Le 17 janvier, la dernière université qui était encore intacte dans la bande de Gaza a été bombardée et complètement détruite. Les forces de défense israéliennes ont utilisé de larges quantités d’explosifs et il ne reste aucune trace de l’Université Israa, au sud de Gaza City.
Selon ce qui a été rapporté, au cours des 70 jours précédents, les forces israéliennes ont utilisé le bâtiment de l’université comme base militaire et centre de détention pour interroger les détenus palestiniens avant de les envoyer vers des destinations inconnues.
Il est donc clair que le bâtiment de l’université n’était pas considéré comme dangereux. Il est également clair que l’explosion s’est produite à l’intérieur du bâtiment et qu’elle n’est pas due à une frappe aérienne.
L’armée israélienne indique que l’incident fait l’objet d’une enquête, comme s’il s’agissait d’un événement inhabituel. Mais en considérant plus largement le contexte dans lequel s’est passée cette attaque, on a la preuve qu’il n’y a rien de vraiment exceptionnel au regard de la politique destructrice menée depuis le 7 octobre. Cette politique est la continuation – très intensifiée – de la politique israélienne à l’égard du monde universitaire palestinien.
Depuis plus de 40 ans, les universités palestiniennes subissent un harcèlement systématique de la part de l’occupant israélien. Les campus ont été fermés à plusieurs reprises, alors qu’inviter des conférenciers étrangers a été interdit, même en temps « normal », de même que partir à l’étranger pour des formations et des conférences. Les restrictions de circulation en Cisjordanie ont entravé les études et les étudiants eux-mêmes, et les membres du personnel ont souvent été arrêtés.
À Gaza, la situation a toujours été pire, notamment en raison du blocus et de l’interdiction d’importer des matériaux de construction pour reconstruire les salles de classe détruites lors de chaque attaque israélienne. Ces mesures s’ajoutent aux restrictions imposées à l’importation de livres et d’autres matériels pédagogiques. La coopération entre les institutions académiques de Cisjordanie et de Gaza a également été sévèrement entravée.
Cela empêche les étudiants gazaouis de suivre des cours dans les universités de Cisjordanie, qui sont mieux équipées. Ces étudiants ont également très peu de possibilités de quitter l’enclave pour assister à des conférences ou poursuivre leurs études. À plusieurs reprises, des étudiants ayant obtenu des bourses d’universités prestigieuses en Europe ou aux États-Unis sont restés relégués dans la prison qu’est Gaza.
Tout cela s’est immensément aggravé depuis le 7 octobre. En Cisjordanie, les cours se déroulent principalement en ligne et il n’y a pratiquement pas de vie sur les campus en raison des barrages routiers qui ont été érigés autour de chaque communauté de Cisjordanie à mesure que les colons intensifient leur violence. De nombreux professeurs et étudiants ont été arrêtés, et beaucoup ont été placés en détention administrative, c’est-à-dire en détention sans procès.
La destruction des universités de Gaza a commencé par le bombardement de l’Université islamique au cours de la première semaine de la guerre et s’est poursuivie par des frappes aériennes sur l’Université Al-Azhar le 4 novembre. Depuis lors, toutes les institutions universitaires de Gaza ont été détruites, ainsi que de nombreuses écoles, bibliothèques, archives et autres établissements d’enseignement.
Il est important de noter la destruction jusqu’aux fondations des principales archives municipales de Gaza, avec leurs documents historiques, ainsi que de la bibliothèque municipale et deux de ses annexes – à Beit Lahia et dans la ville de Gaza – de la bibliothèque Edward Said en langue anglaise. Des bâtiments historiques et des sites archéologiques ont également été bombardés et des découvertes potentielles sont perdues.
Outre la destruction des infrastructures, des centaines d’étudiants et de nombreux professeurs ont péri dans les bombardements. Des sources indiquent qu’au moins 94 membres du corps enseignant des universités de Gaza ont été tués dans la guerre.
Il est apparu récemment que Fadel Abu Hein, professeur de psychologie de renommée internationale à l’Université Al-Aqsa, figurait parmi les morts. Il était spécialisé dans les traumatismes chez les enfants – il avait également effectué des recherches sur les traumatismes subis par les enfants de Gaza lors des fréquents bombardements. Selon les médias, il a été abattu par un sniper.
Fin novembre, le domicile du président de l’Université islamique, le physicien Sufyan Tayeh, a été bombardé à Jabalya ; il a été tué ainsi que des membres de sa famille. Début décembre, un missile guidé a tué l’écrivain, poète et chercheur Refaat Alareer, qui enseignait la littérature et la création littéraire à l’université. Sa sœur et d’autres membres de sa famille ont également été tués.
La vie universitaire palestinienne a été presque entièrement détruite et il faudra de nombreuses années pour la reconstruire. Si et quand cela se produira, du nouveau matériel et la reconstruction des bâtiments universitaires seront nécessaires, ainsi que, surtout, le retour des professeurs et des étudiants qui ont survécu. Nombre d’entre eux sont marqués émotionnellement et physiquement, et certains ont perdu des proches.
Ceux qui restent se remettront de plusieurs mois de déplacement, de perte, de faim et de maladie. Les Palestiniens de Gaza évoquent régulièrement le sentiment de perte lié à la destruction des maisons, qui se traduit également par la perte de livres et d’autres matériels éducatifs.
La vie intellectuelle est l’élément vital de toute société. La société palestinienne est connue pour son taux élevé de personnes ayant fait des études supérieures. Malgré l’isolement, l’occupation et le blocus au long des années, cette société a produit des intellectuels et des scientifiques de renom tels que le sociologue Salim Tamari, l’économiste Jihad al-Wazir, la dramaturge et artiste Ibtisam Barakat, le réalisateur Elia Suleiman et le politologue Khalil Shikaki.
Quelques universitaires palestiniens de premier plan ont été assassinés, tandis que d’autres ont été arrêtés et emprisonnés. L’histoire enseigne que la destruction de l’enseignement supérieur à Gaza et le harcèlement méthodique des étudiants en Cisjordanie ne sont pas des « dommages collatéraux », mais font partie de la politique israélienne visant à effacer non seulement l’infrastructure physique, mais aussi l’infrastructure spirituelle.
Les institutions académiques israéliennes ne mentionnent pas cette destruction et ses ramifications pour l’avenir des sociétés palestinienne et israélienne. Au contraire, toutes leurs annonces louent les actions de l’armée pendant la guerre sans émettre le moindre doute sur la justesse des méthodes. Et les directeurs d’université condamnent les groupes d’universitaires à l’étranger qui expriment leur rage face à la catastrophe qu’Israël sème à Gaza, y compris l’effacement délibéré de la vie spirituelle et culturelle.
Je pense que nous, universitaires israéliens, devons faire entendre notre voix contre la destruction de l’enseignement supérieur de Gaza et les dommages causés à ses autres institutions éducatives et culturelles. Nous ne devons pas rester silencieux face au massacre d’étudiants et de nos collègues, ou à l’arrestation massive d’autres personnes.
En tant qu’universitaires, chercheurs, enseignants et étudiants, il est de notre devoir de nous élever contre les massacres et les destructions, de demander des comptes au gouvernement responsable et de sauver qui et ce qui peut encore l’être.
Anat Matar