À zéro heure entrait en vigueur l’ALENA, l’accord de libre-échange nord-américain qui devait aligner le Mexique sur ses puissants voisins du Nord. Le dicton ne dit-il pas « pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis d’Amérique ! » ? Ainsi étaient condamnéEs à encore plus de misère les petits paysanEs centro-américainEs, parmi lesquels une grande proportion des communautés indiennes du Chiapas, assignées à l’exil et/ou à l’emploi dans les maquiladoras de la frontière !
À zéro heure trente, alors que tout semblait se passer pour le mieux pour le capital, voilà qu’une armée de gueux investissaient les plus grandes villes des Chiapas, dont la très symbolique San Cristobal de las Casas ! Il fallut bien alors, pour le gouvernement mexicain, se rappeler ce territoire et ses habitantEs, tenter de résoudre la question... et négocier avec l’EZLN (Ejército zapatista de liberación nacional) !
Autonomie, démocratie, bon gouvernement !
Bien entendu, le gouvernement s’abandonna à la tentation militariste, qui provoqua la mort de plus de 500 personnes. Sauf que... investir militairement la forêt chiapanèque, pour en déloger un ennemi invisible, indissociable d’une population indigène très largement acquise à la cause, immédiatement soutenu par tout ce que le Mexique comptait alors de forces progressistes, entouré de la solidarité internationale qui ne demandait qu’à s’enflammer pour ces révolutionnaires arméEs en cagoule, s’avéra un défi hors de portée d’un gouvernement déjà bien fragile.
Il fallut donc négocier : ce furent les accords de San Andrès (1996). Même s’ils ne furent jamais appliqués, il s’agissait d’une victoire éclatante pour ce qui devint le FZLN, qui sut combiner de façon audacieuse des apparitions armées, un ancrage dans la société réelle des indigènes et non indigènes des zones les plus pauvres et des démonstrations de force politiques au cœur même de la capitale.
Puis, face aux atermoiements du gouvernement, à la pression militaire, aux exactions des paramilitaires, le FZLN décida de mettre en œuvre directement ce qu’il ne pouvait faire inscrire dans la loi. Il mit en place dans les zones qu’il contrôlait des structures politiques démocratiques et égalitaires, dont le Monde diplomatique disait en 2017 qu’« à cette échelle et sur cette durée, l’aventure zapatiste est la plus importante expérience d’autogouvernement collectif de l’histoire moderne ».
Une autre mondialisation, celle de la lutte !
Si le mantra des Zapatistas — « Mandar obedeciendo ! » (commander en obéissant) — reste d’actualité, si la volonté de changer le monde sans prendre le pouvoir persiste, l’application à s’entourer du soutien des progressistes du monde entier ne s’est jamais démentie, depuis la première Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme qui réunit, en 1996, 5 000 personnes de 42 pays, jusqu’à la récente tournée européenne d’une délégation zapatiste — notamment présente à Notre-Dame-des-Landes — venue à la rencontre des résistances et des rébellions du continent, afin de tisser le réseau planétaire de luttes auquel les Zapatistas appellent de longue date « afin de défendre la vie ».
Louison Le Guen