Réunion de militants du Debout ensemble à Tel Aviv. Ils tiennent des pancartes sur lesquelles on peut lire en hébreu et en arabe « Ensemble ».
L’un des mouvements civiques les plus importants et les plus dynamiques en Israël est constitué de citoyens juifs et arabes. Il s’appelle « Debout ensemble », en hébreu Omdim Beyhad, et dernièrement, à l’intérieur d’Israël, il a été au premier plan des manifestations contre la guerre de Gaza
Mais cela n’a pas empêché un groupe palestinien au sein du mouvement « boycott, désinvestissement, sanctions » de se saisir de ce moment très difficile pour s’en prendre à ce regroupement, qui est la voix la plus importante en Israël en faveur d’un cessez-le-feu et qui fait le plus pour rassembler des Israélien.nes dans la lutte pour l’égalité, la justice et la cessation de l’occupation.
La Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) a qualifié « Debout ensemble », dans une déclaration publiée la semaine dernière sur le site officiel du BDS, de « dispositif israélien de normalisation qui cherche à détourner l’attention du génocide qu’Israël continue de perpétrer à Gaza et à le minimiser ».
En réponse, les membres palestinien.nes de la direction nationale de « Debout ensemble » ont publié ce mardi une mise au point :
« Nous faisons activement campagne contre le régime oppressif mis en place par Israël et avons déployé des efforts particuliers pour mettre en lumière les atrocités commises par les Israéliens à Gaza [...], malgré les risques que cela impliquait », peut-on lire dans le communiqué. « Il est navrant de subir des tentatives pour nous faire taire de la part d’autres groupes pro-palestiniens à un moment où nous sommes réduits au silence et persécutés par le gouvernement et les institutions israéliens parce que nous nous battons pour défendre les vies de nos concitoyens. Nous sommes fiers d’organiser Palestinien.nes, Juives et juifs ensemble ».
La plupart des groupes de gauche israéliens ont exprimé leur solidarité, tandis que la droite israélienne a réagi avec un certain sens de l’autojustification, estimant que la gauche israélienne devrait prendre conscience du fait que le monde entier est contre elle.
Après presque quatre mois d’une guerre sauvage, de massacres, de transferts, conduite par des dirigeants défaillants, « Debout ensemble » représente une vitrine rare et positive des résultats positifs obtenus par les activités de solidarité au niveau local par rapport aux batailles idéologiques.
Des manifestants lors d’une manifestation contre la guerre à Tel Aviv avec des pancartes de « Debout » ensemble sur lesquelles on peut lire en hébreu et en arabe : « Seule la paix apportera la sécurité. »
« Debout ensemble », qui s’attache notamment à maintenir une éthique d’empathie radicale en ces temps de polarisation, a publiquement critiqué l’occupation, qualifié d’apartheid le régime israélien en Cisjordanie et protesté contre le blocus de la bande de Gaza.
Il a été l’un des principaux acteurs du « bloc anti-occupation » lors des manifestations contre la refonte du système judiciaire en Israël. Le groupe a fait l’objet de mesures de répression policière pour avoir organisé des manifestations contre la guerre. Après le 7 octobre, il a mis en place une ligne téléphonique d’assistance juridique pour les Palestinien.nes et les militant.es de gauche, a préparé des colis alimentaires pour les familles juives, musulmanes et chrétiennes des villes mixtes qui ont des difficultés financières depuis que la guerre a éclaté. Elle a également mis en place dans certaines localités des « gardes de solidarité » composés de Juifs ou Juives et d’Arabes qui se réunissent pour dialoguer et mener ensemble des actions de proximité, comme rendre visite à des familles dont des proches ont été pris en otage, rencontrer des équipes médicales judéo-arabes dans les hôpitaux, nettoyer des abris anti-bombes, entre autres actions communes. Leur nouveau slogan est : « Ensemble, nous allons nous en sortir ».
Le mouvement n’a fait que croître depuis le 7 octobre, mais nombreux sont ceux qui sont hostiles à leur discours. Récemment, la radio de l’armée israélienne a supprimé une interview du codirecteur, Alon-Lee Green, à la suite d’une pression de la droite, quelques heures avant sa diffusion.
Veillée anti-guerre de Debout ensemble en décembre à Haïfa.Crédit : Debout ensemble
Le boycott est une forme légitime de protestation non violente. Certains citoyen.nes israéliens l’ont eux-mêmes adoptée pour combattre les produits des colonies de peuplement juives et les colonies elles-mêmes. Il est en accord avec les principes de la gauche et, dans le cas du BDS, prône le refus de la banalisation d’Israël et de ses institutions.
Pourtant, pour ceux qui envisagent un avenir partagé sur cette terre, s’unir et lutter pour un avenir commun est la seule façon d’aller de l’avant. Aucun membre de « Debout ensemble » n’essaie de « normaliser » les politiques passées ou présentes des gouvernements israéliens : le fait d’être descendu dans la rue avant et après le 7 octobre en témoigne.
Le BDS a été conçu comme un appel de la société civile palestinienne à se désengager des institutions israéliennes en raison de l’occupation toujours en cours.
