NEW DELHI - Après de rapides avancées vers l’établissement de la paix et la démocratie effectuées ces derniers mois, les partis politiques népalais trébuchent, en fin de parcours, sur l’inutile controverse du désarmement des forces maoïstes.
Ce qui est en jeu, c’est la formation d’un gouvernement intérimaire ralliant l’Alliance des sept partis (ASP) et le Parti communiste du Népal - parti maoïste (CPN-M) qui aura le mandat d’organiser l’élection d’une Assemblée constituante. Le gouvernement intérimaire aura aussi à administrer le pays jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement, élu selon les bases de la nouvelle Constitution issue des délibérations de l’Assemblée.
Alors que l’Assemblée constituante déterminera en grande partie les contours politiques du Népal de demain, la crédibilité et la structure du gouvernement intérimaire sont tout aussi importantes pour l’achèvement du processus. À ce titre, la participation entière et sans réserve des maoïstes, ainsi que de tous les autres partis, est essentielle. En effet, l’entente historique, signée le 16 juin par le premier ministre Girija Prasad Koirala et le dirigeant du CPN-M, Prachanda, engage explicitement l’ASP et les maoïstes à établir un gouvernement intérimaire sur la base de la constitution temporaire. Bien que cette entente prévoie formellement que les Nations unies puissent « appuyer dans la gestion des armes du personnel armé des deux côtés et veiller à ce que l’élection de l’Assemblée constituante se fasse de façon libre et juste », à aucun endroit est-il mentionné que le désarmement des maoïstes soit une condition préalable pour que l’arrangement intérimaire puisse aller de l’avant.
Il y a une bonne raison à cela. En mettant au premier plan la nécessité d’un accord politique entre l’ASP et les maoïstes - par les moyens d’un gouvernement intérimaire et de l’Assemblée constituante - l’entente de juin facilite un accord éventuel sur la question du désarmement. Comme me faisait remarquer un dirigeant de l’ASP lors d’une visite à Delhi en juillet, insister sur le dépôt des armes avant une entente politique revenait à mettre la charrue devant les bœufs. « Admettons qu’ils rendent les armes, et échouent par la suite à atteindre une solution politique. Il ne serait pas difficile pour eux de les reprendre rapidement. » Tout comme la préparation des élections, afin d’octroyer l’égalité des chances - une demande légitime de l’ASP, dont les cadres risqueraient de se sentir intimidés par les armes des maoïstes - le désarmement des soldats de l’armée népalaise et des combattants maoïstes sera effectué par l’ONU.
Alors que les perspectives d’un changement politique durable se consolident, l’ancien régime et ses commanditaires commencent à se réimposer. Par exemple, il est rare qu’une journée prenne fin sans que James F. Moriarty, l’ambassadeur américain au Népal, ne prévienne les partis politiques de ne pas accepter la participation des maoïstes au gouvernement avant leur désarmement. Ses interventions auprès des affaires politiques internes du Népal sont si effrontées que nombre de députés ont appelé à son expulsion du pays. Des officiers de l’armée sont également impliqués dans cette campagne de peur anti-maoïste, eux qui ne parviennent toujours pas à avaler la perte du terme « royal » dans le nom de l’armée du Népal.
Après que l’entente en huit points de juin dernier eut été signée, la première anicroche eut lieu lorsque le gouvernement Koirala - vraisemblablement sous la pression des États-Unis - a écrit à l’ONU, début juillet, pour demander leur aide pour le désarmement des maoïstes. La « mésentente » fut éventuellement résolue quand Koirala et Prachanda ont écrit des lettres identiques à Kofi Annan, le 9 août, invitant l’Onu à « déployer le personnel civil qualifié pour contrôler et vérifier la consigne des combattants maoïstes et leurs armes dans les lieux de cantonnement désignés », et à « surveiller l’armée du Népal pour assurer qu’elle demeure dans ses baraques et que ses armes ne soient pas utilisés pour ou contre toute partie ».
Les lettres réclamaient également que l’ONU poursuive son « monitorage » des droits humains, effectué par le bureau du Haut Commissariat pour les droits humains au Népal actuellement dirigé par Ian Martin, assiste à l’observation du « Code de conduite » durant le cessez-le-feu, et « procure une observation électorale pour l’élection de l’Assemblée constituante, en consultation avec les partis ». À aucun endroit n’est-il question de désarmement.
Lors d’une conférence de presse à Katmandu la semaine dernière, M. Martin a reconnu qu’il existait quelque confusion quant au calendrier de ce qu’il appelle la « gestion des armes ». Par ceci, il signifiait le moment précis où l’ONU interviendra pour contrôler l’armée du Népal et les combattants maoïstes, particulièrement si la surveillance du respect des droits humains devait débuter avant ou après la formation d’un gouvernement intérimaire. Alors que ce calendrier doit être établi par l’ASP et le CPN-M, la question du dépôt des armes par les maoïstes est une diversion qui ne peut que miner les perspectives de transition politique pacifique que les deux côtés disent appuyer.
Quand le premier ministre Koraila et M. Prachanda se rencontreront dans quelques jours, ils devront mettre fin à la dangereuse dérive qui menace la formation d’un gouvernement intérimaire. Le Comité d’élaboration de constitution intérimaire a fait un travail louable en préparant une ébauche convenant à la période de transition, incluant la formation d’un gouvernement intérimaire et la tenue d’élections de l’Assemblée constituante. Aucun doute que les ambiguïtés abondent, en particulier sur la manière de résoudre la question de la monarchie, mais aucune d’entre elles n’est insoluble. Avec patience et diplomatie - tant l’ASP que les maoïstes en ont démontré en abondance - les derniers obstacles pourront être résolus.
Dans la mesure où Washington a brouillé les eaux avec son intense campagne anti-maoïste, l’Inde se doit de conseiller l’ASP à s’en tenir au plan établi par l’entente des huit points de juin 2006.
L’inexplicable arrestation, le 18 septembre dernier en Inde du dirigeant maoïste C.P. Gajurel, suggère que le gouvernement de Manmohan Singh n’a toujours pas compris la fragilité de la transition politique au Népal. Le système légal indien peut être chaotique et imprévisible, mais le gouvernement indien saura certainement comment s’en sortir.
En 2000, New Delhi avait appuyé la libération de Masood Azhar. Contrairement à Azhar, qui avait alors fondé le Jaish-e-Mohammed, M. Gajurel est un dirigeant politique qui n’a jamais été accusé d’offense violente et qui ne représente aucune menace pour l’Inde et sa population. Garantir sa prompte libération - ainsi que son retour rapide, sécuritaire et honorable à Katmandu - n’est pas seulement la bonne chose à faire. Ce geste enverra un message important : que l’Inde appuie la formation d’un gouvernement intérimaire avec la participation de tous les partis politiques du Népal, incluant les maoïstes, et croit qu’un tel gouvernement offre au Népal ses meilleures chances pour un changement démocratique non-violent.