Dans le contexte de l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas et des bombardements israéliens en cours sur la bande de Gaza, les citoyens et citoyennes palestiniens d’Israël s’affrontent à une vague de persécutions. Des centaines d’entre eux ont été arrêtés ou interrogés, généralement sur la base de leur activité sur les médias sociaux. Des dizaines d’autres ont été suspendus ou renvoyés des institutions universitaires israéliennes. Un amendement récent à la loi antiterroriste israélienne permet des degrés de surveillance sans précédent.
Dans le même temps, une mesure plus subtile mais tout aussi dangereuse visant à considérer la communauté palestinienne comme des « ennemis intérieurs » est passée inaperçue : depuis le 7 octobre, Israël a placé sept citoyens palestiniens d’Israël en détention administrative.
Israël a régulièrement recours à la détention administrative pour incarcérer arbitrairement des Palestiniens dans les territoires occupés [Cisjordanie, Jérusalem-Est et de facto Gaza] – qui sont soumis au régime militaire israélien – pendant des mois, voire des années, sur la base de preuves « secrètes », sans qu’il soit nécessaire de recourir aux procédures juridiques habituelles, telles que la présentation de chefs d’accusation ou la tenue d’un procès. Avant la guerre, le nombre de détenus administratifs était déjà plus élevé – plus de 1300 – qu’il ne l’avait jamais été au cours des trois décennies précédentes ; aujourd’hui, ce chiffre a plus que doublé.
Mais cette pratique n’a été que très rarement utilisée contre les Palestiniens ayant la nationalité israélienne depuis la levée du régime militaire à l’intérieur de l’Etat en 1966. En fait, selon Nareman Shehadeh-Zoabi, avocat au centre juridique Adalah [créé en 1996], basé à Haïfa, il n’y a eu que quatre cas connus de ce type au cours des dernières années : trois pendant le soulèvement palestinien de mai 2021, connu sous le nom d’« Intifada de l’unité », et un seul cas avant cela.
Au début de l’année, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a évoqué la possibilité de recourir plus largement à cette mesure contre des citoyens palestiniens d’Israël, soi-disant pour lutter contre le fléau du crime organisé et de la violence armée au sein des communautés arabes d’Israël. Les organisations de défense des droits de l’homme et les groupes de la société civile s’étaient alors vivement opposés à ces projets, craignant que les autorités israéliennes n’étendent inévitablement le recours à la détention administrative au-delà de la lutte contre la criminalité.
Si Ben Gvir n’a pas eu gain de cause dans un premier temps, les autorités utilisent aujourd’hui plus que jamais cette mesure contre des citoyens palestiniens d’Israël, la guerre de Gaza actuelle servant de justification. Ces dernières semaines, deux Palestiniens d’Umm al-Fahem [district d’Haïfa], un de Qalansawa [District Central], trois d’Arraban [District Nord] et de Sakhnin [District Nord], et un de Majd al-Krum [District Nord] ont tous été incarcérés dans le cadre de la détention administrative.
« Cela a commencé avec trois détenus il y a environ un mois et demi, et maintenant nous parlons de sept », nous [+972 et Local Call] a déclaré Sawsan Zaher, une avocate des droits de l’homme qui représente les trois détenus d’Arraba et de Sakhnin. « C’est une escalade très inquiétante. »
Hussein Manna, un avocat représentant un autre des détenus, a décrit cela comme « une nouvelle vague de répression contre la société arabe. Des activités ordinaires sont soudainement associées à des lois antiterroristes ou à des accusations d’incitation au terrorisme. Les arrestations classiques ont diminué parce qu’il est difficile pour la police de les justifier, ce qui fait de la détention administrative un outil utile, car les forces de sécurité n’ont pas à présenter de preuves. »
Empêcher la société arabe de relever la tête
Le 5 décembre, Jaber Mahajneh a été arrêté par le Shin Bet, l’agence israélienne de renseignement intérieur, dans la ville d’Umm al-Fahem, dans le nord du pays. Selon son avocat, Raslan Mahajneh (aucun lien de parenté direct), il devait être libéré après une semaine de prison. Cependant, Raslan Mahajneh a reçu un ordre, signé par le ministre de la Défense Yoav Gallant, de le placer en détention administrative.