Cependant, l’appel à la solidarité israélo-palestinienne est lui aussi enraciné dans des appels lancés par des membres de la communauté palestinienne, de part et d’autre de la ligne de démarcation. La société palestinienne, comme toute communauté, n’est pas monolithique. Les Israéliens ne le sont pas non plus. Dans « Debout ensemble », il y a de nombreux militant.es anti-occupation, il y en a qui appuient des groupes israéliens de défense des droits de l’Homme comme « Breaking and the Silence » et « B’tselem » et aussi ceux qui soutiennent la tactique du « BDS ».
Cette diversité montre que le soutien à la cause palestinienne ne se réduit pas à un seul et même chemin ; il existe de nombreuses façons de contribuer à mettre fin à l’occupation et à promouvoir l’autodétermination des Palestinien.nes.
Le problème avec BDS n’est pas la tactique elle-même, mais le fait que ce mouvement dérive vers un essentialisme historique. Israël n’est pas seulement identifié à ses pires pratiques et à ses crimes ; ce sont eux qui conditionnent son existence. Et cela signifie qu’il ne pourra jamais se dédouaner de ses crimes, que ses citoyens ne pourront jamais être rachetés.
Comme l’a déclaré Sally Abed, membre palestinien de la direction de « Debout ensemble », dans « Dissent Magazine », « l’un des problèmes associés à la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions est qu’elle part du principe que la société israélienne ne peut pas changer. Et si l’on part du principe qu’elle ne peut pas changer, les grandes questions qui opposent Israélien.nes et Palestinien.nes ne peuvent plus être débattues. »
Il peut y avoir des critiques concernant telle ou telle tactique ou tel ou tel message, mais en général, les partisans de « Debout ensemble » - qui appartiennent à une société israélienne très soudée et que l’on peut aussi retrouver dans les rangs de nombreux partis et mouvements - ont des objectifs communs.
« Debout ensemble » a grossi et ses membres sont parvenus à se faire accepter dans certains cercles du courant dominant. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un groupe politique, il s’est efforcé d’inciter les gens à aller voter. Lorsqu’un mouvement prend de l’ampleur, il est naturellement soumis à un regard plus critique, tant de la part des Juives ou Juifs que des Palestinien.nes. C’est d’autant plus vrai dans une société dont le courant dominant est devenu plus nationaliste.
Bien entendu, pour les citoyen.nes palestinien.nes d’Israël qui font partie du groupe, cette situation est ressentie beaucoup plus intensément. Comme l’a indiqué Abed dans un podcast de Jewish Currents, « je n’ai jamais eu l’impression d’avoir aussi peu d’espace pour m’exprimer, jamais ».
Un principe clé en matière de solidarité est de constituer une force politique qui permette aux plus vulnérables de se faire entendre et, dans l’idéal, sans en subir de contrecoups. Pour ce faire, il est nécessaire de construire un réseau.
Ariel Angel, rédacteur en chef de Jewish Currents, a souligné l’importance de favoriser l’inclusion dans la formation de coalitions. Répondant aux critiques formulées à l’encontre des participant.es à un rassemblement pour le cessez-le-feu qui avaient accusé Israël de commettre un génocide, elle a fait remarquer dans le même podcast que « nous ne pouvons pas leur faire passer un test de vérité pour savoir s’ils disent ce qu’il faut au bon moment ».
Rula Daoud et Alon-Lee Green, codirecteurs de « Debout ensemble ». « Rejoindre le mouvement est devenu pour moi un voyage qui a changé ma vie », explique Rula Daoud.Crédit : Tomer Appelbaum
S’il est erroné de soumettre à un tel test ceux qui qualifient les actions israéliennes de génocidaires, ne serait-il pas tout aussi problématique d’imposer un tel test à ceux qui appellent Israéliens et Palestiniens à collaborer en vue de gagner en puissance et en solidarité ?
Le fait est que l’accent devrait être mis sur la promotion du dialogue et de l’unité plutôt que sur l’établissement de critères stricts de participation ou de soutien.
La solidarité consiste à chercher à nouer le dialogue même si l’autre est réticent. Elle est donc tout aussi légitime pour ceux qui veulent le boycott que pour ceux qui cherchent à trouver un terrain commun.
Le boycott est un acte de retrait, de non-consommation, de non-achat du produit. Le boycott devrait être l’un des nombreux outils de notre panoplie pour le changement social, en particulier à l’encontre des institutions officielles et des grandes entreprises.
« Debout ensemble » montre qu’il existe une autre façon d’essayer d’avancer, une façon participative, active, qui ne part pas d’une position idéologique, mais qui reconnaît que, même si nous avons des positions sociales et politiques différentes, nous sommes tous dans le même bateau. Il s’agit de se montrer solidaire avec ceux qui sont le plus confrontés à l’oppression, à la violence, à l’assujettissement et à l’aliénation.
Comme l’a déclaré Rula Daoud, codirectrice de « Debout Ensemble », sur le site de gauche Majority FM, « Combien de sang faudra-t-il encore verser avant que nous comprenions que le sort des Israélien.nes et des Palestinien.nes est inextricablement lié ? Que ou bien nous vivons tous dans la paix et la liberté, ou bien cela ne sera le cas pour aucun d’entre nous ? ».
Etan Nechin