TOKYO CORRESPONDANT
L’ultimatums qui expirent en drames qui se suivent, les familles des vingt et un otages sud-coréens encore vivants, enlevés par les talibans le 19 juillet, sont réunies nuit et jour dans le petit temple presbytérien de Saemmul à Bundang, à la périphérie de Séoul. Eplorées, épuisées par cette attente de deux semaines ponctuées d’annonces tragiques, elles se recueillent. Dans le murmure des prières retentissent des sanglots.
Un nouvel ultimatum a expiré le 1er août et les familles ont appris avec effroi à la télévision que le porte-parole des rebelles avait annoncé que les captifs pouvaient « être tués à tout moment ».
Les corps de deux hommes, le pasteur Bae Hyung-kyu (42 ans) qui dirigeait le groupe, et celui de l’un de ses membres, Shim Sung-min (29 ans), ont été retrouvés à une semaine d’intervalle. Ils avaient été tués par balles. Le second a été exécuté lundi. Selon leurs ravisseurs, les seize femmes captives seraient « malades » dont « deux sérieusement ».
La chaîne de télévision Al-Jazira a présenté des images de sept Asiatiques voilées, accroupies dans la pénombre, les yeux clos, le visage sans expression.
Les volontaires, âgés de 20 à 35 ans, ont été enlevés alors qu’ils circulaient à bord d’un autocar sur la route entre Kaboul et Kandahar (sud). Il s’agit du plus nombreux groupe d’étrangers enlevés en Afghanistan depuis la chute du régime des talibans, en novembre 2001. Peu avant l’expiration de l’ultimatum, des parents de victimes s’étaient rendus à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul pour demander l’intervention de Washington. A l’extérieur, des manifestants portaient des masques du théâtre traditionnel sur lesquels avaient été peintes des larmes de sang. Le même jour, les partis politiques avaient publié une déclaration commune demandant « respectueusement au gouvernement américain et aux Nations unies de jouer un rôle plus actif pour mettre un terme au meurtre des otages ».
Au-delà d’un drame qui bouleverse l’opinion, l’affaire a pris une dimension politique. Le gouvernement à Séoul s’avoue impuissant : « Nous n’avons aucun moyen d’influencer les décisions du gouvernement afghan », a reconnu le porte-parole de la présidence, Cheon Ho-seon. Les ravisseurs demandent la libération de huit des leurs en échange des otages. Mais à la suite de la libération, en mars, d’un journaliste italien, échangé contre cinq chefs talibans, le président Hamid Karzaï, critiqué à l’étranger, avait assuré qu’il n’y aurait plus jamais d’échange de prisonniers. Et aujourd’hui Kaboul et Washington s’opposent à tout marchandage, tandis que Séoul leur demande de faire preuve de « flexibilité ».
« Nous connaissons la position de la communauté internationale dans les affaires d’enlèvement, a déclaré le porte-parole de la présidence, mais nous pensons que faire preuve de flexibilité pourrait permettre de sauver des vies et nous lui lançons un appel pour qu’elle agisse en ce sens. »
« Le gouvernement doit demander avec fermeté aux Etats-Unis de négocier », estime dans un communiqué le mouvement Solidarité pour une démocratie participative, la plus importante organisation citoyenne sud-coréenne. La teneur des messages sur Internet, devenu en Corée du Sud un forum de démocratie directe, ainsi que les commentaires de certains journaux sont plus incisifs et posent la question : si, en dépit de l’alliance avec les Etats-Unis, la Corée du Sud n’a aucune influence sur Washington, pourquoi doit-elle suivre aveuglément les Etats-Unis ?
Pour le quotidien de gauche Hankyoreh, « si les Etats-Unis ignorent la vie des ressortissants de leurs alliés au nom de leurs principes de politique internationale, nous devons nous poser une question de fond : pourquoi envoyer nos troupes dans des zones de conflit en Afghanistan, en Irak ou au Liban, si nous ne parvenons même pas à protéger nos citoyens ? ». La Corée du Sud est la troisième puissance étrangère présente militairement en Irak avec 1 200 hommes. Elle a, en outre, déployé 200 soldats en Afghanistan. Un engagement critiqué par une partie de la population.
Pour sa part, le quotidien Hankuk (centriste) estime que « l’attitude des gouvernements qui refusent de revenir sur leurs principes est inacceptable. L’exécution d’un autre otage provoquera une réaction de l’opinion qui exigera le retrait immédiat de nos soldats d’Afghanistan et s’opposera à la prolongation du stationnement des troupes en Irak ».
Selon des analystes politiques, l’affaire des otages pourrait provoquer une nouvelle vague d’antiaméricanisme.
Encart
Rencontre envisagée entre talibans et émissaire coréen
Vingt-quatre heures après l’expiration du dernier ultimatum, fixé au mercredi 1er août par les talibans pour l’échange de 23 des leurs contre 21 otages sud-coréens toujours en vie, le gouvernement de Kaboul cherchait à déterminer un lieu pour une éventuelle rencontre entre les ravisseurs et l’ambassadeur de Corée du Sud. Selon leur porte-parole, Qari Yousef Ahmadi, le chef suprême des talibans en fuite, mollah Mohammad Omar, aurait nommé trois membres du haut conseil taliban avec tout pouvoir pour superviser l’affaire.
Deux otages, sur les vingt-trois enlevés le 19 juillet sur l’axe principal qui relie Kaboul à Kandahar, ont été déjà exécutés. Deux femmes sur les seize détenues seraient, d’autre part, « très malades », a affirmé Qari Yousef.
Des tracts parachutés, mercredi, par l’armée afghane demandant aux habitants de se réfugier dans les zones sous contrôle du gouvernement dans la perspective d’une opération militaire ont brièvement semé la confusion sur une tentative de sauvetage des otages. Mais Séoul et Washington ont, pour l’instant, exclu toute opération militaire en ce sens. - (Corresp.)