« D’après les documents que nous avons été autorisés à consulter, il n’y a pas de véritables raisons à cette arrestation », a expliqué l’avocat. « C’est un homme religieux qui écrit des textes religieux. Ils ont dit avoir trouvé chez lui des textes parlant du djihad, alors qu’il s’agit de textes ordinaires tirés du Coran et de livres religieux. Même le juge n’a pas cru qu’il y avait des preuves sérieuses contre le détenu. Mais comme le pays est en guerre, il a approuvé la détention administrative de [Jaber Mahajneh] pour trois mois, et a dit que si les circonstances de la guerre changeaient, la question pourrait être réexaminée. »
Alors que les détenus d’Umm al-Fahem, de Sakhnin et d’Arraba ont tous été arrêtés pour des motifs liés à leur piété religieuse, Majd Sagir, de Majd al-Krum, a été arrêté parce qu’il était accusé d’être en contact avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti politique palestinien qu’Israël considère comme un groupe terroriste. Aucune preuve n’a été présentée pour étayer cette accusation.
« Ils prétendent qu’il n’y a aucun soupçon [qu’il ait commis un crime], mais qu’il est probable qu’il ait l’intention de le faire, et donc que ne pas l’arrêter nuirait à la sécurité de l’Etat », a expliqué Hussein Manna, qui est l’avocat de Majd Sagir. « Et bien sûr, sous le prétexte de la guerre et de l’état d’urgence, le tribunal a immédiatement approuvé la détention, bien que nous ayons affirmé qu’elle violait ses droits en tant que citoyen – que les citoyens ne peuvent pas être arrêtés et maintenus en détention prolongée s’ils n’ont pas enfreint la loi. Mais cet argument n’a servi à rien. »
L’utilisation par Israël de la détention administrative comme mesure prétendument « préventive » est particulièrement courante. « L’idée même de cette mesure est illégale : la détention préventive sans preuve valable », a déclaré Nareman Shehadeh-Zoabi d’Adalah. Elle compare cela au fait de croire que l’on peut « entrer dans la tête d’une personne, connaître ses intentions et l’arrêter » avant que cette personne ne commette un crime. C’est ainsi, a-t-elle ajouté, qu’Israël agit à l’égard des Palestiniens de la Cisjordanie occupée, de manière à « criminaliser l’ennemi ».
Sawsan Zaher pense qu’il pourrait y avoir un lien entre la vague actuelle de détentions administratives et les rapports qui ont suivi le soulèvement de mai 2021, notamment celui du contrôleur de l’Etat [il inspecte, examine et audite les politiques et les opérations du gouvernement de l’Etat d’Israël], selon lequel la police israélienne n’a absolument pas réussi à se préparer et à gérer les événements qui se sont déroulés au cours de ces semaines. « Depuis le début de la guerre, toutes les arrestations sous prétexte d’incitation, y compris ces détentions administratives, ainsi que d’autres mesures oppressives, visent à empêcher la société arabe de protester », a-t-elle expliqué. « Leur objectif est que ne se répètent pas les événements de 2021. »
Nareman Shehadeh-Zoabi partage cet avis. Après le soulèvement de 2021, dit-elle, les autorités israéliennes ont déposé 16 actes d’accusation pour incitation ; depuis le 7 octobre, elles en ont déposé plus de 70. « Il est clair qu’Israël tente de porter un coup préventif et d’empêcher la société arabe d’exprimer ses opinions, de manifester et de relever la tête. Israël traite ses citoyens comme des ennemis et les place en détention administrative sans preuve. C’est une nouvelle époque. »
Raslan Mahajneh pense que cette tendance va se poursuivre. « Ils peuvent maintenant arrêter qui ils veulent sans aucun problème, et à la lumière du contexte actuel, nous nous attendons à ce qu’il y ait davantage d’arrestations dans un avenir proche. »
Baker Zoubi