsqu’il apprendra que ses camarades sont entravés et battus sans relâche ?
Nous pouvons constater, en restant prudents, qu’au moins certains des Israéliens détenus par le Hamas sont mieux traités que les Palestiniens détenus par Israël. Lorsque les otages libérés Chen et Agam Goldstein ont raconté vendredi soir à Channel 12 News comment ils étaient traités par le Hamas et comment leurs ravisseurs les protégeaient avec leurs propres corps pendant les frappes aériennes israéliennes, ils ont été violemment attaqués sur les médias sociaux. Comment osent-ils dire la vérité ?
Le Hamas a perpétré une attaque barbare le 7 octobre. Il a tué et kidnappé aveuglément. Il n’y a pas de mots pour décrire sa brutalité, notamment le fait de retenir des dizaines de personnes âgées, de malades et d’enfants en otage pendant des mois dans des conditions insoutenables.
Mais est-ce que cela nous donne le droit d’agir de la même manière ? Oublions la morale. La violence d’Israël pendant la guerre et dans ses prisons contribuera-t-elle à faire avancer ses objectifs ? Le Hamas libérera-t-il ses otages plus rapidement si Israël maltraite les Palestiniens qu’il retient en otage ?
Gideon Levy