Dans un régime de libertés démocratiques, la citoyenneté, c’est-à-dire la participation des citoyens à la construction de l’espace public mais aussi sa détermination à défendre ses droits, est le critère essentiel même pour que fonctionne le régime. Dans un régime de dictature, d’autoritarisme, la citoyenneté incarne la subversion, un trouble-fête pour les gouvernants. Il en est ainsi dans notre pays au vu des tracasseries qui se sont abattues sur Kamel Aïssat. Le verdict s’est soldé par un acquittement définitif pour des accusations hallucinantes et insensées « d’atteinte à l’intérêt national » et « d’atteinte à l’unité nationale ». Lui le patriote de toutes les patries et des peuples opprimés.
Qu’a-t-il fait ? Aucune infraction, aucun délit, aucun crime
Mieux, il a tenté d’assumer ce que lui dicte son devoir de citoyen, tel que le proclament la Constitution et les lois du pays.
Il est reproché à Kamel Aïssat d’avoir exprimé son avis d’expert sur la qualité de « l’étude d’impact » élaborée par le bureau d’étude ENVICONSULT (en 2020) au profit de WMZ (la société exploiteuse). Le professeur Aïssat a émis de sérieuses réserves dans deux domaines essentiels (l’environnement et la loi).
Sur le plan environnemental, il a reproché à l’étude d’impact d’avoir ignoré les risques d’intoxication imminents aux métaux lourds qui pèsent sur la population qui sont scientifiquement et historiquement démontrés. Il reproche à cette « étude » son ignorance sur les risques qui pèsent sur la nappe phréatique de la Soummam qui structure l’industrie agro-alimentaire de la région et qui alimente tout le marché national et au-delà.
Sur le plan juridique, il reproche à l’étude d’impact d’ignorer les textes de loi de la République à savoir, la Loi relative à l’environnement dont l’un des objectifs est de prévenir toute forme de pollution ou de nuisance causée à l’environnement en garantissant la sauvegarde de ses composantes ; l’arrêté du wali n° 13/1000 du 06/05/2013 qui confère à la vallée de la Soummam le statut de zone humide d’importance internationale protégée par la convention RAMSAR que l’Algérie a ratifiée (décret 82/439 du 11 septembre 1982) ; mais aussi et surtout la loi minière dont l’article 3 « interdit toute activité minière sur les sites protégés par des conventions internationales et/ou par des textes de loi ».
L’État en pleine contradiction
Puisque le « chef de l’État » fait du secteur de mines un des axes de développement économique, les autorités en charge du dossier de la mine Tala-Hamza/Amizour agissent comme si elles étaient dispensées de tout principe de prévention et de respect des lois de la République. Lors du conseil des ministres du 24 avril 2022, le « chef de l’État » a lui-même « insisté sur l’impératif de prendre en ligne de compte les normes environnementales requises » ?
Pour rappel, en 2012, le ministre de l’Énergie et des Mines, Youcef Yousfi, en visite à Béjaïa avait indiqué que « l’étude qui a été présentée par Terramin n’était pas satisfaisante ». Deux mois plus tard, dans un entretien au Quotidien d’Oran, il déclara à propos de Terramin que « de petites sociétés sont venues pour essayer de faire de bonnes affaires et elles n’ont pas les moyens techniques nécessaires pour développer ces mines d’une façon rationnelle et d’une manière qui puisse assurer la sécurité des populations et protéger l’environnement ». À la suite de quoi le contrat fut rompu. Deux années plus tard une nouvelle loi minière est promulguée « interdisant, dans son article 3, toutes activité minière sur les sites protégés par des conventions internationales et/ou par des textes de loi ».
Une belle victoire
Dans le contexte actuel, tenant compte de l’état de conscience écologique de la société, il est évident que le combat de Kamel Aïssat bénéficie de l’attention qu’il mérite à travers la décision de justice qui vient d’être prononcée en sa faveur et au combat qu’ont mené les centaines de citoyens qui ont exprimé leur rejet de ce projet et ont pétitionné contre l’exploitation de la mine. C’est la première fois depuis l’accentuation de la répression en 2021 qu’une mobilisation est mise en place devant un tribunal.
Et c’est bien la mobilisation populaire qui a conduit à l’acquittement de Kamel Aïssat : celle-ci, avec la participation des habitant·es de la région, et des organisations du mouvement social, des associations, des syndicats autonomes ou de l’UGTA, a montré où se situe la légitimité, alors que le procureur de la République avait requis trois ans d’emprisonnement. Pour la mobilisation contre la mine, pour les luttes écologistes et anti-impérialistes, c’est un encouragement. Pour toutes les victimes de la répression, notamment depuis le Hirak, c’est une formidable preuve que la lutte, combinant combat juridique et militant, peut obtenir des succès, et peut faire face à la terreur qui s’abat sur la société. C’est un espoir pour les milliers de militant·es et de détenu·es ou poursuivi pour délit d’opinion.
CORRESPONDANT·ES