Le 16 juillet dernier, après 25 jours de lutte, les infirmières polonaises ont levé leur campement, installé devant le bureau du Premier ministre (lire Rouge n°2212 du 28 juin 2007 et voir ci-dessous). Le gouvernement ayant refusé de négocier, le Syndicat national des infirmières et sages femmes (Ozzpip), qui dirige la lutte, a pris la décision de plier « le village blanc ». Mais il ne s’agit pas de la fin de la lutte : les mouvements dans les hôpitaux vont continuer tout l’été, et le syndicat annonce des manifestations régionales. Le 19 septembre, une grande manifestation - intersyndicale cette fois - doit avoir lieu afin d’exi-ger un service de santé décent.
Car les infirmières n’ont pas obtenu l’augmentation du budget de la santé qu’elles exigeaient, ni l’augmentation des salaires de 1 000 zlotys pour toutes (267 euros), leurs salaires étant actuellement de 1 200 à 1 500 zlotys (de 316 à 395 euros). La seule concession du gouvernement est la prime obtenue après la grève de 2006, qui ne devait plus être payée à partir de novembre 2007, et qui sera intégrée définitivement à leur salaire de base.
Ce mois de lutte n’aura pas été sans effet. D’abord, les revendications des infirmières sont très populaires, alors que la cote de confiance du gouvernement diminue. Ensuite, les médias ont découvert des termes, tels qu’« exploitation » et « droits des travailleurs ». Enfin, le mouvement a donné des idées à d’autres : dans divers secteurs, les grèves et les conflits salariaux se sont multipliés. Le « village blanc » a aussi permis de renouer avec la tradition d’auto-organisation des salariés : constitué en commune, avec une « administration » élue, le « village blanc » rappelait les grèves d’occupation de 1980-1981. Les infirmières allèrent même au-delà : une université libre y fut organisée avec, pour premier cours, celui de l’ancien porte-parole du syndicat Solidarité, en 1980-1981, Karol Modzelewski. Trois week-ends de suite, le village s’est transformé en centre médical gratuit, permettant à la population de Varsovie de profiter des examens médicaux de base.
Alors qu’elle ne syndique pas les infirmières, la confédération des syndicats libres Août 80 - le syndicat le plus combatif en Pologne, présent surtout dans les mines, la sidérurgie, la métallurgie et, à Varsovie, dans les transports en commun - a joué un rôle très positif dans cette lutte. Dès le 20 juin, les représentants des mineurs ont rejoint le « village blanc », pour en garantir la sécurité, et ils y sont restés jusqu’au bout. Plusieurs manifestations interprofessionnelles de solidarité ont eu lieu à l’initiative, ou avec la participation, d’Août 1980, traçant un début d’unité intersyndicale, dont l’appel à la manifestation du 19 septembre est un premier résultat.
La lutte des infirmières en Pologne dépasse largement la seule question salariale. Les coupes claires dans les budgets de la santé depuis les années 1970, puis les contre-réformes du système de sécurité sociale réalisées en Pologne après 1989, ont conduit le système de santé dans l’impasse. Dès le second semestre, les budgets annuels sont épuisés, et il vaut mieux ne pas avoir besoin d’une opération complexe à la fin de l’année, les hôpitaux ne disposant plus des moyens de la réaliser. Endettés bien au-delà de leur valeur comptable, les hôpitaux publics risquent la liquidation... pour pouvoir être privatisés à bas prix. C’est le résultat d’une gestion comptable de la santé et des réductions continuelles des « charges patronales ». Ce qu’on observe en Pologne aujourd’hui, c’est ce qui risque d’arriver en France, en Allemagne, dans toute l’Europe. C’est ce qu’a bien compris le syndicat SUD-Santé-Sociaux, qui s’est solidarisé de la lutte des infirmières polonaises, dès le 29 juin. Mais il faut aller plus loin : c’est un mouvement d’ensemble contre les réformes libérales des systèmes de santé dans toute l’Europe qui est à l’ordre du jour.
Jan Malewski
* Paru dans Rouge n° 2216 du 26 juillet 2007.
Infirmières polonaises en grève
Rouge
Cela a commencé par une grève des médecins pour la privatisation des hôpitaux publics. Le 19 juin, des milliers d’infirmières et d’aides-soignantes ont manifesté pour une hausse des salaires. Payées 1 200 à 1 500 zlotys (316 à 395 euros), elles en exigent 1 000 de plus. Trois déléguées, non reçues par le Premier ministre, Kaczynski, occupent son secrétariat. À l’extérieur, les manifestantes campent sur place. Le 20 juin à l’aube, la police les attaque, les repoussant vers la grille du parc jouxtant les bureaux du Premier ministre. Elles décident d’y camper, rejointes par d’autres, solidaires, venant de tout le pays. On compte des centaines de tentes.
Devant l’agression policière, les mineurs de fond du syndicat Sierpien 80 (« Août 80 ») décident de défendre les manifestantes : plusieurs dizaines d’entre eux s’y relayent depuis, à 300 kilomètres de leurs houillères ! Le 23 juin, une manifestation organisée par Sierpien 80 et par le Parti polonais du travail, contre la guerre en Irak et pour la solidarité des salariés, rejoint les infirmières. On ne parle plus de privatisation, mais de l’augmentation du budget de la santé et d’une nouvelle manifestation, le 29 juin. « Nous en avons assez de l’arrogance du gouvernement, qui ne résout aucun des principaux problèmes sociaux. Nous en avons assez des bas salaires et du non-respect des droits des travailleurs. Nous en avons assez de l’exploitation. Il est plus que temps de préparer la grève générale nationale », lit-on dans le communiqué de Sierpien 80.
* Paru dans Rouge n° 2212 du 28 juin 2007.